Danse : Mufasa, hip-hop évolution
Fragile et fonceuse, Mufasa, virtuose hypersensible, réinvente les codes de la danse urbaine.
Le scénario est presque toujours le même. 1 m 70, 55 kg. Frêle sous sa lourde crinière brune, une jeune métisse s’avance d’un pas léger pour la battle, une confrontation amicale entre danseurs hip-hop basée sur l’improvisation. Cris d’encouragements. Caisse claire qui claque. Le public resserre le cercle. Le temps de trois morceaux nerveux, la brindille de 26 ans affronte des gaillards souvent plus costauds qu’elle. Et laisse ses adversaires KO debout.
Sandrine Lescourant, alias Mufasa, affiche un palmarès impressionnant : elle a arraché des victoires partout sur le globe, au championnat Red Bull, au B-Boy Championships, au Street Dance Kemp… soit les compétitions internationales les plus relevées de cette discipline entre danse et combat. Pourtant, se défiant de la starisation, l’étoile fait profil bas. Elle incarne une génération qui n’en finit pas de casser les clichés. Cliché numéro un, donc, danse hip-hop ne rime pas forcément avec mâle alpha baraqué, casquette crânement vissée à l’envers. Ni avec banlieue. Si Mufasa est originaire de Seine-Saint-Denis (banlieue nord-est de Paris), elle s’est intéressée à la danse urbaine sur le tard, après un déménagement à Nice (sud de la France). Dans le 93, à l’âge de 8 ans, elle a commencé par de longues années de danse classique, enchaînant ensuite avec du modern jazz et du dancehall (la danse associée à la musique ragga).
Cette fille d’un père martiniquais et d’une mère moitié algérienne moitié espagnole se nourrit de toutes les influences. Elle a travaillé avec une compagnie de danse africaine traditionnelle, une discipline qu’elle rapproche du hip-hop. « La musique et l’énergie ne sont pas les mêmes, mais on retrouve des pas presque identiques dans ces deux styles », explique-t-elle. Elle cite le film Rize, de l’Américain David LaChapelle, sorti en France il y a une dizaine d’années, qui faisait le parallèle entre le krump, l’une des danses urbaines les plus violentes, et les danses tribales. Mêmes codes, mêmes mises en scène d’affrontements, mêmes mouvements.
Un père martiniquais, une mère mi-algérienne mi espagnole, elle se nourrit de toutes les influences.
Egotrip
C’est en se rendant à ses répétitions de danse africaine, à Nice, que Mufasa est pour la première fois tentée par le hip-hop. « Des groupes s’entraînaient en plein air, sur l’esplanade située devant le musée d’art contemporain, avec leur propre sono. J’ai eu envie de les rejoindre, mais j’étais impressionnée. Et puis un jour j’ai fini par prendre mon propre son et tenter des choses en faisant des mélanges. » Ses premiers pas lui permettent de rencontrer quatre autres danseurs déjà insérés dans le circuit des battles avec lesquels elle crée un groupe : Egotrip.
Sandrine cède bientôt la place à Mufasa. En battle, la demoiselle, d’abord révoltée par ces bagarres de danseurs un peu vaines, se transcende. Sur le bitume, son corps est pris de saccades, de convulsions, crie la rage et la tension. Quand d’autres enchaînent les mouvements techniques, elle donne forme aux sentiments et vous passe ses frissons. « Ce qui est beau, c’est le côté rue, spontané, la proximité avec les spectateurs : on peut voir perler tes gouttes de sueur. J’évacue des émotions et je les transmets. Il y a une communion des âmes. On pense que les battles sont juste des moments de fun, mais certains sont déjà venus me voir à la fin en pleurant. »
Ce bouillonnement intérieur que la danse urbaine lui a appris à canaliser, Mufasa le met aujourd’hui au service de la danse contemporaine. Elle est actuellement en tournée avec la compagnie Dernière Minute dans le spectacle Standards, qui sera présenté notamment à Paris les 27 et 28 avril dans le cadre du festival Hautes Tensions (parc de La Villette) et du 29 mai au 2 juin au Centquatre. Oui, les danseurs hip-hop peuvent s’intégrer dans un circuit institutionnel. Un dernier cliché brisé.
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