Vatican : les trois chantiers du nouveau pape François

Devenu, le 13 mars, le premier souverain pontife issu du continent américain, le nouveau pape François attire la sympathie par son attitude modeste et sa réputation de simplicité. Mais pourra-t-il revigorer une Église affaiblie ? Et faire avancer les grands chantiers qui l’attendent : questions de société et reconstruction de l’image dégradée des catholiques, paix dans le monde et médiations internationales et, enfin, réforme de la curie romaine… Début de réponse ce 22 mars, où il doit s’adresser au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, à la veille d’un déjeuner avec son prédeccesseur, Benoît XVI, à Castel Gandolfo.

Le nouveau pape François saura-t-il réformer la curie pour donner un nouveau cap à l’Église ? © AFP

Le nouveau pape François saura-t-il réformer la curie pour donner un nouveau cap à l’Église ? © AFP

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Publié le 22 mars 2013 Lecture : 6 minutes.

En cette soirée du 13 mars, la place Saint-Pierre, à Rome, est bondée. Une pluie fine et têtue tombe sur les milliers de catholiques et de curieux venus découvrir celui qui aura le privilège de succéder à Benoît XVI – sous d’autres latitudes, quand il pleut alors qu’un événement est attendu, c’est une bénédiction. Fébrile, la foule ne se décourage pas et agite des drapeaux. Tous les regards sont tournés vers l’objet le plus important du moment, la cheminée de la chapelle Sixtine. À 19 h 05, elle rend son verdict lorsque tous les fidèles voient une fumée blanche monter vers le ciel. Un pape a été élu. Puis vient le temps de l’excitation, des interrogations, de l’attente. Qui ? La question se pose. La patience est récompensée quand, au bout d’une quarantaine de minutes, le nom de Jorge Bergoglio est proclamé.

Stupeur ou perplexité, l’assistance se retient. Ce nom-là est inconnu de la plupart des catholiques, à moins qu’ils ne soient argentins comme le nouveau pape – né de parents d’origine italienne et qui a choisi François pour nom de règne – ou le Saint-Esprit lui-même. Lorsqu’il apparaît finalement sur le balcon, le souverain pontife est accueilli par un brouhaha et un crépitement d’appareils photos et de téléphones portables : il faut capturer l’instant. François – premier du nom – est là, solennel sans être théâtral, son visage de 76 ans bien marqué, sobrement vêtu contrairement à la tradition vaticane. Mgr Philippe Ouedraogo, archevêque de Ouagadougou, est parmi les millions de spectateurs qui, de par le monde, suivent l’événement en direct sur le petit écran. « J’ai été très heureux que l’Esprit saint ait déjoué tous les pronostics. Et surtout parce que celui qui vient d’être choisi est un évêque originaire d’Amérique latine. Il va apporter une sensibilité nouvelle à l’Église », raconte-t-il.

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Évêque de Rome

Avant même qu’il n’ait fait ses preuves, François a déjà suscité dans le monde une grande vague de sympathie. Le fait d’avoir demandé aux fidèles rassemblés place Saint-Pierre de le bénir avant qu’il ne les bénisse, de s’être incliné dans ce but, d’avoir délaissé le côté fastueux de la tenue papale et de s’être présenté comme « l’évêque de Rome » a beaucoup séduit. Quand on fouille dans son passé, on réalise que ce comportement n’est pas une posture, un positionnement tactique. Il a toujours vécu simplement, loin de l’abondance et des facilités. On a appris, par exemple, qu’à Buenos Aires, dont il était l’archevêque, il prenait le métro, vivait dans un modeste appartement, cuisinait seul. Il a stimulé les vocations dans les bidonvilles de la capitale argentine, où il se sentait comme un poisson dans l’eau. L’abbé José Mpundu, de l’archidiocèse de Kinshasa, se montre satisfait : « C’est de bon augure. J’ai apprécié ses premières paroles. Il a un langage humain, compréhensible par tout le monde, et c’est un bon point. Le fait qu’il ait demandé qu’on prie pour lui c’est l’humilité même, le besoin des autres. Maintenant, laissons-le travailler. »

Du travail, François n’en manque pas. Le nouveau patron de l’Église catholique romaine arrive à la tête d’une institution affaiblie, malade de ses structures, de son fonctionnement opaque, de la baisse des vocations chez les jeunes et de la crise de la foi en Europe, de l’archaïsme de certains de ses principes… Les chantiers qui l’attendent sont multiples. Sur les questions de société, tout d’abord. Si le nouveau pape accepte le baptême d’enfants de personnes divorcées, il n’y a rien à attendre de lui sur le mariage des homosexuels. Fidèle au dogme, il s’y oppose totalement, comme il l’a fait lorsque l’Argentine a adopté une loi l’autorisant. Il en est de même pour l’usage du préservatif comme moyen d’éviter la propagation du sida ou pour l’ordination de prêtres mariés et, a fortiori, de femmes. Des positions conformes à celle de l’Église catholique. Mgr Philippe Ouedraogo abonde dans le même sens. « Cette notion de mariage pour tous n’est pas aussi simple qu’on l’imagine. L’Église a ses repères, et notre référence reste la Bible. Nous devons y rester fidèles. La dialectique conservateur/progressiste n’a pas lieu d’être, car le rôle du pape n’est pas d’inventer un autre Jésus ni d’écrire une autre Bible. Néanmoins, nous devons instaurer un dialogue intelligent pour nous ouvrir aux défis du monde actuel », assure-t-il. Plus jeune, l’abbé José Mpundu a une autre approche : « Plutôt que de condamner les homosexuels, de les rejeter, le pape doit les écouter, chercher à comprendre ce qui se trouve derrière leur choix, se demander comment y répondre en fonction de l’Évangile », explique-t-il.

S’agissant des actes pédophiles qui ont terni l’image de l’Église ces dernières années, comment pourrait se comporter le pape ? Le père Joseph Ballong, rédacteur en chef à Radio Vatican, qui vit à Rome depuis un quart de siècle, ne voit qu’une possibilité pour le saint-père : « Il doit être ferme envers tous ceux qui se comportent de cette manière et nuisent à l’Église. Cette question relève de la justice et il ne peut pas en être autrement. »

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Voeux pieux

Compte tenu de son attention particulière à la souffrance des autres, le pape François sera sans doute amené à s’intéresser davantage aux conflits qui déchirent le monde, particulièrement en Afrique. Mais va-t-il, comme son prédécesseur, formuler des voeux pieux ? Ou pourra-t-il mener une autre politique, plus susceptible d’être entendue ? On ne voit pas bien comment. Le poids diplomatique du Vatican dépend de la crédibilité que les parties en conflit accordent à l’Église catholique en tant qu’autorité morale. Ce qui n’empêche pas de renforcer la capacité de médiation de la communauté de Sant’Egidio, installée à Rome et dont le succès dans la résolution de certains conflits, en Afrique ou ailleurs, est connu.

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Chez les catholiques romains, une espérance revient souvent : aller davantage dans le sens de la liturgie et de l’inculturation afin de favoriser l’enracinement de l’Église catholique dans les sociétés africaines. Ainsi, les fidèles pourront la considérer non pas comme une religion étrangère mais, au contraire, comme un culte qui leur appartient. D’autant que, même si l’Église est une et universelle, ses réalités, selon les latitudes, sont multiples.

Collegialité

Mais tous les espoirs de changement seront vains si François n’arrive pas à s’attaquer à l’essentiel : la réforme de la curie. Le mode de fonctionnement de ce gouvernement de cardinaux, confortablement installés à Rome, est marqué par l’opacité, le secret, les intrigues et l’immobilisme ; sa capacité de nuisance est connue. « La tâche qui attend le pape François est immense. L’Église catholique est comme un navire qui ne peut pas changer de cap du jour au lendemain. Mais le pape a la latitude pour donner un cap », rappelle Brice Bado, jésuite et politologue burkinabè. N’étant pas issu du moule habituel, le nouveau pape osera-t-il « purifier » cet univers ? Toute la question est là. Pour l’abbé José Mpundu, « le pape doit réformer la curie romaine pour qu’au lieu d’un gouvernement central du Vatican elle devienne une instance pastorale ». Mgr Philippe Ouedraogo renchérit : « Nous avons assisté, de loin, impuissants, à tous les scandales. C’est malsain. Il faut aller dans le sens du concile Vatican II, privilégier la collégialité dans l’action. Le carriérisme n’a pas lieu d’être. »

On reproche également à la curie romaine une centralisation paralysante. Pour y remédier, il faudra donner aux Églises locales beaucoup plus d’autonomie. Et, pourquoi pas, délocaliser les synodes, voire créer des conciles régionaux. Les problèmes sont nombreux et les défis à relever importants. Tout cela peut-il être réalisé sous l’égide de François, un pape de 76 ans, qui n’a plus qu’un poumon mais une tête claire et des épaules solides ? Les voies de Dieu sont insondables. Celles des hommes aussi. 

Quelle direction ?

Qui occupera le poste de secrétaire d’État ? C’est désormais la question qui domine les conversations au Vatican. Comme l’explique Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques de France, « la nomination que fera le pape François de son secrétaire d’État en dira très long sur sa conception de la gouvernance. Selon le profil qu’il choisira, on obtiendra une complémentarité entre un pape qui doit rayonner sur le plan mondial et un secrétaire d’État qui doit agir et prendre des décisions très concrètes ». Un choix d’autant plus crucial après les différentes péripéties qu’a connues le Saint-Siège pendant le pontificat de Benoît XVI.

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