Martinique : et au milieu fume un volcan

Raphaël Confiant décrit la Martinique du XXe siècle à travers une saga familiale où dialoguent Histoire et trajectoires personnelles. Tout commence avant l’éruption de la montagne Pelée, en 1902.

L’écrivain Raphaël Confiant. © DR

L’écrivain Raphaël Confiant. © DR

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Publié le 11 mars 2013 Lecture : 3 minutes.

En 2010, Raphaël Confiant avouait à Jeune Afrique : « Mon ambition la plus chère serait de voir un jour mes ouvrages réunis sous le titre de "Comédie créole". » Il faut dire qu’avec près d’une cinquantaine de livres (romans, nouvelles, essais, poèmes) depuis 1979 le chantre de la créolité s’approche en prolificité de ce maître en littérature qu’est Honoré de Balzac, dont La Comédie humaine rassemble une centaine de volumes. Mais en publiant le premier tome des Saint-Aubert, sous-titré L’En-Allée du siècle, 1900-1920, il pourrait aussi s’inscrire dans la filiation d’un autre admirateur du père du réalisme, Émile Zola. L’auteur des Rougon-Macquart affirmait que la famille éponyme, fil rouge de vingt de ses romans, « personnifier[ait] l’époque, l’Empire lui-même ». Avec son nouveau livre, Raphaël Confiant réussit le même défi… à l’échelle de la Martinique.

Aux Antilles françaises, au début du XXe siècle, l’équation est simple. L’aristocratie est blanche, la bourgeoisie mulâtre, le prolétariat nègre. Sans compter ceux qui, hors de ce système de castes, font office d’« intouchables » et que Raphaël Confiant nomme les « invisibles » : les Indiens, les Chinois et les nègres-Congo « que les Blancs avaient importés […] à l’abolition de l’esclavage », ainsi que les commerçants levantins, auxquels l’auteur a consacré son précédent roman, Rue des Syriens. Et que ce soit à l’église ou au bar – « rhum pour les nègres, gin pour les mulâtres et vin pour les Blancs », écrit-il -, chacun se doit de rester « dans sa chacunière ».

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Duel

Les Saint-Aubert, eux, sont des mulâtres en quête de destin – et, à ce titre, on retombe du côté de Balzac -, bien que Marie-Élodie, la mère au teint d’ébène, soit persuadée qu’une « maudition » pèse sur sa lignée. Son époux, Ferdinand, est un avocat de Saint-Pierre pétri de républicanisme au point d’avoir prénommé son fils aîné Saint-Just. Ce dernier, journaliste à L’Écho de la Martinique, pense quant à lui qu’il est temps de « porter l’estocade aux descendants des esclavagistes ». À l’aube du siècle nouveau, l’occasion de passer des paroles aux actes lui vient sous la forme d’une provocation en duel par le plus arrogant d’entre eux, Crosnier de Laguarrande…

Voilà pour la situation de départ, qui sera amenée à évoluer non seulement selon le tempérament des quatre enfants Saint-Aubert, mais aussi – et surtout – sous les coups de boutoir de l’Histoire, naturelle et politique. En effet, dans le ventre de la montagne Pelée mijote la « catastrophe » qui, le matin du 8 mai 1902, anéantira Saint-Pierre, « le petit Paris des Antilles », et 30 000 de ses habitants. Puis, douze ans plus tard, la Grande Guerre viendra à son tour bouleverser la société martiniquaise, sommée de verser l’impôt du sang à la mère patrie assaillie. Autant d’événements qui chamboulent la structure familiale en particulier, l’ordre social en général. Rien ne sera plus comme avant.

Racines

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Dans une langue d’un grand classicisme quoique parsemée de « créolismes », Raphaël Confiant fait dialoguer mouvements de l’Histoire et trajectoires personnelles, s’attardant – au risque de se répéter – sur les survivances de l’esclavage, les origines caraïbes de l’île et son déni de l’Afrique, mais aussi sur les racines de la famille Saint-Aubert et les tentatives de chacun de ses représentants de se forger sa propre destinée. Zola disait : « Je veux expliquer comment une famille se comporte dans une société. […] J’analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l’ensemble. » Et d’affirmer : « L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur. » Raphaël Confiant partage-t-il cette croyance en un déterminisme naturel et social ? Et le mauvais sort atavique dont Marie-Élodie se croit victime entravera-t-il l’avenir de ses enfants ? Réponse dans les deux prochains tomes, qui conduiront les Saint-Aubert jusqu’au terme du XXe siècle. 

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Par Fabien Mollon

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