Patrick Bebey, passeur de sons

Pianiste hors pair, Patrick Bebey mêle subtilement jazz, rythmes brésiliens et africains. Et défend avec force le patrimoine pygmée.

Clarisse

Publié le 1 avril 2013 Lecture : 3 minutes.

Au début, on ne sait pas vraiment à quoi s’attendre. Chemise et jean noirs, lunettes fines de premier de la classe, gros éclats de rires masquant une timidité trop envahissante, Patrick Bebey, 48 ans, accueille le public à l’entrée de la salle de concert, comme on le ferait pour des invités. Depuis la mi-2012, il partage la scène avec une jeune artiste aux racines israéliennes, ukrainiennes et allemandes. De sa voix d’alto et pieds nus, Noga chante en hébreu, en français et en anglais. Parfois aussi dans une langue imaginaire. Patrick Bebey lui façonne un écrin sonore au gré de son inspiration : piano, sanza, xylophone, flûte pygmée… Des instruments qui le relient viscéralement à son géniteur, le célèbre musicien et écrivain camerounais Francis Bebey, décédé en 2001.

Quand Patrick Bebey revient sur sa carrière, il ne peut s’empêcher d’évoquer son père. Il faut dire que leur relation fusionnelle structure son parcours. Lorsqu’il était enfant, l’auteur du fameux tube Agatha lui a mis entre les mains une guitare pour droitier… qu’il a tenue comme un gaucher. « Mon père a très vite compris qu’il ne me faisait pas un cadeau », s’amuse-t-il aujourd’hui. Ce sera donc le piano pour toute la fratrie, cinq enfants élevés entre Paris et Douala dans le respect de la culture camerounaise. Ce qui ne les a pas empêchés de s’ouvrir au monde. « À la maison, où seule la langue douala était autorisée, nous écoutions aussi bien les musiques africaines que la pop des Beatles, la bossa-nova brésilienne ou la musique classique », se souvient-il.

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Fusion

Il apprend le piano au conservatoire et découvre sanza, xylophone et flûte pygmée sous le regard bienveillant de son père. À table, les dîners se transforment en concerts improvisés. Patrick se sert des couverts, des bouteilles et même de son propre corps pour créer des percussions originales. Dans les dernières années de sa vie, Francis Bebey s’est appuyé sur son talent. Sur scène, la voix du fils s’est substituée à celle du père, dont les cordes vocales ont été abîmées par une opération chirurgicale. S’accentue alors cette relation quasi fusionnelle entre les deux hommes. Pour qui écoute les yeux fermés le fils chanter, le père semble de retour : le timbre de voix et le phrasé sont identiques, en particulier lorsqu’il interprète Stabat mater dolorosa. Patrick Bebey se défend de tout mimétisme, mais n’en est pas peu fier, répétant à l’envi que les chiens ne font pas des chats. Il n’a pas l’impression d’avoir grandi dans l’ombre d’une célébrité. D’autant que son deuxième album résonne comme un pacte entre eux deux.

Paru en 2010, Oa na mba, qui signifie, suivant l’intonation employée, « toi et moi » ou « tu as dit que c’est mon tour », formalise la volonté paternelle de voir Patrick perpétuer la tradition. Une mission que le fils, vouant une admiration sans bornes pour son père, a accepté d’accomplir. Son style oscille entre jazz, rythmes brésiliens et africains, et il manie des techniques vocales puisées dans le patrimoine pygmée, qu’il défend bec et ongles.

S’il est conscient de susciter parfois de la curiosité, marié à une enseignante d’origine espagnole, ce père de deux enfants estime s’être fait un prénom. Ray Lema dit voir en lui l’un des artistes africains les plus ouverts et les plus ancrés dans sa culture, l’un des rares à faire le grand écart entre la musique africaine et les autres, sans la moindre fausse note. « C’est aussi un personnage humainement élégant, » ajoute le musicien congolais à qui Patrick Bebey doit ses sept années de collaboration avec le Français CharlElie Couture. Musicien particulièrement prisé et accompagnateur de luxe, il a travaillé avec Mory Kanté, Papa Wemba, Simphiwe Dana, Miriam Makeba (qui s’y était reprise à trois fois pour l’avoir à ses côtés), Bopol Mansiamina… Il ne croit pas non plus qu’on attende plus de lui parce qu’il est le fils de son père. « Peut-être parce que je donne plus que ce que les gens espèrent », conclut-il dans un dernier éclat de rire.

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