La francophonie, voie d’avenir pour une science forte et solidaire
Selon un collectif d’acteurs scientifiques et politiques (Rémi Quirion, Lassina Zerbo, Damien Cesselin, Jean-François Delfraissy, Abdoulaye Gounou, Francine Ntoumi et Coumba Thiandoume*), il est urgent d’investir le terrain de la recherche en français pour influer sur les pratiques internationales. Et ce, afin de faire enfin entendre les vrais besoins des pays africains.
TRIBUNE – Tous les décideurs dans le monde ne tirent pas les mêmes bénéfices des connaissances scientifiques. En effet, notre localisation sur le globe, notre maîtrise des langues ou encore la solidité de nos réseaux de recherche influencent largement notre accès à une information scientifique de qualité, dans des délais compatibles avec la prise de décision politique. Ces inégalités sont complexes, et elles prennent racine, entre autres, dans la façon dont l’activité scientifique s’est mondialisée dans les dernières décennies.
Déséquilibre
La coopération internationale accélère de manière impressionnante l’avancement des connaissances, que ce soit en physique des particules, dans l’exploration spatiale ou pour la production d’un vaccin antiviral en moins de dix-huit mois. Cependant, les modèles de collaboration, qui s’appuient principalement sur la contribution financière des États ou sur le potentiel économique des découvertes dans une logique de partenariat public-privé, désavantagent les pays aux revenus les moins élevés.
Selon l’Unesco, en 2018, alors que les pays à hauts revenus ont dépensé 890 dollars par personne dans la recherche et le développement, ceux du continent n’ont contribué qu’à hauteur de 26 dollars par personne. Conséquemment, ils deviennent tributaires d’intérêts de recherche extérieurs, et rencontrent alors des difficultés à promouvoir leur propre agenda, ainsi qu’à pérenniser des financements structurants au bénéfice de leurs populations.
La solution la plus évidente pour pallier ce déséquilibre est d’augmenter l’investissement africain en recherche et développement, en visant la cible de 1 % du PIB national sur le continent, fixée par les membres de l’Union africaine. C’est une condition nécessaire, mais non suffisante. Les pays africains doivent aussi prendre un leadership dans les grands consortiums de recherche internationaux afin d’influencer réellement les orientations de travail au regard des réalités du continent. Nous devons laisser de côté les principes de gouvernance basés sur les contributions financières au profit d’une logique basée sur la solidarité entre pays, si nous voulons résoudre les défis mondiaux d’aujourd’hui, et mieux nous préparer à ceux qui se présenteront demain.
S’ouvrir à une recherche libre et accessible
À cet égard, la solidarité francophone offre une occasion unique de changer la donne, d’autant plus que l’espace francophone est en pleine mutation. Près de 60 % des 321 millions de locuteurs francophones résident en Afrique et dans l’océan Indien, au sein d’une population très jeune. D’ici à 2050, nous serons potentiellement plus de 700 millions à parler français, dont 85 % sur le continent. Dans ce contexte, l’Afrique exerce une influence décomplexée au sein de grandes instances telles que l’Organisation internationale de la Francophonie, sous l’égide de secrétaires généraux comme Abdou Diouf ou Louise Mushikiwabo.
La communauté scientifique doit saisir cette occasion unique de pratiquer et de publier la science en français, d’influencer les pratiques internationales et de s’ouvrir à une recherche libre et accessible à tous en rejoignant des initiatives telles que le Plan S, la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (Dora) ou la Recommandation de l’Unesco sur une science ouverte. C’est dans cette optique que sera lancé dans les mois qui viennent le Réseau francophone international en conseil scientifique, afin que les connaissances produites à l’échelle locale, régionale et mondiale soient utilisables et utilisées par les grands décideurs du continent, pour bâtir l’Afrique et le monde de demain.
*Les signataires :
Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec et président de l’INGSA (Réseau international en conseil scientifique gouvernemental)
Lassina Zerbo, président de la Commission de l’énergie atomique du Rwanda, président du Comité d’orientation du Réseau francophone international en conseil scientifique et ancien secrétaire exécutif de l’Organisation du traité d’interdiction complet des essais nucléaires
Damien Cesselin, secrétaire général administratif de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique et président du Conseil scientifique Covid-19 de France
Abdoulaye Gounou, directeur général adjoint de l’Évaluation des politiques publiques et de l’Observatoire du changement social au ministère du Développement et de la Coordination de l’action gouvernementale du Bénin
Francine Ntoumi, présidente de la Fondation congolaise pour la recherche médicale
Coumba Thiandoume, directrice de la promotion de la culture scientifique, ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du Sénégal
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