Liberia : Ducor Palace, vestiges cinq étoiles
C’était le plus bel hôtel d’Afrique de l’Ouest, le lieu de rendez-vous de la bonne société des années 1950… Aller au Ducor Palace, à Monrovia, c’est se replonger dans un demi-siècle de faste et de chaos « made in Liberia ».
Impossible d’y entrer sans être accompagné. « Trop dangereux », selon les deux gardes qui, matraque sur la hanche, montent la garde. Moyennant quelques dollars américains, ils acceptent de jouer les guides. « Let’s go! » Commence alors la visite de ce qui était, il y a encore trois décennies, le plus bel hôtel du Liberia – et sans doute d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, le Ducor Palace n’est plus qu’un amas de ruines.
À l’intérieur, il n’y a plus ni vitres, ni portes, ni lampes, ni meubles… Il n’y a plus rien. Sous la crasse accumulée, les murs tiennent encore, mais il faut faire attention aux sols, défoncés, instables, envahis par les mauvaises herbes. Étrange endroit que celui-ci, où la nature reprend ses droits et paraît sur le point de gagner son combat contre le béton nu.
Dans le hall d’entrée, deux femmes vendent tee-shirts, bijoux et souvenirs. Pour rejoindre le premier étage, il faut emprunter un grand escalier courbe, sans rampe, et que l’on imagine autrefois majestueux. Là, un groupe d’enfants joue au foot dans une vaste piscine vide, mais dont le fond est toujours étonnamment bleu.
Jim Johnson, un Américain de 52 ans, n’en croit pas ses yeux. Fils de militaire, il a vécu à Monrovia dans les années 1970 et habitait à deux pas, dans le quartier des ambassades. « On appelait cette piscine le rein à cause de sa forme, se souvient-il. C’est ici que j’ai appris à nager et à plonger. Avec mes frères, nous montions dans les étages pour voir qui pourrait sauter et atterrir directement dans l’eau. » Jim Johnson décrit une atmosphère digne des films hollywoodiens, entre chaises longues, parasols et maillots de bain. Toute la bonne société se retrouvait au Ducor Palace – avec, parfois, un certain avant-gardisme. « Il y avait des enfants de toutes les couleurs, de toutes les origines. Mon professeur de tennis était africain-américain, sa femme était blanche… C’est ici, à Monrovia, que j’ai vu un couple mixte pour la première fois. »
Plus grand, plus beau
L’hôtel a été bâti dans les années 1950 sous la longue – 27 ans – présidence de William Tubman. Le chantier avait été confié à un intime du chef de l’État, l’architecte et entrepreneur israélien Moshe Mayer. Tubman le remercia, le 2 janvier 1960, en le faisant officiellement « Libérien d’origine israélienne ». Construit face à l’océan Atlantique, sur Snapper Hill, tout près de Broad Street, la principale artère commerçante de la ville, le Ducor s’élevait sur huit étages. Géré par la compagnie InterContinental Hotels, il était parvenu à obtenir une 5e étoile pour prendre la dénomination de palace.
À l’époque, l’hôtel reçoit les dirigeants du monde entier. On dit que le tyran ougandais Idi Amin Dada nagea une fois dans la piscine tout en gardant son arme à la main. Dans sa biographie de Félix Houphouët-Boigny, le journaliste Frédéric Grah Mel raconte comment le président ivoirien fut séduit par le Ducor, où il avait fait escale le 28 novembre 1960. « Dès cette nuit, sa religion est faite : Abidjan doit avoir un établissement de cette nature mais en plus grand et en plus beau. Il demande à son homologue William Tubman de lui en présenter l’entrepreneur […]. Les lignes du Ducor InterContinental Hotel de Monrovia, son profil, ses ouvertures sont la préfiguration de ce que sera l’hôtel InterContinental Ivoire d’Abidjan. Mais Houphouët n’avait pas oublié […] qu’il voulait que l’immeuble de Côte d’Ivoire soit meilleur à tous égards, qu’il soit plus grand, plus beau, plus impressionnant ! » Les travaux de l’hôtel Ivoire, à Abidjan, commencèrent dans la foulée, en 1961.
L’histoire du Ducor se mêle à celle du Liberia. Deux histoires enchevêtrées, même dans le chaos. Et quand, en 1980, Samuel Doe prend le pouvoir par un coup d’État sanglant, qui mit un terme à près de cent trente années de domination politique et économique des descendants d’esclaves affranchis venus des États-Unis, il installe rapidement un régime de dictature. Le Liberia devient infréquentable, les élites d’autrefois fuient à l’étranger, les touristes, les hommes d’affaires et les diplomates se font rares… C’est le début de la lente agonie du Ducor.
Lorsque éclate la guerre civile dans le nord-est du pays, en décembre 1989, et que les troupes de Charles Taylor avancent vers Monrovia, le bâtiment est abandonné, pillé.
Genie Gratto, une blogueuse américaine de 38 ans, était encore à Monrovia en 1984. Fille d’expatriés, elle se souvient de cette époque où l’hôtel a perdu sa franchise InterContinental. « Le personnel utilisait encore des couverts, des linges et d’autres objets siglés InterContinental, mais tout avait l’air très usé. Le restaurant et les chambres paraissaient hors d’âge. Le Ducor était très peu éclairé, comme s’il était déjà sur le déclin. »
Lorsque éclate la guerre civile dans le nord-est du pays, en décembre 1989, et que les troupes de Charles Taylor avancent vers Monrovia, le bâtiment est abandonné, pillé. Les criminels, les enfants des rues, puis des familles entières y trouvent refuge ; des petits commerces s’y installent… Pendant dix-huit ans, le Ducor sera transformé en squat géant, plus « populaire » que jamais.
Casse-tête
Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir d’Ellen Johnson Sirleaf, en 2006, pour que l’ancien palace soit évacué et nettoyé – ce sera fait en 2007, malgré la résistance de ses « habitants ». L’année suivante, en visite à Tripoli, la présidente libérienne finalisera les termes d’un accord de rénovation par le gouvernement libyen qui, en échange, devait se voir accorder la gestion du nouvel établissement. Les réparations sont estimées à 55 millions de dollars, pour 150 chambres de haut standing, plusieurs restaurants, et même un centre commercial. Plusieurs fois reporté, le projet est définitivement oublié avec la mort de Mouammar Kadhafi.
Aujourd’hui, le dossier Ducor est un véritable casse-tête. Car le « Guide » libyen a beau avoir disparu, certaines des entreprises engagées dans sa rénovation (comme la Libyan African Investment Company, la LAICO) ont signé des contrats avec les autorités libériennes. Reste à savoir si le réchauffement des relations diplomatiques entre Tripoli et Monrovia, amorcé fin 2012, permettra de relancer le projet. En attendant, les jeunes amoureux, parfois autorisés à monter au dernier étage, pourront encore profiter à la nuit tombée du plus beau visage de Monrovia.
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Par Haby Niakate, envoyée spéciale
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