Marseille : les dragueurs du Vieux-Port

Il y a Jean-Claude Gaudin, monarque déclinant qui entretient le mystère sur ses intentions. Et quatre challengeurs socialistes aux dents longues. La bataille pour la mairie de Marseille, l’an prochain, s’annonce chaude.

Jean-Claude Gaudin, l’actuel maire de Marseille. © Sipa

Jean-Claude Gaudin, l’actuel maire de Marseille. © Sipa

JOSEPHINE-DEDET_2024

Publié le 15 mars 2013 Lecture : 6 minutes.

Ils ont encore un an devant eux. Mais qu’ils soient candidats déclarés ou briscards en embuscade, ils commandent des sondages, comptent leurs troupes et affûtent leurs think tanks, dont les noms (Passionnément Marseillais, Faire gagner Marseille, Marseille et moi, etc.) en disent long sur leur ardeur à conquérir la cité phocéenne.

Vue de loin, la deuxième ville de France pourrait passer pour une fille facile. Il n’en est rien. Depuis 1953, la belle méridionale ne s’est donnée qu’à trois hommes. Deux maires de gauche : Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, jusqu’en 1986 ; le professeur de médecine Robert Vigouroux, jusqu’en 1995. Et un édile de droite, le pagnolesque Jean-Claude Gaudin, dont le troisième mandat s’achève en mars 2014.

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Ce dernier concourra-t-il une quatrième fois ? On le dit usé et soucieux de ne pas faire le mandat de trop (il a 73 ans). Selon un sondage Ifop/Fiducial/JDD du 21 au 23 février, il arriverait en tête du premier tour (32 % à 36 %), mais serait battu au second par tous ses adversaires socialistes, qui, avec leurs alliés de gauche, atteignent 42 %-43 %, un score équivalent à celui que François Hollande a obtenu dans la ville au premier tour de la présidentielle. La bête noire du maire ? Le Front national, avec qui il a exclu tout accord électoral. Crédité de 14 % à 20 % des voix, Stéphane Ravier, son candidat local, pourrait contribuer à la chute de la maison Gaudin.

Suspense

Pour l’heure, l’édile se laisse le temps de la réflexion jusqu’en juin. Sachant pertinemment que la bataille sera rude, mais aussi qu’il reste, dans son camp, le mieux placé pour battre la gauche, le rusé compère entretient le suspense, laissant ses concurrents socialistes s’entredéchirer et ses petits camarades de l’UMP dévoiler leurs batteries. Convaincu que la ville se gagne au centre, il mise sur la vieille affection que lui vouent ses administrés, espérant que l’embellissement de Marseille et son élection comme capitale européenne de la culture 2013 prévaudront sur les aspects moins reluisants de son bilan : chômage élevé, voies publiques défoncées, cités tenues par les trafiquants de drogue, règlements de compte (vingt-quatre dans la région pour la seule année 2012)…

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À un an du scrutin, il aurait tort de croire que tout est perdu. Selon un sondage BVA/20 Minutes du 18 février, 45 % des Marseillais (contre 40 %) estiment que la droite a plus de chances de l’emporter que la gauche. Son atout ? Elle est unie. Si Gaudin se décide à briguer un quatrième mandat, aucun de ses amis ne lui contestera la prééminence.

À moins que Guy Teissier ne se lance, envers et contre tout. Le député-maire UMP des 9e et 10e arrondissements, dont les relations avec Gaudin sont exécrables depuis trente ans, piaffe d’impatience. À 67 ans, il sait que le scrutin de 2014 est pour lui celui de la dernière chance. Ancien parachutiste – ce qui pourrait séduire l’électorat FN – et ex-président de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, il a créé son groupe de réflexion, Passionnément Marseillais, qui planche déjà sur l’élaboration d’un programme et s’emploie à récolter des fonds. Sa faiblesse ? Il est trop marqué à droite et n’est considéré comme le meilleur candidat pour battre la gauche que par 14 % des sondés, contre 31 % pour Gaudin.

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Face à cette majorité sortante vieillissante mais qui a de beaux restes, le Parti socialiste (PS) apparaît très divisé. Pas moins de quatre prétendants sont déjà sur les rangs : Marie-Arlette Carlotti, Samia Ghali, Eugène Caselli et Patrick Mennucci. Pour départager ce quarteron d’ambitieux, Harlem Désir, le premier secrétaire du PS, préconise des primaires citoyennes, de préférence à la rentrée 2013, afin de « créer une nouvelle dynamique ». Pour éviter que l’organisation du scrutin ne tombe sous la coupe des proches de Jean-Noël Guérini (ancien patron de la fédération et actuel président du conseil général des Bouches-du-Rhône, mis en examen en 2011 pour « prise illégale d’intérêts », « trafic d’influence » et « association de malfaiteurs »), Désir souhaite que le vote soit ouvert aux sympathisants socialistes – et pas uniquement aux militants – et contrôlé par une haute autorité indépendante.

En attendant, les quatre concurrents fourbissent leurs armes. Et ce sont les deux femmes qui tiennent la corde. Marie-Arlette Carlotti (27 % des intentions de vote) ne s’est pas encore officiellement déclarée. Lors des législatives de juin 2012, elle a créé la surprise en battant Renaud Muselier, l’ex-dauphin de Gaudin. Pourfendeuse de son camarade Guérini, « qui a failli sur le plan de la morale et de l’éthique », cette « Madame Propre » bénéficie du soutien de François Hollande, dont elle est la ministre déléguée aux Personnes handicapées. Elle rédige un livre-programme, réunit ses amis dans l’association Marseille et moi… et entretient le mystère. À l’évidence, elle caresse le rêve d’être sollicitée sans passer par la case primaire. « Comme elle est ministre, elle est la candidate qui a le plus à perdre en cas de défaite », grince un responsable socialiste parisien.

Meurtres et trafics

Contre toute attente, elle est talonnée par la benjamine de la troupe, Samia Ghali (44 ans), qui recueille 25 % des intentions de vote. Maire des 15e et 16e arrondissements, cette jeune sénatrice s’est fait connaître des médias, en août 2012, en réclamant l’intervention de l’armée pour faire cesser les meurtres et les trafics qui gangrènent la ville. Née dans les quartiers nord défavorisés au sein d’une famille algérienne (ses parents sont des Chaouis des Aurès), elle a gravi tous les échelons sous la houlette du communiste Guy Hermier, puis du socialiste Guérini. Aujourd’hui, elle a bien l’intention de bousculer les caciques. Pari déjà à moitié réussi : c’est elle qui, en se déclarant candidate à la mairie de Marseille, a appelé Harlem Désir à organiser une primaire. Avec succès, puisque, le 12 février, ce dernier a convoqué à Paris trois des quatre prétendants pour leur en faire accepter le principe. Carlotti, elle, s’est fait excuser, prétextant un déplacement ministériel…

À l’instar de cette dernière, Eugène Caselli espérait une désignation « via le processus naturel du parti », avant de se ranger à l’idée d’une primaire. Homme de réseaux et de consensus, il est apprécié des milieux économiques et entretient de bonnes relations avec Jean-Claude Gaudin comme avec tous les maires UMP de secteur, avec qui il doit composer au sein de la communauté urbaine Marseille Provence métropole, dont il est le président. Son point faible : un déficit de notoriété, qu’il s’emploie activement à combler.

À l’inverse, Patrick Mennucci, bouillant député-maire des 1er et 7e arrondissements (centre-ville), compte sur sa visibilité médiatique (il est membre du bureau national du PS) et ses amitiés au sein du gouvernement pour compenser son isolement au sein de la fédération des Bouches-du-Rhône. En janvier, il a été évincé du groupe municipal de l’opposition, qui lui reprochait une gestion trop personnelle des dossiers. Sa candidature stagne à 24 % des intentions de vote, à égalité avec le plus terne Caselli.

Restent deux crocodiles qui ne somnolent que d’un oeil : l’insubmersible Bernard Tapie (lire encadré) et l’UMP Renaud Muselier. Longtemps bras droit de Gaudin et ex-ministre de Jacques Chirac, ce dernier a été battu aux dernières législatives, puis débarqué de la présidence du haut conseil de l’Institut du monde arabe (IMA). À l’évidence, il est las de jouer les éternels seconds auprès d’un maire qui ne s’efface jamais. Il a provisoirement jeté l’éponge, mais veille à ce que ses proches conservent des postes stratégiques. Au cas où. 

L’inconnue Tapie

On ne présente plus Bernard Tapie, l’ex-ministre, homme d’affaires et patron de l’Olympique de Marseille, qui, en 1997, passa cent soixante-cinq jours derrière les barreaux. Il a beau jurer qu’il se consacre désormais au théâtre et au cinéma, beaucoup pensent que son rachat du journal La Provence, en décembre 2012, prouve son intention de revenir en politique, dans cette ville où il est, dit-il, « dans la tête des gens depuis vingt-cinq ans ». De fait, dans un sondage BVA du 22 février publié par Le Parisien Magazine, 50 % des Marseillais disent souhaiter son retour, tandis que 40 % envisagent de voter pour lui. « Je n’en ai envie pour rien au monde », répète l’intéressé dans les colonnes du même journal. Il n’empêche : 78 % des sondés prédisent le contraire. Avec, peut-être, un zeste d’exagération méridionale. J.D.

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