Datacenters : Amine Kandil, pionnier du cloud marocain et connecteur panafricain de demain ?
N+One, spécialiste des centres de données et leader incontesté du royaume chérifien, accélère son expansion au sud du Sahara. Récit d’une success-story qui promet de transformer des pans entiers de l’économie.
Télécoms : la revanche des outsiders africains
MTN, Orange, Vodacom, Airtel… Parce qu’ils sont présents sur de nombreux maillons de la chaîne de valeur des télécoms, les mastodontes africains font parfois oublier que d’autres acteurs plus modestes comme Axian, Tizeti ou N+One font tout autant bouger les lignes du secteur et pourraient, à terme, rivaliser d’égal à égal avec le quatuor dominant.
LE PORTRAIT ÉCO DE LA SEMAINE – « Je ne l’avais pas perçu comme un risque mais comme une opportunité ». Lorsqu’Amine Kandil a lancé en 2008 N+One Datacenters, pionnier marocain de l’industrie des datacenters, l’économie chérifienne était encore peu digitalisée et les entreprises peu enclines à externaliser leurs systèmes d’information. « Je ne concevais pas une économie se digitalisant sans datacenter. Le Maroc avait besoin de technologies et de services aux normes internationales », se souvient-il.
Un pari qui s’est révélé gagnant. En 2017, après une première infrastructure d’une capacité de 2 mégawatts installée à Casablanca, l’ingénieur marocain crée un deuxième centre de données à Bouskoura, une commune située à environ 20 kilomètres de la capitale économique du royaume, pour un investissement de 150 millions de dirhams (un peu plus de 14 millions d’euros). Doté d’une capacité de 4 mégawatts alimentant 10 000 serveurs, le nouveau datacenter permet à N+One de diluer les risques tout en continuant à répondre aux besoins du marché marocain.
Ce dernier devrait drainer quelque 30 millions d’euros d’investissements d’ici à 2026, selon un rapport du cabinet français ReportLinker, qui évalue le taux de croissance du secteur à 6 % en moyenne au cours de cette période. « Le marché ne peut que se développer, compte tenu du fait que la digitalisation n’en est encore qu’à ses débuts dans la région », confirme Amine Kandil.
La leçon américaine
Ce flair et ce goût pour le risque, l’ancien banquier les a d’abord développés aux États-Unis. Le baccalauréat en poche, Amine Kandil entame en 1995 des études d’ingénieur à l’université Fairleigh-Dickinson, dans le New Jersey, dont il sortira diplômé en ingénierie électrique en 1999, avant de décrocher un MBA en finance au New Jersey Institute of Technology en 2003. Son expérience au sein de la banque d’investissement Merrill Lynch, où il occupe le poste de responsable de la plateforme de gestion de patrimoine et de gestion d’actifs, l’initie à « une certaine rigueur dans le travail et à une culture où l’on ne craint pas l’échec ».
J’ai eu la chance de trouver des clients qui m’ont fait confiance
En 2006, Kandil rejoint l’aventure d’Overture Financial, une plateforme internationale de conseil et de gestion d’actifs qui compte parmi ses clients et partenaires des fonds souverains et nombre de grandes banques. Une expérience new-yorkaise « pleine d’énergie, avec un peu cette dimension de rêve américain », se remémore-t-il.
De retour au Maroc, l’ingénieur électrique de formation se lance ainsi seul dans l’aventure, en misant sur un marché vierge où la confiance se construit sur le long terme. « J’ai eu la chance de trouver un écosystème qui m’a permis de me lancer et, surtout, des clients qui m’ont fait confiance », raconte-t-il. Parmi ces derniers, l’Office national des aéroports (ONDA), la compagnie Royal Air Maroc (qui figure encore parmi ses clients) et de nombreuses entreprises privées dont il refuse de dévoiler les noms – comme il refuse de dévoiler les résultats de l’entreprise.
Neutralité totale
Selon les déclarations fiscales consultées par Jeune Afrique, N+One a réalisé en 2020 un chiffre d’affaires de 80,3 millions de dirhams, contre 44,2 millions en 2018. Colocation, hébergement totalement géré, infrastructures de cloud computing… la société se targue aujourd’hui d’être « le premier opérateur de datacenters neutres dans la région », c’est-à-dire non adossé à un opérateur. Car, selon Amine Kandil , la carrier neutrality, ce qui signifie une « totale indépendance par rapport aux opérateurs de télécoms », est un atout majeur.
« [Un] datacenter véritablement neutre par rapport aux transporteurs fournit un service entièrement indépendant de tout réseau, matériel ou logiciel. Comme il n’est affilié à aucun partenaire, il peut attirer dans ses installations le plus grand nombre de fournisseurs de connectivité », vante l’entreprise sur son site.
Autre argument de N+One : la territorialité des données, une affaire de « souveraineté » aux yeux mêmes de l’État. « Il y a, par exemple, des banques ou des institutions gouvernementales qui ne peuvent pas avoir recours à l’externalisation », explique celui qui a lancé en 2019 la première plateforme marocaine multicloud.
Il y a une très belle dynamique au Sénégal, qui est un hub régional où beaucoup de start-up voient le jour
« La question de la protection des données et la position géographique du datacenter sont primordiales. Le pays de localisation des serveurs où sont stockées les données conditionne les lois qui seront appliquées et auxquelles les entreprises seront soumises », avait déclaré celui qui siège au conseil d’administration d’Ubik, un spécialiste des centres de données basé à Dubaï, en 2019 lors d’un séminaire organisé par la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI, sous la tutelle de l’administration de la Défense nationale).
Une vision défendue aussi par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), une institution officielle qui a recommandé, dans un avis publié en mars, d’améliorer « la cybersécurité et la souveraineté numérique pour favoriser une transformation digitale responsable » et de « développer des datacenters souverains nationaux et régionaux, en s’appuyant sur des partenariats public-privé (PPP) pour permettre à l’État et aux entreprises marocaines d’héberger leurs actifs stratégiques ».
Coopération Sud-Sud
Douze ans après le lancement de N+One, Amine Kandil a décidé de mettre le cap vers l’Afrique subsaharienne. À commencer par le Sénégal, où il développe depuis 2020 trois centres de données interconnectés. Un choix stratégique dicté par l’essor du numérique en Afrique de l’Ouest ainsi que par la présence de plus en plus importante des banques marocaines dans le pays.
« Cette coopération Sud-Sud, dans un contexte où l’Afrique connaît une croissance considérable du numérique, est une opportunité sur laquelle nous allons capitaliser avec nos partenaires marocains pour pouvoir implanter trois datacenters de dernière génération dans l’un des hubs numériques les plus dynamiques d’Afrique, et ainsi attirer les grands opérateurs internationaux du cloud », a déclaré l’année dernière Yankhoba Diatara, le ministre sénégalais de l’Économie numérique et des Télécommunications.
Pour Amine Kandil, il s’agit d’un premier pas en dehors du royaume avant d’accélérer l’internationalisation de l’entreprise sur le continent. « Il y a une très belle dynamique au Sénégal, qui est un hub régional où beaucoup de start-up voient le jour », souligne-t-il, précisant que la présence de banques marocaines permet à N+One de « répondre à un écosystème en tirant profit des synergies avec le Maroc ».
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