Yves-Michel Fotso : « La cible, c’est moi »

Depuis sa cellule, Yves-Michel Fotso réagit au psychodrame que traverse actuellement la Commercial Bank-Cameroun, dont il est l’actionnaire de référence. Un entretien accordé à Jeune Afrique.

Yves-Michel Fotso, président du conseil d’administration de Capital Financial Holdings Luxembourg. © AFP

Yves-Michel Fotso, président du conseil d’administration de Capital Financial Holdings Luxembourg. © AFP

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Publié le 22 décembre 2013 Lecture : 8 minutes.

Début décembre, l’administrateur provisoire de la Commercial Bank-Cameroun a fait expulser de l’assemblée générale de la sixième banque du pays les représentants de trois sociétés actionnaires (CFHL, Fotso Group Holdings et Dawney Holdings), appartenant à Yves-Michel Fotso. Depuis sa cellule, ce dernier a accepté de répondre par écrit aux questions de Jeune Afrique sur cet épisode.

Par ailleurs, dans son édition actuellement en kiosques, J.A. décrypte le psychodrame que traverse l’établissement. Ni l’administrateur provisoire de CBC, ni le ministre des Finances Alamine Ousmane Mey, n’ont souhaité pour l’instant répondre à nos questions.

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Propos recueillis par Omer Mbadi

Jeune Afrique : Avez-vous été informé de la procédure visant à nommer les quatre administrateurs sous séquestre qui vous remplacent aujourd’hui au sein de l’assemblée générale de la Commercial Bank-Cameroun (CBC) ?

Yves-Michel Fotso : Non, bien sûr que non. C’est un piège qui a été tendu à tous les actionnaires de la CBC qui ne se sont pas exécutés à la suite des injonctions formulées par le ministre des Finances au cours de l’audience du mois de juillet 2013, qu’il a accordé à une délégation représentant les 89 % d’actionnaires ayant voté contre le plan de l’administrateur provisoire à l’assemblée générale mixte du 20 mars 2013. Rien ne justifiait cette décision. Les actionnaires avaient été convoqués le 21 novembre pour une nouvelle assemblée le 9 décembre 2013. Même si nous ne comprenions pas le but de cette nouvelle convocation, il n’y avait aucune raison de croire que l’État essaierait de passer ainsi en force, et de mettre les actionnaires devant le fait accompli.

Nous estimons être victime d’une décision injuste et unilatérale de l’État du Cameroun.

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Je note au passage qu’il est injuste que le ministre des Finances nomme l’un de ses fonctionnaires comme « administrateur séquestre ». L’État ne peut pas être juge et partie à la fois.

Par ailleurs, aucune des sociétés étrangères, actionnaires de la CBC, dont notamment l’actionnaire de référence Capital Financial Holdings Luxembourg, une société de droit luxembourgeois, n’a reçu à ce jour une quelconque ordonnance de séquestre. Cette mesure n’est donc pas opposable aux actionnaires expulsés. De surcroît, le juge n’avait aucune compétence pour rendre cette ordonnance, qui fait d’ailleurs l’objet d’un recours par l’un des actionnaires camerounais.

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Que répondez-vous à l’autorité qui s’appuie sur une ordonnance du 24 juin 1996 (portant sur la restructuration des établissements de crédit) pour constater que l’action de l’administrateur provisoire est entravée par certains actionnaires – notamment le refus systématique d’adopter les comptes de 2012 ?

Le « refus systématique » d’approuver les comptes tient au fait que ceux-ci ont été manipulés par l’administrateur provisoire, avec la complicité ou tout au moins le regard passif des commissaires aux comptes, du ministre des Finances et, à n’en pas douter, de la Cobac [Commission bancaire de l’Afrique centrale, NDLR]. On ne peut contraindre un actionnaire à souscrire à des actes illégaux, d’autant plus quand la puissance étatique argumente que l’ordonnance de 1996 permettrait d’écarter tout contrôle judiciaire pendant la période de restructuration. Par ailleurs, il suffit de lire l’article 6 de l’ordonnance de 1996 pour comprendre que ce texte ne permet pas d’écarter un actionnaire au motif qu’il ne consent pas à approuver des comptes annuels truqués.

Plus précisément, pour ce qui est du refus de la vaste majorité des actionnaires (89 %) d’approuver les comptes de 2011 et 2012, je l’ai largement expliqué et argumenté dans ma lettre ouverte du 12 décembre 2013 au personnel de la banque. En effet les comptes présentés en assemblée générale ordinaire pour approbation doivent, selon la réglementation, présenter une image fidèle et sincère de la situation de l’entreprise. Or, il s’avère que des accords de remboursement portant sur quelques débiteurs et représentant plusieurs milliards de F CFA n’ont pas fait l’objet de reprise dans les comptes de la banque alors que nous détenions des preuves que des protocoles d’accord avaient déjà été signés et de l’aveu même de l’administrateur provisoire dans ses échanges avec le régulateur (Cobac). Des offres fermes d’apurement par lui-même jugées crédibles et acceptables ont purement et simplement été ignorées…

Pour ce qui est du refus d’approbations des comptes de 2012 […] la majorité des actionnaires a exigé, en vain, des explications sur les charges qui ont grevé le compte d’exploitation en six mois, pour que l’assemblée soit obligée de valider un résultat de 314 millions, c’est à dire de 80 % inférieur aux prévisions de mi-parcours ! […] Donc si la décision du ministre des Finances de mettre les actions de ceux qui exigent la clarté dans les comptes l’est dans le but de couvrir les actes de l’administrateur provisoire – qui n’a plus rien de provisoire d’ailleurs -, nous ne pouvons nous y opposer, mais estimons dans ce cas être victime d’une décision injuste et unilatérale de l’État du Cameroun, qui doit en assumer l’entière responsabilité.

Que reprochez-vous au plan de restructuration de l’administrateur provisoire pour vouloir en proposer un autre de votre cru ? Et que proposez-vous dans votre plan ?

En dehors des éléments comptables ci-dessus exposés, faisant cas de la manipulation des chiffres par l’administrateur provisoire en violation des textes de l’Ohada [Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, NDLR] sous le regard passif ou complice des deux commissaires aux comptes – qui justifient à eux seuls la non approbation des comptes et donc du plan de restructuration -, il y a cette violation flagrante des droits des actionnaires par l’administrateur provisoire qui décide, avec l’accord du ministre des Finances et celui de la Cobac, d’un coup d’accordéon sur le capital alors qu’il ne se justifie pas. Mais bien pire encore, il décide de supprimer les droits de souscription des actionnaires historiques au profit.

Ce que nous avons proposé dans notre plan de juillet 2013 consistait à nous subroger à une série de débiteurs pour plusieurs milliards de F CFA, de prendre en compte les accords de remboursements déjà conclus par l’administrateur provisoire (mais cachés aux actionnaires), d’annuler les provisions qui ne se justifiaient pas. L’ensemble de ces actions de notre plan permettait aux actionnaires historiques de conserver leurs parts au capital en valeur nominale, à l’État du Cameroun d’entrer dans le capital de manière légale par un abandon volontaire des actionnaires de leur droit de souscription à l’augmentation de capital. Et surtout, ce plan devait permettre à l’État du Cameroun de faire d’importantes économies en trésorerie.

Sans les actions délibérées de l’administrateur provisoire pour faire capoter l’accord que nous avions trouvé avec la Guinée équatoriale en décembre 2012, nous disposerions aujourd’hui en cash de bien plus d’argent que nécessaire pour la totalité de l’augmentation de capital

Dans la perspective de la recapitalisation, quelle somme êtes-vous prêt à injecter pour conserver la contrôle de la CBC et combler le besoin en fonds propres ?

La question ne se pose pas en ces termes. C’est seulement après un audit financier indépendant que l’on saura exactement le montant des pertes et donc les montants nécessaires à couvrir par une augmentation de capital ou des apports en garantie. Les actionnaires historiques mettraient alors les fonds nécessaires à la disposition de la banque sous les formes requises. Mais aussi longtemps que l’administrateur provisoire gère la banque comme si elle était sa propriété personnelle, ceci n’est guère envisageable. Les actionnaires historiques ont déjà suffisamment perdu d’argent à cause des largesses de l’administrateur provisoire envers certains de ses avocats et pour lui-même.

Je souhaite également vous rappeler à ce sujet que nous détenons une créance de plusieurs dizaines de milliards sur la République de Guinée équatoriale sous forme d’une sentence arbitrale qui a été validée par la Cour de justice et arbitrale de l’Ohada, et d’ailleurs aussi par la Cour d’appel de Paris. Sans les actions délibérées de l’administrateur provisoire pour faire capoter l’accord que nous avions trouvé avec la Guinée équatoriale en décembre 2012, nous disposerions aujourd’hui sur cette seule base en cash de bien plus d’argent que nécessaire pour la totalité de l’augmentation de capital, dont il est question aujourd’hui.

Il ne faut pas être un spécialiste de la finance pour comprendre que l’État camerounais devrait se limiter à un rôle de garant du bon déroulement du plan de restructuration et non d’acteur direct dans la recapitalisation de la CBC. Enfin, il ne devrait pas non plus être difficile de comprendre que ma personne est la réelle cible de la spoliation des actionnaires historiques et majoritaires de la CBC, dont je représente seul, mais de manière indirecte, plus de 50 %.

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Comment comptez-vous arrêtez la procédure de recapitalisation – le 30 décembre – avant que le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) se prononce ?

La procédure arbitrale devant le Cirdi prendra au moins trois ans, et aura pour objet de nous compenser pour l’énorme préjudice, financier et moral, qui nous a été causé par l’État camerounais, mais nous parlons là de la solution ultime en espérant cependant que le bon sens l’emportera. Mes avocats du cabinet international Jones Day à Paris se tiendront naturellement à la disposition du gouvernement camerounais pour rechercher une issue non-contentieuse du litige, si telle est aussi sa volonté.

Nous espèrons que le bon sens l’emportera

Le Cameroun étant un pays souverain, nous espérons qu’après avoir pris connaissance de toutes les violations des droits des actionnaires (parmi lesquels se trouvent des investisseurs étrangers qui ont droit à une protection particulière par l’État) et des règles comptables de l’Ohada, il se rapprochera de nos conseils afin de trouver une solution acceptable pour tous. Mais il est évident que si rien n’est fait, ce qui serait dommage du seul fait de vouloir couvrir les agissements d’un homme, fût-il administrateur provisoire, les actionnaires lésés seront contraints d’utiliser tous les moyens de droit pour obtenir réparation.

Partagez-vous l’idée selon laquelle la CBC dégage des bénéfices depuis 2011, sous la houlette de l’administration provisoire ?

La CBC n’a jamais cessé de gagner de l’argent. Mais de manière habile, l’administrateur provisoire a volontairement semé la confusion dans l’esprit des profanes de la finance. Il faut dissocier le compte d’exploitation, qui pour la CBC, avant et pendant l’administration provisoire, et malgré les importantes charges injustifiées, est bénéficiaire et qui le restera après l’administration provisoire, des comptes de bilan, qui ne sont négatifs que du fait d’importantes provisions pour risque, lesquelles provisions peuvent être régularisées sur une période déterminée par de simples actes de gestion.

En conclusion, la CBC n’a absolument pas de problème de rentabilité. En fait, sans la gestion calamiteuse de l’administrateur provisoire, les bénéfices de la CBC auraient été bien supérieures. En 2012, la CBC devait dégager plus de 2 milliards de F CFA de bénéfice, mais l’administrateur provisoire en a réalisé moins de 15 % (si on veut croire aux comptes annuels 2012, dont nous contestons la fiabilité) !

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