Burkina Faso : paradoxes d’un régime hybride, par le Pr. Loada
Professeur de droit public et de sciences politiques à l’université Ouaga II, directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD)
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Burkina Faso : comptes et décompte
Au pouvoir depuis 1987, Blaise Compaoré a réussi la performance de combiner les formes de la démocratie libérale à des traits autoritaires. Le 2 décembre 2012 se sont tenues les élections municipales et législatives – les quatrièmes et cinquièmes depuis la révision constitutionnelle de 1991. Considérées par les observateurs internationaux comme libres, crédibles et transparentes, les législatives ont été remportées par le parti présidentiel, qui, cependant, passant de 59 % à 49 % des suffrages exprimés, enregistre un net recul (- 10 points) par rapport à celles de 2007. La banalisation des élections au Burkina Faso est-elle pour autant synonyme de démocratie ?
Pour les élites au pouvoir, la démocratie se confond parfois avec l’existence d’institutions démocratiques – sans que la démocratie ne soit institutionnalisée. Ainsi ont lieu régulièrement au Burkina Faso des élections concurrentielles, mais qui sont loin d’être équitables. Il est tout à fait possible d’organiser un scrutin formellement libre mais profondément déloyal. C’est le cas lorsqu’un seul parti dispose à la fois de l’appui de l’appareil d’État, y compris judiciaire, administratif ou militaire, et de celui des groupes de pression les plus influents du pays (opérateurs économiques, chefs traditionnels, etc.). Cela débouche nécessairement sur une formation politique ultradominante, qui se confond avec l’État.
La banalisation des élections est-elle pour autant synonyme de démocratie ?
L’enquête Afrobaromètre* menée au lendemain des scrutins de décembre 2012 montre que trois quarts des Burkinabè (76 %) désapprouvent le régime à parti unique. A priori, ils ne devraient donc pas se plaindre d’avoir eu à choisir entre 74 partis pour les législatives et 81 partis pour les municipales, le 2 décembre dernier. En réalité, environ 80 % des suffrages se sont portés sur 5 formations politiques seulement, dont un peu moins de la moitié sur celle qui est au pouvoir. C’est dire si le multipartisme éclatant de ce pays répond à des motivations autres que celles des électeurs…
À la demande de démocratie exprimée par les Burkinabè répond une offre calibrée par le verrouillage des institutions, avec pour seul objectif le maintien de la coalition au pouvoir. Tous les citoyens peuvent librement s’exprimer et toutes les institutions peuvent, si elles le souhaitent, jouer leur partition. Mais comme elles sont dirigées par des personnes « acquises », elles n’assurent guère de contrepoids.
S’agissant du régime militaire, on note que les Burkinabè y sont nettement plus hostiles que par le passé. En effet, il y a quatre ans, la moitié d’entre eux seulement était en désaccord avec l’idée que l’armée intervienne pour diriger le pays. En 2012, ils sont 62 % à rejeter une telle possibilité. Les conséquences dramatiques des mutineries qui ont éprouvé la population en 2011 sont certainement restées gravées dans les mémoires. Et ce n’est pas pour rien que, depuis, le président Compaoré s’est attribué le portefeuille de la Défense. Qui tient l’armée tient le pouvoir et qui tient le pouvoir a intérêt à tenir l’armée en laisse.
Dans l’opinion de la majorité, le niveau de démocratie semble néanmoins s’être amélioré. En effet, entre 2008 et 2012, toujours selon l’enquête Afrobaromètre, la proportion de citoyens considérant que leur pays est une véritable démocratie ou, à tout le moins, une démocratie avec des problèmes mineurs, est passée de 51 % à 55 % (+ 4 points). Quant à la proportion de ceux qui soutiennent que le Burkina Faso est une démocratie avec des problèmes majeurs, voire un pays non démocratique, elle est restée stable (de 31 % à 33 %).
Mais le chemin à parcourir pour consolider la démocratie est encore long, et les prochaines années risquent d’être marquées par l’incertitude. À deux ans de la fin de la mission du chef de l’État, personne ne sait si la clause limitative du nombre de mandats présidentiels contenue dans l’article 37 de la Constitution connaîtra sa deuxième suppression pour lui permettre de se maintenir au pouvoir. Certains de ses partisans appellent à un référendum qu’ils considèrent comme démocratique. Mais un tel scrutin équivaudrait à voter pour ou contre Blaise Compaoré, autrement dit à un plébiscite. Ce qui résume assez bien la vision de la démocratie et des élections de la coalition au pouvoir, à savoir un simple instrument de légitimation.
* Depuis 2008, les enquêtes sont menées au Burkina Faso par le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) sous la supervision et avec l’appui technique du réseau international Afrobaromètre.
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