Tunisie : la reine et le bourdon

Dans une adaptation libre de « Macbeth », Lotfi Achour évoque les années Ben Ali et l’emprise de la « régente de Carthage ».

Lotfi Achour revient sur les années de dictature. © Khalil/AFP

Lotfi Achour revient sur les années de dictature. © Khalil/AFP

Publié le 4 mars 2013 Lecture : 3 minutes.

Une lumière sourde, une atmosphère raréfiée qui donnent de l’intensité aux variations de noir et de gris d’une scène sombre, des courtisans serviles, un despote et son épouse… Bienvenue chez les Ben Ali ! Alors que les Tunisiens découvrent les arcanes complexes d’une transition postrévolutionnaire, Lotfi Achour revient sur les années de dictature. « Il est crucial, dans ce moment de transition, de s’interroger sur l’histoire politique contemporaine de la Tunisie, de Bourguiba à la révolution, et de mesurer le poids de notre responsabilité en tant qu’individus et groupe social », assure le metteur en scène de Macbeth : Leïla and Ben – A Bloody History.

Deux ans après la chute de Ben Ali, le Macbeth de Shakespeare revisité par le dramaturge tunisien et ses complices, les comédiens Anissa Daoud et Jawhar Basti, qui signent l’adaptation, a un écho tout à fait singulier. « En trahissant un vieux roi, un général prend le pouvoir, et l’exerce de manière sanguinaire sous l’influence de sa femme, Lady Macbeth. La troublante similitude avec Ben Ali était une tentation irrésistible », explique Lotfi Achour, qui avait entamé cette transposition de l’oeuvre shakespearienne bien avant la révolution tunisienne, juste après le succès du turbulent Hobb Story, Sex in the (Arab) City (2009), qui abordait la question des libertés individuelles dans les sociétés arabes.

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Macbeth: Leïla and Ben – A Bloody History, écrit et mis en scène par Lotfi Achour, du 1er au 10 mars, au Théâtre national 4e Art, à Tunis.

Mêlant fiction théâtrale, chanson, intermèdes musicaux et travail documentaire, Macbeth : Leïla and Ben est le procès de l’absolutisme, de l’absence de démocratie, de la répression et des différentes formes d’abus de pouvoir. Mais au-delà, c’est surtout une lecture de trente ans d’ascension et de fuite en avant d’un couple enivré de pouvoir, démoniaque, cupide et avare d’amour, qui s’achèveront la veille de la révolution du 14 janvier. Des vidéos d’entretiens avec des intellectuels et des personnalités projetées tout au long de la pièce sont autant de nota bene qui apportent de précieux éclairages sur l’évolution du pays, alors que sur scène se joue la solitude infernale de ceux qui exercent le pouvoir. Pourtant une foule de courtisans est bien là : ce ne sont que des fantoches serviles, interchangeables aux courbettes aussi identiques qu’automatiques, qui se fendent de quelques délations et de nombreuses caresses dans le sens du poil.

Tribune

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Ben Ali, interprété avec nuances par Jawhar Basti, est un homme irrémédiablement seul, pitoyable. Son couple est un leurre, une machine à engendrer du cynisme et du profit. Dans cette ruche, la reine écrase le bourdon. Anissa Daoud campe avec beaucoup d’aplomb une Leïla Ben Ali qui ne perd jamais le nord et tire toutes les ficelles. Même quand le sang l’éclabousse, il ne la hante pas. À l’instar de Lady Macbeth, elle poursuit son entreprise, égale à elle-même. Trop calculatrice et dépourvue d’humanité pour céder au tourment.

La libre adaptation de Lotfi Achour, en dialecte tunisien surtitré en français, donne des clés de lecture et démystifie le pouvoir. Si le pays est désormais libre de toute censure, il n’est pas pour autant facile de monter une telle pièce aujourd’hui. Après s’être engagé à soutenir le spectacle, le ministère tunisien de la Culture a divisé de moitié sa prise en charge des transports de l’équipe et des décors, et le Théâtre national tunisien a exigé 300 euros par jour de répétition pour une salle qu’il devait mettre gracieusement à disposition de la troupe, les Artistes producteurs associés. Amitiés et mécénat ont compensé ces dédits et permis que Macbeth : Leïla and Ben représente la Tunisie à l’Olympiade culturelle, à Londres, en marge des Jeux olympiques de 2012, et que le procès artistique des Ben Ali ait lieu à Tunis, au Théâtre municipal, dont le parvis a été l’une des premières tribunes de la révolution.

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