« Les guignols » : poupées de satire, poupées de dérision
En Tunisie et au Maghreb, Les Guignols cartonnent. Irrésistiblement caustiques, ils séduisent même les politiques, surtout ceux qui ont leur marionnette. Les autres attendent d’avoir ce privilège.
L’actualité est si pesante que mieux vaut en rire ! Partant de ce principe, en partenariat avec Canal+, la chaîne tunisienne à vocation maghrébine Nessma TV a lancé Les Guignols du Maghreb. Un succès immédiat pour les marionnettes, reines de la satire politique. Ce n’est pas la première expérience en Tunisie mais, à ce jour, c’est la plus aboutie. En juillet 2012, le programme Al logique al siyassi (« logique politique ») d’Ettounsiya TV, chaîne étatique, avait été le premier à brocarder avec férocité les leaders politiques tunisiens au point d’indisposer le pouvoir en place.
« Trois minutes de Guignols font plus de tort au gouvernement que toute l’opposition », avait asséné Lotfi Zitoun, alors conseiller du chef du gouvernement. Sous la pression, l’émission a été suspendue un temps. L’exclusivité des Guignols a aussi été l’objet de contentieux, en août 2012, entre Ettounsiya et Nessma TV. Zig Zag Production, fabricant français des marionnettes, avait vendu à chacune les droits d’exploitation. Finalement, une décision de justice a autorisé les deux chaînes concurrentes à utiliser les marionnettes.
Au fil des mois, les poupées de latex d’Ettounsiya ont perdu de leur causticité. Pourtant, elles continuent de déranger. « Il faut respecter les symboles nationaux, le président de la République, le président du Parlement, le chef du gouvernement… », tempête Abdellatif Mekki, ministre de la Santé tunisien. Avec Les Guignols du Maghreb, les téléspectateurs, lassés par les formats d’information convenus, jubilent. « Nous faisons un journal télévisé décalé, déjanté, à la fois burlesque et satirique, explique Nabil Karoui, le patron de Nessma TV. Il est essentiel de trouver le ton juste. Dans le vivier politique et médiatique actuel, la réalité dépasse notre fiction. On n’invente rien, on pioche dans l’actualité. On titille, on raille sans être ni méchants ni humiliants. Cette télé dans la télé dit tout haut ce que les gens pensent tout bas. »
Lignes jaunes
Marocains, Algériens et Tunisiens adorent cette dérision qui désacralise les politiciens. Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement marocain, remporte la palme de la popularité avec plus de 1 million de clics pour les rediffusions sur internet, tandis que le sulfureux Cheikh Zemzmi y est régulièrement démystifié. Si le ministre de l’Intérieur algérien, Dahou Ould Kablia, et Fouad Ali El Himma, conseiller au cabinet royal marocain, ont leur marionnette, certaines lignes jaunes ne sont pas franchies. Le président Bouteflika et Mohammed VI sont intouchables, alors que Moncef Marzouki a assez d’humour pour apprécier sa marionnette.
Dans une dédicace à Nessma, le chef de l’État tunisien écrit : « À une chaîne qui m’aime si bien qu’elle met en avant ma neutralité », clin d’oeil à son personnage qui ne prend pas de décisions sans consulter Rached Ghannouchi. Béji Caïd Essebsi, fondateur du parti Nida Tounes et rival de la formation islamiste, est plus critique. Il estime que la ressemblance et sa voix sont perfectibles. Tout est dans la nuance juste et elle a un coût.
La fabrication d’une matrice de marionnette revient à 6 000 euros, et son tirage à 2 500 euros. « C’est la minute la plus chère de l’audiovisuel du Maghreb », affirme Nabil Karoui, qui refuse de parler budget mais reconnaît qu’il est difficile de trouver des voix. Douze marionnettistes, cinq à six auteurs au quotidien, dont des Algériens et des Marocains, quatre imitateurs et une équipe de production donnent au quotidien cinq minutes à des marionnettes qui deviennent parfois plus populaires que leurs modèles. « Cela fait un bien fou à la démocratie ! » s’exclame un fan.
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