Algérie : pourquoi la justice française refuse d’extrader le blogueur Amir Dz
La Cour d’appel de Paris vient d’opposer un refus aux neuf demandes d’extradition émises par la justice algérienne à l’encontre du blogueur Amir Dz, officiellement poursuivi pour une myriade de chefs d’accusation.
Ce sont deux décisions que l’on peut qualifier de camouflets pour la justice algérienne en matière de demandes d’extradition d’opposants installés à l’étranger. La Cour d’appel de Paris a rejeté, en audience publique, le 21 septembre, les demandes d’extradition d’Amir Boukhors, alias Amir Dz, 39 ans, présenté, selon les sources, comme un opposant, un blogueur ou un lanceur d’alerte.
La Cour d’appel de Paris a émis, dans deux arrêts auxquels Jeune Afrique a eu accès, un avis défavorable à sept demandes d’extradition fondées sur sept mandats d’arrêt délivrés entre 2015 et 2019 contre Amir Dz. La Cour a également prononcé un autre avis défavorable à deux autres demandes d’extradition émises sur la base de deux autres mandats d’arrêt délivrés les 28 et 29 avril 2021.
Contrôle judiciaire levé
Présidée par Mme Belin, la Cour a en outre ordonné la levée du contrôle judiciaire sous lequel l’opposant était placé, en France, depuis le 7 juillet 2020. Amir Dz est aujourd’hui dans l’attente d’une réponse à sa demande d’asile politique en France, déposée le 6 février 2021. À défaut d’une procédure en appel, les deux décisions seront définitives à compter du lundi 26 septembre.
Détenteur d’un compte YouTube suivi par 1,3 million d’abonnés et sur lequel il pourfend régulièrement les autorités algériennes, Amir Dz a fait l’objet de poursuites judiciaires en Algérie pour des délits divers et variés. Entre 2015 et 2019, il a été condamné à sept reprises – le total des peines cumulées s’élevant à 20 ans de prison – par les tribunaux de Relizane, Sidi M’hamed, Chlef, Cheraga et Aïn Defla, pour escroquerie, menaces, diffamation et chantage à la divulgation d’informations obscènes en vue de l’obtention de sommes d’argent, calomnie et atteinte à la vie privée ou encore outrage à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions.
Passible de la peine de mort
En avril 2021, Amir Boukhors a par ailleurs fait l’objet de deux demandes d’extradition pour » adhésion et affiliation à un groupe terroristes dans le but de répandre la terreur parmi la population », « adhésion à un groupe terroriste subversif et organisation visant à nuire aux intérêts de l’Algérie », « incitation des citoyens à prendre les armes contre l’autorité de l’État » et « éloge des actes terroristes ». Des faits passibles, selon les textes transmis à la justice française, de la peine de mort.
Les faits reprochés à Amir Boukhors reposent sur les aveux de deux prévenus : Ahcène Zorkana, un terroriste connu sous le pseudonyme de Abou Dahdah, et Ahmed Mansouri. Les deux hommes évoquent l’implication d’Amir Dz dans des opérations visant à déstabiliser le pays et semer la discorde et le trouble, en relation avec des activistes du mouvement islamiste Rachad, placé sur la liste des organisations terroristes par les autorités algériennes.
À la suite des neuf demandes d’extradition formulées par l’Algérie en raison de ces multiples chefs d’accusation, la justice française a demandé toute une série de compléments d’information aux tribunaux algériens : éléments incriminants, preuves matérielles retenues à son encontre, conditions et lieux de détention éventuels du prévenu en cas d’extradition, garanties sur le respect de son droit à des procès équitables et contre les risques de poursuites à caractère politique, garanties relatives au droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, et au droit de visite d’autorités judiciaires ou consulaires françaises en cas de remise, ou encore engagement que la peine de mort ne serait pas exécutée.
Les compléments d’information adressés par la justice algérienne à la suite des requêtes ordonnées par le parquet général de Paris n’ont pas été jugés suffisamment étayés et ne répondent pas aux garanties demandées par les magistrats français. La Cour d’appel estime ainsi important le risque que l’intéressé ne bénéficie pas « in concreto des droits attachés aux nécessités de sa défense et au respect de sa personne » en Algérie. La Cour prend en compte le « contenu imprécis des demandes d’extradition pour des faits extrêmement graves au regard des peines encourues et de la nature des faits imputés à l’intéressé ». Elle tient également compte « des dernières publications relatives au traitement judiciaire des dossiers relatifs à des opposants politiques ».
Un signal adressé aux autorités algériennes
Joint par Jeune Afrique, Me Éric Plouvier, avocat d’Amir DZ, se félicite de la décision de la justice française. « Force est de constater que les autorités algériennes n’apportent aucune garantie sérieuse sur le caractère non politique de leur demande. La situation actuelle en Algérie laisse craindre au contraire une violation grave des droits de M. Boukhors, et même un risque d’atteinte à sa personne en raison de ses activités politiques sur les réseaux sociaux », explique-t-il.
La décision de la Cour d’appel est un signal lancé aux autorités judiciaires et politiques algériennes quant au traitement des autres demandes d’extradition visant des opposants algériens installés en France ou en Europe, et qui font l’objet de poursuites judiciaires ou de condamnations dans leur pays d’origine.
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