Laïcité à la sauce burkinabè
Quelle que soit leur confession, les gens du Faso ont en commun d’être profondément croyants, et la religion n’a jamais divisé le pays. Alors pourquoi lancer un débat sur le sujet ?
Burkina Faso : comptes et décompte
« Il ne faut pas laisser le fantôme entrer dans la maison avant de chercher à en fermer les portes. » Lâchée en pleine séance d’ouverture du Forum national sur la laïcité, qui s’est déroulé fin septembre, la maxime employée par Arsène Bongnessan Yé, ministre chargé des Relations avec le Parlement et des Réformes politiques, exprimait une préoccupation : celle d’anticiper tout foyer d’extrémisme religieux.
Réunissant 130 personnalités représentant les communautés confessionnelles, les chefferies coutumières, les organisations de la société civile et les ordres professionnels, cette conférence figurait parmi les recommandations des assises nationales du Comité consultatif sur les réformes politiques (CCRP), tenues en décembre 2011. Quelques mois plus tard, le Mali voisin, pays modèle et tranquille, sombrait du jour au lendemain sous le joug d’une rébellion islamiste touarègue, acoquinée à des groupes jihadistes étrangers encore plus radicaux. De quoi légitimer davantage la rencontre.
Malgré le ton alarmant employé pour justifier l’ouverture du débat, l’opinion, dans sa grande majorité, est restée perplexe quant à l’opportunité d’engager une réflexion sur une question qui ne semblait pas se poser au Burkina Faso.
Superflu
Face à une demande sociale tournée vers des problèmes plus urgents, l’initiative a été jugée sinon superflue, du moins secondaire. Au sein de l’opposition, beaucoup ont fustigé ce forum, l’estimant « de trop » après celui des jeunes, celui des femmes, celui des anciens… Suspicieux, un responsable politique l’a même accusé de constituer « une tentative d’aspirer l’énergie des corps de la société mobilisés et de les détourner des vrais problèmes ».
En effet, la question des cultes n’est pas un problème. Par commodité, un modus vivendi implicite, dans le prolongement de celui qui s’est noué entre les multiples ethnies, a toujours permis une coexistence pacifique entre les différentes confessions. Si aucune statistique n’existe sur l’exacte répartition des croyants (seule l’Église catholique, par son registre des baptêmes, peut fournir des chiffres précis), les spécialistes évaluent la part des musulmans à plus de 40 % de la population, celle des chrétiens à environ 20 % (dont 12 % de catholiques, avec, depuis une dizaine d’années, une explosion des mouvements évangéliques), celle des animistes et de ceux conservant une religion traditionnelle avoisinant les 40 % (certains possédant d’ailleurs plusieurs croyances). Tous vivent en bonne intelligence, et nombreuses sont les familles pluriconfessionnelles, sans que cela tourne au drame.
Clarifier
Palabres non indispensables, donc, mais bienvenues pour les autorités cultuelles conviées à la discussion, qui a duré trois jours. À défaut de conclusions gravées dans le marbre, certains, comme le pasteur Mamadou Philippe Karambiri, membre de la délégation de l’Église évangélique, estiment qu’ouvrir le débat aura le mérite « de clarifier beaucoup de choses qui sont dans l’ombre ». Comme de donner à tous le même niveau de compréhension de la laïcité. Cette harmonisation est réclamée jusqu’au sein de la chefferie traditionnelle représentée par le Poë Naaba, ministre de la Justice du Mogho Naaba, empereur des Mossis, pour qui il est important « d’arrêter un concept » concernant la laïcité et les relations interconfessionnelles. Il faudra plus qu’un forum pour mettre tout le monde d’accord. Mais, puisque le vin est tiré, il faut désormais le boire.
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Par Abdel Pitroipa
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