Mali : comment gagner la paix

Les succès militaires dans le Nord-Mali ne suffisent pas. Tout un pays est à reconstruire, avec l’aide des donateurs étrangers, et les pièges sont nombreux !

Le grand marché de Gao. © John Macdouglas/AFP

Le grand marché de Gao. © John Macdouglas/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 27 mars 2013 Lecture : 4 minutes.

« Ce qui manque le plus, c’est le carburant », dit un commerçant de Gao. Le gasoil fait fonctionner les générateurs qui fournissent l’électricité et alimentent les stations de pompage. Or, depuis la crise, la société publique Énergie du Mali (EDM) ne fournit plus le précieux carburant. Seul le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) achemine des camions-citernes, mais pas assez. Du coup, au Nord, les gens vivent avec quelques heures d’électricité et quelques heures d’eau par jour. Pas d’écoles, pas de banques, pas d’administration… Deux mois après leur libération, les grandes villes du Nord manquent de tout. « On est contents d’avoir vu François Hollande à Tombouctou en février, dit un instituteur de la ville. Mais il est reparti à Bamako avec le gouverneur et le préfet. Et depuis, ces deux-là ne sont pas revenus ! »

L’État malien fait-il tout ce qu’il faut pour reconstruire le Nord ? « Les autorités pourraient faire plus, affirme un haut fonctionnaire malien. À part le CICR, il n’y a rien. L’État a du mal à se redéployer sur tout le territoire. Il n’y a même pas envoyé de mission d’évaluation ! » Le président du conseil régional de Tombouctou, Mohamed Ibrahim Cissé, reconnaît, lui aussi, qu’il y a des insuffisances, mais ajoute que « l’État reste prudent à cause des problèmes d’insécurité. Les gens ont peur de circuler ». Le 8 mars, près de Goundam, un transporteur, son chauffeur et ses deux apprentis ont été assassinés par des coupeurs de route. Bamako demande à tous les directeurs d’administration de reprendre leur poste dans les régions de Gao et de Tombouctou avant fin mars. Le feront-ils ? Il faudrait déjà que les gouverneurs et les préfets de ces deux régions renoncent au confort de la capitale…

Avec un régime à deux têtes, les bailleurs le savent, les risques d’évaporation de l’aide sont décuplés.

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Le nerf de la paix est à Bamako. Il est aussi à Bruxelles. C’est là que, le 15 mai prochain, l’Union européenne (UE) et la France organiseront une conférence des donateurs, à laquelle participera François Hollande. À Addis-Abeba, le 29 janvier, 455 millions de dollars ont été promis pour gagner la guerre contre les jihadistes. À Bruxelles, il faudra réunir une somme encore plus importante pour gagner la paix. L’UE a déjà annoncé une enveloppe de 250 millions d’euros, et la France une aide de 141 millions d’euros – qui était gelée depuis le coup d’État de mars 2012. Mais cela ne suffira pas. Déminer, reconstruire les ponts et les bacs, réparer les réseaux électriques et les stations de pompage… Les urgences sont multiples.

Déjà, l’UE et la France se sont réparti la tâche. Paris doit financer le rétablissement de l’eau et de l’électricité. Bruxelles, le retour des gens chez eux. Près de 400 000 personnes vivent aujourd’hui dans des familles, dans le Sud ou dans des camps, en Mauritanie et au Burkina Faso. L’idée serait de leur verser du cash pour les aider à redémarrer leurs activités dans le Nord, où elles ont tout perdu. Mais au-delà, comme dit le ministre français délégué au Développement, Pascal Canfin, « il faut gagner la bataille des six mois, c’est-à-dire fournir des semences aux paysans d’ici au début de la saison des pluies, pour qu’ils réussissent la prochaine campagne agricole, et réhabiliter les écoles pour que les enfants ne manquent pas la prochaine rentrée scolaire ». Actuellement, 800 000 d’entre eux sont déscolarisés.

Pas les mêmes erreurs

Le Mali est-il en mesure de dire quels sont ses besoins ? « Oui, j’ai des interlocuteurs, répond Pascal Canfin. Le ministre de l’Action humanitaire [le docteur Mamadou Sidibé, NDLR] me signale que, pour remettre de l’électricité dans telle ville, il faut prévoir tant de litres de carburant et tant de camions-citernes. Ou le maire d’une commune évalue le nombre de pompes qui sont nécessaires pour relancer un périmètre irrigué. » Ce que refuse le ministre français, c’est le scénario haïtien : après le terrible tremblement de terre de janvier 2010, « on a construit une administration parallèle. Du coup, les ministères haïtiens ne géraient plus rien. Sans doute était-ce nécessaire dans l’urgence, mais on ne refera pas les mêmes erreurs ».

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La corruption ? « Avec un régime à deux têtes, un président et un ancien chef putschiste qui contrôle toujours l’appareil sécuritaire et la moitié des ministères, le risque d’évaporation de l’aide est décuplé », admet un ancien ministre malien. Les bailleurs ne sont pas dupes. Leur aide est adossée à l’avancée de la feuille de route votée par l’Assemblée malienne le 28 janvier : dialogue et élections. Côté français, Pascal Canfin souhaite mettre aussi en place un dispositif de contrôle citoyen : « Si un centre de santé est annoncé, et si rien ne vient au bout de trois mois, les élus locaux doivent pouvoir nous alerter par sms ou par les réseaux sociaux. » Le système fonctionne déjà en Tunisie avec l’aide de la Banque mondiale.

Autre arme anticorruption : la coopération décentralisée. D’où la conférence de Lyon, en France, ce 19 mars. À l’initiative de la région Rhône-Alpes et de Cités Unies France, une centaine de collectivités locales de France rencontrent leurs « jumelles » du Mali, soit une collectivité malienne sur six. Ce n’est pas rien. « Quand je vais voir un haut fonctionnaire pour faire avancer un dossier, il me répond : on est là-dessus, raconte la maire de Goundam, Oumou Sall Seck. En réalité, à Bamako, ils sont lents et ils ne s’occupent pas vraiment de nous. Il y a trop de faux problèmes et de petits règlements de comptes. » 

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