Côte d’Ivoire – Farine : entre Seabord et Carré d’Or, la guerre des moulins à son comble
Avec deux récents investissements, les Grands Moulins d’Abidjan, filiale de Seaboard, veulent consolider leur position dans le secteur, où ils sont au coude à coude avec les Moulins modernes de Côte d’Ivoire, filiale du groupe piloté par la famille Ezzedine.
Agrobusiness : le monde des moulins entre essor et turbulences
Porté par la consommation croissante de blé – sous forme de pain, de pâtes, de coucous…–, le dynamisme de la meunerie ne se dément pas sur le continent. Mais, entre une concurrence accrue et la hausse des coûts de production, l’équation économique est difficile à tenir.
Des groupes électrogènes flambants neufs depuis le mois de décembre dernier et six nouveaux silos de stockage depuis celui de juin, pour un investissement cumulé de 12 millions d’euros. Meuniers historiques de Côte d’Ivoire, longtemps en situation de quasi-monopole, les Grands Moulins d’Abidjan (GMA) font parler d’eux ces derniers mois. Rachetés au groupe Mimran en 2017 par le géant américain Seaboard Corporation (9,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2021), les GMA demeurent des acteurs de premier plan sur le marché ivoirien de la farine.
Mais, depuis le tournant des années 2010, ils ne sont plus seuls, ayant été rejoints par deux autres minotiers : les Moulins de Côte d’Ivoire (LMCI), du groupe ivoirien Avos, dirigé par Jean-Marie Ackah, et les Moulins modernes de Côte d’Ivoire (MMCI), du conglomérat ivoiro-libanais Carré d’Or, piloté par la famille Ezzedine. Si le premier est un compétiteur de taille modeste, le second s’est imposé comme un concurrent très sérieux (sollicités, aucun des trois groupes n’a souhaité s’exprimer). Sur un marché représentant quelque 600 000 tonnes de blé par an et en plein essor comme dans toute l’Afrique de l’Ouest, c’est désormais un bras de fer qui se joue.
Autonomie énergétique
Dans ce contexte et en période de tensions internationales sur le marché des céréales en raison de la guerre en Ukraine, le double investissement des GMA, dirigés par l’Allemand Marc Alexy depuis 2020, n’est pas passé inaperçu. À la fin de 2021, le groupe, qui revendique un chiffre d’affaires de plus de 50 milliards de francs CFA (76 millions d’euros) et emploie 250 collaborateurs, a mis sur la table deux millions d’euros pour s’équiper en groupes électrogènes (d’une puissance totale de 6 mégawatts) afin d’assurer son autonomie énergétique. Six mois plus tard, il a inauguré six silos de stockage de blé, un projet chiffré à 10 millions d’euros lui permettant d’atteindre une capacité de stockage de 50 000 tonnes, comparable à celle des MMCI (40 000 tonnes avec un projet d’extension en cours).
Notables, ces efforts ne traduisent toutefois pas une stratégie de conquête : loin d’étendre les capacités du groupe ou de diversifier ses activités – il est déjà présent sur le créneau de l’aliment pour bétail –, ils sont venus consolider l’existant et remédier à certaines faiblesses. Dans les tuyaux depuis plusieurs années mais jamais réalisé, le programme d’équipement en groupes électrogènes est devenu une urgence après l’épisode de délestage massif qu’a connu la Côte d’Ivoire aux mois de mai et de juin 2021. Ayant touché tous les industriels, ce dernier a été particulièrement violent pour les GMA qui, faute d’électricité issue du réseau national et sans solution de remplacement, ont vu leur production chuter de 70 % du jour au lendemain.
Confrontation de mastodontes
De même, la portée de l’investissement dans le stockage doit être relativisée. Jusqu’à présent, le groupe composait avec des capacités réduites en raison de la vétusté de certaines infrastructures. Avec l’inauguration des nouveaux silos, il n’a fait que récupérer sa capacité initiale. Sur un autre volet, il a aussi dû gérer des tensions sociales après le déclenchement de grèves aux mois de mars 2021 et de mai 2022 afin de réclamer notamment des hausses de salaires et de meilleures conditions de travail, un processus qui s’est soldé par des licenciements. Contestés par les ex-salariés, ceux-ci ont cependant été validés par l’inspection du travail.
Surtout, les GMA doivent faire face à un concurrent qui, entré sur le marché avec les mêmes capacités d’écrasement que lui (1 000 tonnes par jour), a pris toute sa place dans la meunerie ivoirienne. Installés sur le port d’Abidjan comme GMA, les MMCI bénéficient des atouts liés au profil de leur maison mère, Carré d’Or, un conglomérat présent dans la grande distribution, la production alimentaire, la logistique et le transport. Le meunier peut ainsi s’appuyer sur d’importants moyens financiers, une bonne connaissance du marché et un solide réseau de distribution, entre autres.
Ayant investi dans un outil industriel haut de gamme de la marque suisse Bühler (comme les GMA avant eux), les MMCI ont aussi parié sur la diversification : ils sont capables de moudre du blé tendre (pour la fabrication de farine) comme du blé dur (utilisé pour les pâtes et la semoule), ce qui leur a permis de lancer une usine de pâte alimentaire. « Les GMA et les MMCI sont deux mastodontes, mais le premier semble dans une position attentiste quand le second paraît plus offensif », commente un bon connaisseur du secteur.
La variable des coûts du fret
In fine, il est difficile de départager les deux opérateurs. Si, de l’avis de plusieurs experts, la société MMCI importe et écrase actuellement plus de blé que l’entreprise GMA, ce dernier n’en reste pas moins leader sur le segment spécifique et clé de la farine. Même coude à coude sur le volet industriel : MMCI tire profit d’un équipement plus moderne qui doit toutefois être amorti, quand GMA a franchi ce cap mais doit composer avec un moulin moins performant.
Sur l’approvisionnement en blé, les modèles sont différents. Les GMA s’appuient sur un système intégré et autonome, le groupe Seaboard disposant de sa propre flotte de bateaux et d’un bureau de trading associé, ce qui permet une meilleure résistance à la hausse mondiale du coût du fret. Les MMCI passent, eux, par les traders qui opèrent habituellement dans la région, et peuvent ainsi commander des bateaux entiers pour négocier des tarifs compétitifs.
Initié depuis plusieurs années, le duel GMA-MMCI semble parti pour durer. Avec une capacité de 300 tonnes par jour, le troisième et dernier acteur, LMCI, n’est en effet pas en mesure de rivaliser en volume, quand bien même sa stratégie fondée sur la qualité et la diversification est saluée. Au-delà des rumeurs d’installation d’acteurs étrangers (sénégalais, mauritaniens ou encore turcs), deux projets de moulin portés par des opérateurs ivoiriens ont été lancés, mais, encore une fois, avec des capacités d’écrasement modestes. Pas de quoi, à court terme, perturber le paysage actuel.
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Porté par la consommation croissante de blé – sous forme de pain, de pâtes, de coucous…–, le dynamisme de la meunerie ne se dément pas sur le continent. Mais, entre une concurrence accrue et la hausse des coûts de production, l’équation économique est difficile à tenir.
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