Tchad : Idriss Déby, droit dans ses bottes

Médiateur tout en fermeté dans la crise centrafricaine, chef d’une armée déployée en temps et en nombre au Nord-Mali, empêcheur de tourner en rond à la tribune de la Cedeao… Le président tchadien, Idriss Déby Itno, est sur tous les fronts.

Idriss Déby et son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou, le 24 janiver à Niamey. © Boureima Hama/AFP

Idriss Déby et son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou, le 24 janiver à Niamey. © Boureima Hama/AFP

Publié le 21 mars 2013 Lecture : 5 minutes.

Le colonel Kadhafi, il souhaitait le voir partir, mais par la grande porte. Lorsque le « Guide » d’une Libye déchirée défiait encore son peuple et la pluie de bombes de l’Otan, le président tchadien, Idriss Déby Itno, ne cachait pas ses inquiétudes quant aux conséquences de cette guerre. Inquiétudes, d’abord, concernant le pillage des arsenaux libyens par les terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui ne manqueraient pas cette occasion de s’approvisionner en armes lourdes, missiles sol-air compris. Inquiétudes, ensuite, quant à l’instabilité de la « Libye nouvelle », dont les autorités ne contrôleraient, selon Déby, ni le territoire ni les frontières.

« En tant que président de la Cen-Sad [Communauté des États sahélo-sahariens, NDLR], Idriss Déby Itno a eu raison de tirer la sonnette d’alarme, précise Roland Marchal, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialiste du Tchad et du Soudan. L’Union africaine avait aussi fait part de ses inquiétudes et proposé des solutions politiques qui n’ont jamais été testées par les Occidentaux. » La position du français Nicolas Sarkozy était, elle, sans appel : pas de solution négociée, éviction de Kadhafi à tout prix. « Je crois que l’Histoire me donnera raison », assurait Idriss Déby Itno à J.A. en décembre 2011.

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Le Tchad, qui n’est en paix que depuis la normalisation de ses relations avec le Soudan en 2009, n’a toutefois pas subi les « conséquences incalculables » de l’implosion de la Libye prédites par Idriss Déby Itno. Mais la dernière incursion rebelle à N’Djamena, en février 2008, ayant bien failli le renverser, il se serait volontiers passé de cet embrasement à sa frontière Nord.

Ignoré

Ce que la chute d’une Libye surarmée a surtout fait voler en éclats, c’est l’équilibre du Mali. Certains des Touaregs qui réclamaient leur autonomie à Bamako depuis l’indépendance combattaient comme mercenaires auprès de Kadhafi. À la chute de ce dernier, ils sont rentrés au pays et ont rejoint les quelques milliers d’hommes du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Lancés à l’assaut des villes du Nord, ils ont enchaîné les succès contre l’armée malienne, jusqu’au coup d’État du 21 mars 2012 qui a déposé le président Amadou Toumani Touré. Les islamistes n’ont eu qu’à profiter de cette situation d’instabilité pour briser l’alliance qu’ils avaient nouée avec les indépendantistes et les déloger dès le mois suivant.

Aux premières heures de l’embrasement du Mali, Idriss Déby Itno se sent ignoré. En tant que membre de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le Tchad a un statut d’observateur au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), mais il n’est pas convoqué à ses réunions – ce qui, pour Déby, en dit long sur l’efficacité des instances communautaires dans de telles situations. Le président tchadien tient alors à faire passer un message aux pays ouest-africains et à la France : « Tant qu’on ne me sollicite pas, je ne bouge pas. »

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En mai 2012, un nouveau président arrive au pouvoir à Paris. Et qui dit François Hollande, dit Parti socialiste et donc Ibni Oumar Mahamat Saleh… L’opposant tchadien a été enlevé à son domicile de N’Djamena par des militaires il y a cinq ans et n’a jamais réapparu. Pour le président Hollande, l’enterrement de cette affaire est encore plus difficilement acceptable que pour son prédécesseur. Un bras de fer s’engage alors entre les deux pays. Pendant plusieurs semaines, la France réclame un geste du Tchad avant de pouvoir envisager la visite officielle à Paris, qui devait avoir lieu en octobre, du président Déby Itno – lequel boycottera le sommet de la Francophonie de Kinshasa, le même mois. Finalement, François Hollande décrochera son téléphone pour inviter Idriss Déby Itno. La rencontre a lieu le 5 décembre. Le président français réitère le souhait de voir l’armée tchadienne s’engager dans la reconquête du Nord-Mali. Déby reste sur sa réserve et lui rétorque : « Que les Maliens se mettent d’accord, nous verrons ensuite. »

L’heure n’est plus aux discours mais plutôt à l’action. L’ennemi n’attend pas.

Idriss Déby Into, le 27 février, au sommet de la Cedeao

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Mi-janvier, il prend finalement tout le monde de court en annonçant l’envoi d’un contingent de plus de 2 000 hommes, le plus gros de la force africaine. Le plus à même aussi, aux yeux de tous, de « faire le boulot », les soldats d’élite tchadiens étant expérimentés et habitués au terrain particulièrement difficile des massifs sahéliens (lire ci-dessous).

L’opération est menée sans faille. Jusqu’à l’accrochage du 22 février entre les forces armées tchadiennes et les jihadistes près de Tessalit, dans le massif des Ifoghas, au cours duquel 26 soldats tchadiens sont tués, 30 blessés – et 93 terroristes tués. Du coup, Idriss Déby Itno, en chef d’armée aguerri et dans son nouveau rôle de leader, s’impatiente. Le 27 février, à l’ouverture du sommet de la Cedeao organisé à Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, c’est son discours qui marque. Le chef de l’État tchadien ne mâche pas ses mots pour faire savoir son mécontentement quant à la lenteur de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma, à laquelle le Tchad n’appartient pas) à déployer ses troupes dans la zone libérée : « L’heure n’est plus aux discours […] mais plutôt à l’action. L’ennemi n’attend pas. » Ajoutant à l’adresse des soldats maliens : « Votre place est au front. Nous vous attendons dans le Nord. »

Malgré le choc du 22 février, les Tchadiens continuent de soutenir cet engagement pour « une cause juste », comme l’écrit Saleh Kebzabo, chef de file de l’opposition, dans sa lettre au chef de l’État, le 23 février. « Ce qui se passe au Mali, dit-il, nous concerne directement et nous devons former un front uni pour combattre le terrorisme partout où il se manifeste en Afrique. »

Pacificateur

Le président tchadien a aussi pu éprouver sa « diplomatie de paix » (lire p. 66-68) au sein de la zone Cemac. En Centrafrique, il a joué un rôle majeur en pilotant, avec son homologue congolais Denis Sassou Nguesso, les accords de Libreville, signés le 11 janvier dernier. Il est surtout celui qui a été le plus dur avec le président centrafricain, François Bozizé, le contraignant à négocier avec la coalition Séléka. Idriss Déby Itno a des arguments de poids. À la tête de la Force multinationale d’Afrique centrale (Fomac), il sait qu’il est le seul à pouvoir empêcher les rebelles de marcher sur Bangui.

Malgré les conflits et les groupes extrémistes qui tourmentent ses voisins, le Tchad est parvenu à conserver sa récente paix intérieure. Mais le président sait qu’il doit concentrer les efforts de son nouveau gouvernement sur les attentes énormes, légitimes et de plus en plus pressantes des Tchadiens : pauvreté, cherté de la vie, colère des fonctionnaires qui continuent de faire planer la menace d’une grève générale, manque d’infrastructures de base… Après une année 2012 au climat social agité, Idriss Déby Itno va devoir passer à l’action. Et y mettre les moyens.

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Par Justine Spiegel, envoyée spéciale à N’Djamena

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