Algérie : pourquoi Droukdel court toujours

Recherché depuis plus de huit ans par l’antiterrorisme, l’émir d’Aqmi Abdelmalek Droukdel a réussi à déjouer plus d’une vingtaine de tentatives d’arrestation et d’élimination. Contrairement à ses homologues dans le nord du Mali…

Abdelmalek Droukdel dirige le GSPC, devenu Aqmi, depuis juillet 2004. © AFP

Abdelmalek Droukdel dirige le GSPC, devenu Aqmi, depuis juillet 2004. © AFP

Publié le 18 mars 2013 Lecture : 5 minutes.

Depuis plusieurs années, Américains et Britanniques ne tarissent pas d’éloges sur l’expertise algérienne en matière de lutte antiterroriste. Mais l’annonce de la mort des chefs jihadistes au Sahel Abdelhamid Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, même si elle n’était pas encore confirmée à l’heure où nous mettions sous presse, jette un sérieux discrédit sur les forces de sécurité algériennes. Avec des moyens beaucoup plus modestes, des soldats tchadiens auraient réussi à éliminer, en moins d’un mois, deux chefs terroristes recherchés depuis près de vingt ans par la justice algérienne. Mokhtar Belmokhtar figurait sur la première liste des personnes recherchées pour terrorisme établie en 1992. Quant à Abdelhamid Abou Zeid, de son vrai nom Mohamed Ghedir, il fait partie, depuis une quinzaine d’années, des cibles prioritaires de la cellule antiterroriste, un organe de coordination des forces de sécurité dirigé par le patron du contre-espionnage algérien, le général Bachir Tartag.

Moquerie

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Qu’en est-il de l’émir actuel d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ? Identifié en 1998, au moment de la création du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), dont il devient le mufti (chef doctrinal), Abou Moussab Abdelwadoud, de son vrai nom Abdelmalek Droukdel, 42 ans, n’est devenu une cible prioritaire qu’à partir de 2004, quand il a succédé à Nabil Sahraoui à la tête du GSPC, avant de faire allégeance à Oussama Ben Laden un an plus tard et de transformer le GSPC en Aqmi. « S’il a pu réchapper à plus d’une vingtaine de tentatives d’arrestation ou d’élimination, explique un colonel de l’armée de terre algérienne, il ne le doit pas uniquement aux caractéristiques complexes du relief de sa tanière, localisée dans le massif du Djurdjura, en Kabylie. »

Il a su éviter les erreurs qui avaient provoqué l’élimination de ses prédécesseurs.

Au début des années 1990, la durée de vie d’un émir (chef terroriste) n’excédait guère plus d’une année. Avec Djamel Zitouni, la longévité est doublée, puisque son règne sanglant durera deux ans, entre juillet 1994 et juillet 1996, date de son élimination par l’armée. Son successeur, Antar Zouabri, de sinistre mémoire, a pulvérisé le record de longévité (de juillet 1996 à février 2002), aujourd’hui détenu par Abou Moussab Abdelwadoud, chef d’Aqmi depuis juillet 2004. Débutée il y a plus de huit ans, sa traque infructueuse est désormais raillée par certains observateurs en regard de la célérité dont ont fait preuve les militaires tchadiens. Manque de volonté politique pour en finir définitivement avec le « terrorisme résiduel » ? Inefficacité des soldats algériens ? Des questions que n’a pas manqué de soulever la presse algérienne au vu des résultats de l’opération Serval au Mali et particulièrement de l’opération Panthère (forces françaises et tchadiennes) dans le massif de l’Adrar des Ifoghas. Membre de la cellule antiterroriste, notre colonel ne semble pas prendre ombrage de ces moqueries. « La traque de Ben Laden a duré près de dix ans. A-t-on évoqué un manque de volonté politique de la part de la Maison Blanche, du Pentagone ou de Langley [siège de la CIA, NDLR] ? A-t-on raillé l’efficacité du renseignement américain ou la combativité des GI ? »

Fief imprenable

Abdelmalek Droukdel n’est pas plus rusé que ses prédécesseurs, mais il a su éviter les erreurs qui avaient provoqué leur élimination. Selon un officier de l’antiterroriste, « il sait que les services de sécurité disposent de moyens d’écoute sophistiqués. C’est pourquoi il n’utilise jamais de téléphone, cellulaire ou Thuraya [satellitaire], pour communiquer, préférant dépêcher des émissaires pour transmettre ses instructions. Son prédécesseur, Nabil Sahraoui, a pu être localisé en juin 2004 grâce à son utilisation fréquente de l’internet. Lui se l’interdit ». Sa garde prétorienne, composée d’une cinquantaine de compagnons, tous dignes de confiance, n’a jamais été élargie pour éviter toute tentative d’infiltration. Plus que toutes ces précautions, ce qui lui a réellement permis de déjouer toutes les opérations de traque tient à la complexité de la configuration géographique de son fief, un triangle de massifs montagneux, à cheval sur trois wilayas (« préfectures ») Boumerdès, Tizi-Ouzou et Bouira.

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« Que ceux qui doutent de cet argument méditent les difficultés rencontrées par l’armée française lors de la traque des maquisards durant la guerre d’indépendance », plaide notre colonel. Un avis conforté par le général Henri Poncet, ex-patron du commandement des opérations spéciales de l’armée française : « Pendant la guerre d’Algérie, les katibas parvenaient régulièrement à percer les encerclements mis en place par l’armée française. » Est-ce à dire que la forêt de Yakouren ou les monts Zberber sont plus compliqués à approcher que la vallée d’Ametetai dans le Nord du Mali (où Abou Zeid aurait été tué) ou la colline de Tigharghar dans l’Adrar des Ifoghas ? « Négatif, répond, martial, notre colonel, la différence est ailleurs. S’il y a autant de grottes, de cavernes et d’alternance entre vallées et monts imprenables en Kabylie que dans l’Adagh [appellation utilisée par les Algériens pour évoquer l’Adrar des Ifoghas], on doit relever deux différences. La tanière de Droukdel en Kabylie se distingue de celle d’Aqmi dans le Nord-Mali par une muraille verte [les forêts de l’Akfadou et de Sidi Ali Bounab] qui complique la surveillance aérienne et par la densité de la population habitant la région. »

L’avènement de Droukdel à la tête du GSPC a été marqué par l’adoption du mode opératoire d’Al-Qaïda.

Difficulté opérationnelle

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Si les Tchadiens ont la possibilité d’utiliser leur puissance de feu pour fixer l’ennemi, puis le bombarder par hélicoptère, les forces de sécurité algériennes ne disposent pas d’une telle facilité opérationnelle. Selon une estimation des services de renseignements, citée par le site d’information en ligne TSA, les effectifs d’Aqmi en Kabylie s’élèveraient à environ quatre cents hommes, soit autant que le nombre de combattants d’Aqmi repliés dans l’Adrar des Ifoghas. À une différence près : ces derniers évoluent dans un massif montagneux non peuplé, alors que leurs homologues en Algérie se trouvent au milieu de populations civiles occupant les villages et dechra (« hameaux »). Si la traque du chef jihadiste est infructueuse, les militaires chargés de la mener ont au moins une certitude : aucun armement en provenance des arsenaux libyens n’est venu renforcer la puissance de feu d’Aqmi en Kabylie.

L’avènement de Droukdel à la tête du GSPC a été marqué par l’adoption du mode opératoire d’Al-Qaïda, maison mère : les attaques-suicides contre des objectifs gouvernementaux (Palais du gouvernement à Alger, en avril 2007) et contre des intérêts étrangers (représentation des Nations unies à Hydra en décembre 2007). Depuis, le dispositif policier a réussi à déjouer toutes les opérations kamikazes organisées par Aqmi. Mais son chef, Droukdel, court toujours. « Demain, dans un mois ou dans un an, ce ne sera plus le cas », assure notre colonel. 

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