Tunisie : Kaïs Saïed épinglé par la Cour africaine des droits de l’homme
L’organe judiciaire de l’Union africaine dénonce les manquements du chef de l’État tunisien en matière de respect des droits de l’homme. En cause, plusieurs décrets présidentiels et l’absence d’une Cour constitutionnelle, qui permettrait aux citoyens de faire valoir leurs droits.
La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a rendu, jeudi 22 septembre, à l’occasion de sa 66e session ordinaire, qui s’est déroulée à Arusha, en Tanzanie, une ordonnance très sévère à l’encontre de Carthage. La juridiction répondait à la requête de l’avocat tunisien Brahim Belghith, qui accuse le pouvoir exécutif de contrevenir à plusieurs articles de la Charte de Banjul de 1981, relatifs notamment à l’autodétermination des peuples et à leur droit de participer aux affaires du pays.
La Cour a retenu la violation des articles 1 et 13 de la Charte – qui concernent précisément le droit de participer aux affaires du pays – et a également dénoncé l’absence de Cour constitutionnelle. Pointant un « vide juridique important », la CADHP exige que soit mis en place cet organe législatif promulgué par la Constitution de 2014, garant de la primauté de cette dernière et chargé de protéger la démocratie.
L’ordonnance met par ailleurs en cause plusieurs décrets présidentiels pris par Kaïs Saïed en 2021 : ceux des 26, 29 juillet et 24 août, entre autres, qui mettaient fin aux activités parlementaires et levaient l’immunité des députés ; celui du 22 septembre, qui confirme ces mesures et renforce le pouvoir du président, l’autorisant notamment à gouverner par décret selon son bon vouloir ; enfin celui du 11 octobre portant nomination de Najla Bouden à la tête du gouvernement.
Le pouvoir tunisien avait pourtant tenté de court-circuiter la requête individuelle de Brahim Belghith, soulignant « l’absence de preuves de violations des droits de l’homme » et une « atteinte au principe de souveraineté nationale ». Arguments rejetés par la Cour. Cette dernière a d’ailleurs rappelé être compétente pour traiter tous les cas contenant « des allégations de violation d’un ou plusieurs des droits protégés par la Charte […], que les violations alléguées concernent ou non la paix et la sécurité internationales ».
Une décision d’abord symbolique
Mais quelle peut réellement être la portée de la décision prise le 22 septembre ? 33 des 55 membres de l’Union africaine (UA) ont ratifié la création de la CADHP. En outre, la Tunisie fait partie des huit derniers États (avec le Burkina Faso, le Mali, le Malawi, la Guinée-Bissau, le Niger, le Ghana et la Gambie) à permettre encore aux organisations non gouvernementales et aux individus de saisir directement la Cour. Le Bénin et la Côte d’Ivoire se sont quant à eux retiré en mai 2020 du protocole autorisant cette saisine par les ONG et les particuliers.
La Cour est régulièrement critiquée en raison de l’absence de mécanismes coercitifs, et donc concrètement de son impuissance. D’autres lui reprochent, à l’inverse, son « immixtion » dans des affaires intérieures, comme le Bénin et la Côte d’Ivoire, qui dénonçaient une « atteinte à la souveraineté nationale » en 2020. Si la décision épinglant le chef de l’État tunisien a donc une réelle portée symbolique, on sait aussi que les ordonnances de la Cour tardent souvent, c’est un euphémisme, à produire leurs effets. La reconnaissance par la Cour des manquements aux droits de l’homme en Tunisie pourrait toutefois refroidir certains investisseurs étrangers soucieux de leur image.
Une autre requête individuelle concernant la Tunisie a été déposée en avril 2021 par Samia Zorgati. Cette dernière demande à la Cour d’ordonner un retour à la Constitution de 1959 et de « déclarer la Constitution du 27 janvier 2014 nulle ». Elle pointe du doigt « l’effondrement de l’État de droit » en Tunisie depuis 2011. La Cour n’a pas statué sur cette requête lors de la session qui s’achève ce 23 septembre.
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