Cameroun : Charles Metouck, pris en flagrant délit

La chute est rude. Il y a un mois, Charles Metouck dirigeait la plus grosse entreprise du pays, la Sonara. Aujourd’hui en prison, il est accusé d’avoir détruit des documents qui auraient pu l’incriminer.

Figure du patronat local, Charles Metouck, mai 2012 © Kepseu/JA

Figure du patronat local, Charles Metouck, mai 2012 © Kepseu/JA

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 19 mars 2013 Lecture : 5 minutes.

Limbé n’aime pas le bruit et encore moins les thrillers industriels. Le 1er mars pourtant, c’est une étrange affaire qui s’est retrouvée devant le tribunal correctionnel de cette ville pétrolière située à 80 km à l’ouest de Douala. Tout a commencé le 18 février : trois jours après son éviction, le patron de la Sonara (la Société nationale de raffinage), le fleuron industriel du Cameroun, est subrepticement revenu dans son ancien bureau ! En l’absence de son successeur, le personnel, tétanisé, n’a pas osé lui interdire l’accès aux bureaux, dont il détenait un double des clés. Alertés par le bruit de la broyeuse à papier, les vigiles ont finalement appelé la police, qui a placé l’illustre intrus en garde à vue.

Deux semaines plus tard, Charles Metouck, 63 ans, se retrouvait donc devant le juge avec six de ses collaborateurs arrêtés dans la même affaire. L’ex-directeur général de la raffinerie est soupçonné d’avoir détruit, avec des complicités internes, des documents qui se trouvaient dans son ancien bureau.

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 Soupçons

Cet ancien de Rhône-Poulenc, ingénieur chimiste de formation, ne ressemble pourtant pas à un patron-voyou. Pendant onze ans, il a dirigé la Sonara, la plus importante entreprise du Cameroun et de la zone Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), avec près de 1 000 milliards de F CFA (1,5 milliard d’euros) de chiffre d’affaires annuel en 2012, selon le classement des 500 meilleures entreprises du continent établi par Jeune Afrique. Metouck, c’est aussi une figure bien connue du patronat, qui se maintenait depuis 2001 à la présidence de l’influent Syndicat des industries du Cameroun (Syndustricam).

Pour sa défense, Metouck a brandi une autorisation d’accès aux locaux signée du président du conseil d’administration de la Sonara, John Ebong Ngollé. Le document, que Jeune Afrique a pu consulter, mentionne également l’« accord » d’Ibrahim Talba Malla Oumaté, le nouveau directeur général de la société. Sauf que, entendu comme témoin, ce dernier a contesté son authenticité devant le juge. « Je n’en ai jamais eu connaissance », a-t-il affirmé. En attendant la prochaine audience, fixée au 11 mars, la demande de mise en liberté sous caution de l’ex-patron a été rejetée.

Un petit procès provincial qui pourrait en annoncer un autre, lié cette fois à l’opération Épervier

Le véritable intérêt de ce petit procès provincial tient à un soupçon : Metouck aurait eu l’intention d’entraver une éventuelle enquête sur la manière dont il avait géré la Sonara. « Ce procès n’est qu’une entrée en matière dont il est le seul responsable, explique un enquêteur proche de la présidence. Le dossier le plus important sera à coup sûr examiné par le Tribunal criminel spécial », qui siège à Yaoundé. Il faut dire que, depuis deux ans, la presse camerounaise évoque régulièrement la possibilité que Metouck soit, un jour, une cible de l’opération anticorruption Épervier. Les soupçons portent sur les marchés liés à l’immense chantier d’extension des capacités de raffinage de la Sonara à Limbé – chantier dont le coût est estimé à plus de 380 milliards de F CFA. Les travaux devaient s’achever en avril 2011, mais ils ne sont toujours pas terminés. 

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Secret d’État

L’affaire est suivie de près par les autorités, d’autant que la Sonara est une entreprise stratégique, notamment chargée d’approvisionner le marché intérieur en produits pétroliers. Yaoundé, par tradition, n’aime pas que les affaires pétrolières fassent les grands titres des journaux. Entre 1977 (année de l’entrée du pays dans le club des producteurs) et la fin des années 1990, tout ce qui touchait au brut relevait du secret d’État. Les revenus pétroliers du pays étaient d’ailleurs déposés sur un « compte hors budget » échappant au contrôle du Parlement. Grâce à la pression du Fonds monétaire international (FMI), le sujet n’est plus tabou. Metouck pourrait être le premier dirigeant d’entreprise publique pétrolière à devoir rendre des comptes non plus au seul président de la République, mais à la justice.

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Droit de réponse

À la suite de la publication de notre article consacré à l’arrestation de Charles Metouck, ancien DG de la Société nationale de raffinage (Sonara) au Cameroun (J.A. nous avons reçu de n 2722), l’avocat de l’intéressé la réponse suivante :

« Le titre de votre article (« Pris en flagrant délit ») laisse entendre que M. Metouck a été appréhendé alors qu’il était en train de commettre des actes illégaux. La vérité est que, lorsque M. Ibrahim Ta lba Malla a été brusquement nommé en remplacement de mon client, le 15 février, celui-ci n’a pu ni ranger son bureau, ni déménager ses affaires personnelles, ni même préparer la transmission des dossiers sensibles à son successeur. M. Metouck, M. Ta lba Malla et le président du conseil d’administration (PCA) de la Sonara avaient donc décidé d’un commun accord que mon client reviendrait dans l’entreprise entre le 18 et le 21 février.    

À son arrivée dans son ancien bureau, et n’ayant pas trouvé sur place le PCA, qui devait pourtant être présent, mon client a commencé, entouré de ses anciennes secrétaires, à ranger ses affaires personnelles et à détruire des notes ou des documents personnels. Il est donc faux de dire qu’il « est subrepticement revenu dans son ancien bureau ». Ce faisant, vous accréditez l’idée qu’il était animé par de mauvaises intentions, alors même que de nombreux journaux ont publié la copie d’un document signé par le PCA autorisant M. Metouck à entrer à la Sonara. Vous écrivez aussi qu’à la barre M. Ta lba Malla a contesté l’authenticité de cette autorisation d’accès. C’est faux, et le même M. Ta lba Malla a déclaré au tribunal qu’aucune destruction de     documents n’était à déplorer. Votre article colporte de simples rumeurs et tend à faire passer M. Metouck pour un voyou sans scrupules… Heureusement, les faits sont têtus, l’autorisation d’accès     existe, et la destruction de documents n’est que pure invention. Enfin, sachez qu’entre 2002 et le début de cette année 2013, M. Metouck a fait passer le chiffre d’affaires de la Sonara de 250 milliards à 1 000 milliards de F CFA, la Sonara passant ainsi de la deuxième à la première place de toutes les entreprises de l’Afrique noire francophone. »

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