Venezuela : Chávez, retour sur l’oeuvre d' »El Comandante »

Haï par les uns, adulé par les autres, Hugo Chávez a, depuis 1999, transformé son pays de fond en comble. Il est mort le 5 mars des suites d’un cancer. Il avait 58 ans.

Cinquième anniversaire de l’arrivée de Chávez au pouvoir, 6 décembre 2003, à Caracas © AFP

Cinquième anniversaire de l’arrivée de Chávez au pouvoir, 6 décembre 2003, à Caracas © AFP

Publié le 18 mars 2013 Lecture : 7 minutes.

« Nous avons reçu l’information la plus éprouvante et la plus tragique que nous puissions annoncer à notre peuple. À 16 h 25, aujourd’hui 5 mars, notre commandant-président Hugo Chávez Frías est mort. » En larmes, le vice-président Nicolás Maduro annonce la nouvelle sur toutes les chaînes de télévision.

Jusqu’à la fin, les Vénézuéliens ont espéré la guérison de leur líder, atteint d’un cancer depuis juin 2011. Depuis son retour à Caracas le 18 janvier, après deux mois d’hospitalisation à Cuba où il a subi une quatrième opération, sa santé alimentait les plus folles rumeurs. Il n’était pas apparu en public depuis son départ pour La Havane en décembre, et son investiture en tant que président avait été repoussée sine die. Savait-il lors de sa réélection, le 7 octobre 2012, qu’il était, à brève échéance, condamné ? Était-il sincère quand il a annoncé sa guérison à ses compatriotes ?

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Quoi qu’il en soit, cet homme-là a changé le Venezuela. De fond en comble. Orateur charismatique, catholique fervent, défenseur des plus démunis, interlocuteur souvent difficile et parfois grossier… Il aura été tout cela à la fois. En quatorze années de pouvoir, il n’a – presque – jamais connu la défaite électorale. Quelques semaines avant sa mort, sa popularité culminait encore à 70 % d’opinions favorables. 

>>Lire aussi : Aminata Traoré : "Hugo Chávez était un résistant" 

Chávez, l’aura d’un héros

Lors de sa première élection à la présidence, le 6 décembre 1998, ce fils d’enseignants né dans l’État de Barinas (Sud-Ouest) a déjà dans les classes populaires l’aura d’un héros. Cinq ans auparavant, alors que la situation sociale ne cessait de se dégrader, il avait tenté de renverser par la force le président Carlos Andrés Pérez. Après l’échec du putsch, il avait demandé à ses camarades, à la télévision, de déposer les armes afin d’éviter un bain de sang. Il sera emprisonné deux ans, puis gracié. Surfant sur sa popularité, il crée alors un parti d’orientation socialiste, le Mouvement Cinquième République (MVR), et réussit à se faire élire à la présidence avec 56 % des voix – score historique. Le 2 février 1999, il prête serment sur la Constitution. Quelques mois plus tard, il en impose une nouvelle, ouvrant la voie à de nouvelles élections, qu’il remporte triomphalement (59,5 %), l’année suivante.

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 Hugo Chávez, avec son épouse Marisabel, après sa première élection à la présidence en 1999

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© Bertrand Parres/AFP

Il entreprend alors de faire de son pays un modèle : distribution aux plus démunis des terres agricoles vacantes, amélioration de l’accès aux soins médicaux, nationalisations à tout-va… Il exproprie près de un millier d’entreprises, fait passer en dix ans (1998-2008) le taux de chômage de 11,3 % à 7,8 %, réduit la pauvreté et alphabétise des millions de Vénézuéliens. La manne pétrolière est mise à contribution sans discernement, mais qu’importe : la vie de ses compatriotes s’améliore.

Pour faire passer ses réformes, El Comandante n’a pas peur du verdict des urnes. Entre 1999 et 2001, les électeurs sont convoqués à six reprises, histoire de clouer le bec à ceux qui le soupçonnent d’apprécier modérément la démocratie. Il n’impose pas un régime à parti unique, comme à Cuba, et laisse la presse de droite le critiquer à sa guise. La nouvelle Constitution permet même aux citoyens de le révoquer par référendum, à mi-mandat, en recueillant un certain nombre de signatures. En août 2004, l’opposition s’y essaiera, en vain. Deux ans auparavant, elle était allée jusqu’à déclencher un coup d’État, sans davantage de succès. Mais Chávez s’était senti trahi, avait mis en cause les États-Unis…

Au cours de son troisième mandat (2006-2012), sa popularité s’effrite – avant de remonter au cours des derniers mois en raison de sa maladie. La criminalité ne cesse d’augmenter (Caracas est l’une des villes les plus dangereuses du monde), le chômage repart à la hausse et les investisseurs étrangers ont tendance à prendre la tangente. En décembre 2007, il connaît son unique défaite électorale : les Vénézuéliens rejettent une réforme constitutionnelle visant à supprimer la limitation du nombre des mandats présidentiels. Mais quelques mois plus tard, une nouvelle consultation sur le même sujet donne un résultat inverse.

"Fascisme israélien"

Antiaméricain virulent, Chávez s’efforce de rassembler les adversaires de l’Occident et de favoriser l’émergence d’un nouvel équilibre mondial. Grâce à des fournitures de pétrole à bas prix, il multiplie les alliances avec ses voisins et s’impose comme leader de la gauche sud-américaine. Il exalte la figure du libertador Simón Bolívar (1783-1830) et crée, avec Cuba et la Bolivie (ultérieurement rejoints par l’Équateur, le Nicaragua, le Honduras et quelques autres), l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba), qu’il conçoit comme une alternative à l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), que pilote Washington.

Peu après son arrivée au pouvoir, il relance l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), alors en perte de vitesse et qui ne s’était plus réunie au niveau des chefs d’État depuis 1975. Volontiers provocateur, il prend la défense des dictateurs les plus avérés – de Mouammar Kadhafi à Mahmoud Ahmadinejad en passant par Bachar al-Assad – et dénonce le « fascisme israélien ». Le 30 avril 2007, il fait sortir son pays du Fonds monétaire international, qu’il compare à Dracula.

Hier, le diable est venu ici, ce lieu sent encore le soufre.

Avec les États-Unis – à qui il n’a jamais cessé de livrer du pétrole -, il entretient une curieuse relation d’amour-haine. Ce fan de baseball – sport américain par excellence – ne recule pas devant l’insulte la plus grossière à leur endroit (« Allez vous faire foutre, yankees de merde »). Un jour de 2006, prenant la parole à la tribune de l’ONU au lendemain d’un discours de George W. Bush, il avait commenté : « Hier, le diable est venu ici, ce lieu sent encore le soufre. » 

One-man-show

En uniforme militaire ou en survêtement aux couleurs du Venezuela, il faisait de chacune de ses apparitions publiques une opération de communication. Tous les dimanches en direct à la télévision, il s’adressait à ses compatriotes dans l’émission Aló, Presidente. Il y manifestait des qualités d’improvisateur hors du commun. Le spectacle durait des heures – jusqu’à huit, son record. Ses conférences de presse tournaient souvent au one-man-show. Même ses collègues chefs d’État n’étaient pas à l’abri de ses facéties.

On se souvient que, lors du sommet ibéro-américain de 2007 à Santiago du Chili, le roi d’Espagne avait été contraint de lui lancer un mémorable « ¿Por qué no te callas ? » (« pourquoi ne te tais-tu pas ? ») alors qu’il ne cessait d’interrompre José Luis Rodríguez Zapatero… Cabotin, il raffolait des caméras et des micros, mais se montrait discret sur sa vie privée. Divorcé deux fois, il avait eu trois enfants d’un premier mariage avec Nancy Colmenares, dont il se sépara en 1992, puis une fille avec Marisabel Rodríguez Oropeza, une journaliste qui, après leur divorce en 2003, rejoignit les rangs de l’opposition. Ses deux filles faisaient parfois office de premières dames.

Peu à peu, la maladie l’avait contraint à quitter le devant de la scène – même pendant la dernière campagne présidentielle. Depuis deux ou trois mois, on ne le voyait ni ne l’entendait plus du tout. Les Vénézuéliens vont devoir s’habituer à cet assourdissant silence.

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Par Marie Villacèque

La résistible ascension de Nicolás Maduro

Avant son départ pour La Havane en décembre 2012, Hugo Chávez avait pris soin de désigner le vice-président Nicolás Maduro comme son successeur. Et de demander à ses compatriotes de porter leurs suffrages sur lui dans l’hypothèse d’une nouvelle présidentielle. L’intérim a vite pris des allures de campagne électorale. Le 4 mars, pour faire la démonstration de son autorité, Maduro a fait expulser deux membres de l’ambassade américaine à Caracas accusés de conspirer contre le régime. Reconduit dans ses fonctions de président intérimaire après la mort de Chávez, il sera très probablement le candidat du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) à la présidentielle, qui devra avoir lieu dans un délai de trente jours. Il devrait être opposé à l’opposant Henrique Capriles, déjà candidat en octobre 2012.

Maduro sait qu’il devra compter avec Elías Jaua, le ministre des Affaires étrangères, et Diosdado Cabello, le président de l’Assemblée nationale, qui n’a jamais caché ses ambitions. Ancien officier putschiste aux côtés de Chávez en 1992, ce dernier est soutenu par l’armée. Si le vice-président veut s’assurer la fidélité des militaires, il devra leur accorder une place de choix dans le futur exécutif.

Ancien chauffeur de bus, corédacteur de la Constitution et ancien ministre des Affaires étrangères, Maduro bénéficie de l’appui des frères Castro et représente l’aile civile et modérée du régime. En dépit de son manque de charisme, il peut séduire l’électorat, au moins dans l’immédiat.

El Comandante laissant derrière lui une société polarisée à l’excès et une économie en panne, sa tâche s’annonce immense. Il lui faudra faire la démonstration que le chavisme peut perdurer longtemps sans Chávez. Marie Villacèque.

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