Mohammed Benhammou : « Entre le Maroc et la Tunisie, la crise de confiance est profonde »
La crise entre Rabat et Tunis sera-t-elle durable ? Quels chantiers attendent le prochain ambassadeur de France au Maroc ? Le politologue Mohammed Benhammou analyse les nouveaux enjeux auxquels est confrontée la diplomatie marocaine.
L’ACTU VUE PAR… – Rappel de l’ambassadeur en Tunisie, crise feutrée avec la France, tensions persistantes avec Alger… Au Maroc, les sujets diplomatiques brûlants semblent ne jamais se tarir. À cela s’ajoute la volonté affichée par Rabat de ne plus transiger sur la question du Sahara, ce qui rend l’issue de ces conflits d’autant plus incertaine. Pour analyser ces enjeux et dresser quelques perspectives d’avenir, JA a interrogé le politologue Mohammed Benhammou, président du Centre marocain des études stratégiques (CMES).
Jeune Afrique : La crise avec la Tunisie, qui a éclaté à la suite de la réception, le 26 août à Tunis, de Brahim Ghali, le chef du Polisario, risque-t-elle de s’inscrire dans la durée ?
Mohammed Benhammou : Une crise n’est pas faite pour s’installer. Encore faut-il que ses causes soient dissipées. Divers signes montraient que l’exécutif tunisien partageait des positions qui n’étaient pas celles du Maroc. Tout cela s’était manifesté de manière timide et discrète jusqu’à la réception du chef du Polisario, qui a fait éclater au grand jour cette crise larvée. À présent, la balle est dans le camp de la Tunisie, car sans prises de position claires ou actes concrets, rien ne bougera.
La diplomatie marocaine a-t-elle trop longtemps considéré la neutralité tunisienne comme un fait acquis ?
Rabat suivait de très près l’évolution de la position du président Kaïs Saïed [sur la question du Sahara]. Sans aller jusqu’à considérer que la diplomatie marocaine a failli, peut-être celle-ci misait-elle trop sur la nature et les acquis de la relation bilatérale, et n’avait-elle pas imaginé un tel scénario.
Jusqu’à présent, les positions de chacun permettaient de dialoguer. Cette décision tunisienne rend à présent difficile la recherche de canaux de discussions et de négociations.
On sait l’importance que Rabat accorde à la question du Sahara. La diplomatie marocaine aurait-elle pu empêcher la réception à Tunis du chef du Polisario ? Le Maroc dispose-t-il de relais efficaces en Tunisie pour défendre son point de vue ?
Certes, le Maroc a une présence, des relais et des moyens d’action en Tunisie, et il est possible de prévenir des conflits grâce au dialogue. Mais un pays ne peut exercer de contrôle sur un autre, surtout si leurs intentions sont opposées. En l’occurrence, la volonté du Maroc de préserver de bonnes relations avec la Tunisie, et celle du président Saïed de donner des gages à son partenaire algérien, avec lequel il partage certaines orientations.
La nouvelle ligne diplomatique de Rabat, qui ne laisse plus de place à l’ambiguïté sur la question du Sahara, lui a permis d’engranger des succès (auprès de l’Espagne, des États-Unis, de l’Allemagne). Ne commence-t-elle pas cependant à montrer ses limites, comme c’est le cas avec la France ?
La décision de traiter avec des partenaires qui jusque-là entretenaient le flou sur la question a permis au Maroc d’enclencher une dynamique. Il ne s’agit pas d’instaurer un bras de fer, mais de clarifier des positions.
Désormais, la priorité est claire et la problématique, simple : la relation du Maroc avec ses partenaires ne doit plus être à sens unique. Ces derniers doivent prendre en compte les intérêts du Maroc. Cette approche permettra, selon moi, d’engranger encore davantage de succès diplomatiques.
Hélène Le Gal, l’ambassadrice de France au Maroc, vient de quitter ses fonctions. Quelles seront les priorités de son successeur ?
Une page de l’histoire franco-marocaine s’est tournée il y a déjà quelques années. Nous devons repartir sur de nouvelles bases, fonder un partenariat stratégique qui dépasse la nature de la relation qu’entretenait la France et le Maroc depuis le XXe siècle.
Dans ce nouveau contexte, le Maroc entend traiter d’égal à égal avec l’ensemble de ses partenaires, tout en développant des espaces d’intérêts communs. Il est important de trouver un moyen d’établir une relation de confiance et de respect mutuel qui se traduise par des actes. C’est ainsi que l’on parviendra à dénouer les points de crispation et à ne pas s’enfoncer dans une crise grave et durable.
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