Stéphane Hessel, l’ambassadeur de la joie

Ancien de la France libre, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, militant de la cause palestinienne et de celle des sans-papiers… L’auteur d' »Indignez-vous ! » a tiré sa révérence.

Publié le 6 mars 2013 Lecture : 6 minutes.

Un hommage ? Il aurait détesté ça, Stéphane Hessel, ce nuage d’encens qui l’environne, qu’on le flatte et l’ensevelisse sous un amas d’éloges. Ce diable d’homme préférait le harpon à l’ostensoir et, plutôt que les postures de prophète, les combats, les joutes, l’ivresse de rompre.

La France en deuil salue son parcours exemplaire de résistant et de diplomate humaniste (1). On vante sa générosité et son courage, mais il aurait aimé répondre : « Mon courage n’a jamais été qu’une forme de légèreté ou d’insouciance. » Il aurait invoqué la chance : « Je suis la preuve vivante et scandaleuse qu’elle existe. » Il nous aurait parlé de la joie – son carburant, son alcool -, parce qu’elle exige plus d’abandon et plus de courage que la douleur.

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Agitateur

Mais qui était-il donc, Stéphane Hessel ? Un ambassadeur des litiges ? Un Robin des Bois à la française ? Une belle âme ? Mieux que cela. Un ex-immigré – arrivé d’Allemagne à Paris en 1924, à l’âge de 7 ans. Un ancien bon élève de Sartre, puis de Merleau-Ponty. Un agitateur tranquille, joyeux, toujours affable mais pugnace. Né en 1917, en même temps que la révolution d’Octobre, il n’avait jamais cessé de s’engager dans les batailles de son temps ; il est resté jusqu’à la fin l’ami des sans-papiers, le porte-parole des démunis et des oubliés mais aussi le défenseur acharné de l’environnement, et le militant – attentif et un brin désespéré – de la paix en Palestine.

À 95 ans, l’auteur d‘Indignez-vous ! (paru chez Indigène Éditions en 2010) avait fait des émules sur tous les continents. Ce succès tardif l’amusait. Ce petit livre – 32 pages, 3,10 euros, 4 millions d’exemplaires vendus dans le monde – avait un peu changé sa vie. Oui, ça l’amusait follement – pourquoi mentir ? – d’être devenu si attrayant auprès de la jeunesse – « plutôt d’ailleurs les 12-14 ans que les 18-24 ans, disait-il, parce qu’ils sont plus fous, plus libres. Parce qu’ils ne croient pas à la fatalité. Moi non plus ».

Toujours prêt à courir et à discourir à tout bout de champ, prompt à saisir un micro, à réciter par coeur un poème, il confessait être une proie facile pour les médias, mais il rigolait en douce de sa légende. Il m’avait confié sans rougir, l’oeil pétillant : « À mon âge, on ne ment plus. On juxtapose. » Il avait ajouté, se sachant irrésistible, en se barbouillant le visage de son petit rire de polisson : « Que voulez-vous ? Les Français adorent les vieillards, Pétain, l’abbé Pierre… On m’interroge beaucoup sur le passé – bon, la Résistance, tout ça, j’en ai un peu marre. Ce qui m’excite, c’est le présent. Je ne vis qu’au présent. »

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Respect

Lui-même était plus un éveilleur providentiel qu’un maître. Son humanisme était moins une religion qu’une exigence. Ce n’est pas la valeur des hommes, disait-il, qui fonde le respect que nous leur devons ; c’est le respect qui leur donne de la valeur. Ce n’est pas parce qu’ils sont nés bons qu’il faut les aimer ; c’est parce qu’il n’y a « pas de bonté sans un peu d’amour ». Tout cela, chez lui, n’était pas une croyance ; c’était une conviction, une volonté ou, si l’on veut, une morale.

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Quant à l’amour de la vie, il suffisait de dîner avec lui pour en avoir une belle démonstration – plutôt un bon vin ou un bon whisky qu’un bol de camomille ! Vivre, savoir vivre, c’était sa spécialité. Il avait appris. Grâce à sa mère, Helen(2), qui lui avait enseigné la liberté, y compris sexuelle : « Je lui dois surtout l’idée du bonheur : soyez heureux, vous rendrez les autres heureux ! » À son âge, il pouvait presque tout se permettre, il ne s’en privait pas.

La mort, il y pensait, bien sûr. À la fin d’un entretien, en décembre 2012, il m’avait dit : « Bah ! c’est une vieille connaissance. Elle et moi sommes très proches, c’est presque une amie. Je l’accueillerai avec bienveillance. »(3) Ça l’excitait presque comme une nouvelle expérience. Dans la nuit du 26 au 27 février, Christiane, son épouse adorée – il l’appelait « mon coeur » -, lui a fermé les yeux. Il n’a rien dit. Quoi, Stéphane muet ? C’est bien la première fois.

________ 

1. Entré au Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) comme agent de liaison avec l’état-major britannique, Stéphane Hessel a été arrêté à Paris en juillet 1944, torturé, déporté à Buchenwald puis à Dora. Il s’évadera du train qui le conduisait à Bergen-Belsen en janvier 1945. Après la guerre, il a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Proche de Mendès France, il est devenu chef de la délégation française à l’ONU en 1977 ; il a été élevé à la dignité d’ambassadeur de France en 1981.

2. C’est Helen Hessel qui inspira à Henri-Pierre Roché le personnage de Kathe dans son roman Jules et Jim (1953), interprété neuf ans plus tard par Jeanne Moreau dans le film de François Truffaut.

3. « Le Dernier Jeune Homme », entretien avec Frédéric Ferney, La revue no 28, janvier 2013.

TÉMOIGNAGES 

Le résistant, le poète, l’ami

Notre époque est toujours en quête de héros. Moins de ceux qu’on appelait jadis « les saints ». Faut-il avoir été son ami pour qualifier ainsi celui que nous venons de perdre ? Stéphane Hessel, né d’un père juif berlinois et d’une mère française et chrétienne, lauréat de l’École normale supérieure, antinazi, résistant et déporté, ne dut son salut au camp de Dora qu’à l’erreur du bourreau chargé de l’exécuter.

Entré dans la diplomatie française, il participa à la fondation des Nations unies et fut le corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Rentré en France, il devint l’un des fondateurs du Club Jean Moulin et, comme tel, se trouva mêlé à nombre de démarches en vue de l’émancipation de l’Algérie. Il resta jusqu’à ces derniers temps un militant très actif pour la paix en Palestine. Le militant pour la paix au Proche-Orient, aussi bien qu’au Tibet ou en Amérique latine, était notoire et largement consulté. On connaissait moins en lui le dévot de l’univers poétique. Il faut avoir entendu Stéphane, dans un avion qui nous ramenait l’un et l’autre d’une conférence en Irlande, se lever et déclamer de sa voix musicale, déchirante, des poèmes de Keats, d’Apollinaire ou de García Lorca pour se faire une idée de ce que peut être l’amour de la poésie.

Il était l’ami le plus fidèle du monde, attentif à la santé, à la carrière, aux épreuves de chacun d’entre nous. Il était un homme bon, prêt à mettre en jeu sa gloire et ses relations pour sauver un ami ou faire prévaloir la paix. En Palestine ou ailleurs. Jean Lacouture (Journaliste et écrivain)

La Palestine, "son écharde au coeur"

De Jeune Afrique, Christiane et Stéphane Hessel disaient : « C’est le seul hebdomadaire que nous lisons, depuis au moins vingt ans. » Cet homme exquis et son épouse de dix ans sa cadette, « défenseure des droits des sans-papiers et de la Palestine », ainsi qu’elle se qualifie volontiers, avaient tenu à écrire à quatre mains le témoignage d’amitié qu’ils nous ont offert à l’occasion de notre cinquantième anniversaire, en octobre 2010. De Béchir Ben Yahmed, ils avouaient suivre les éditoriaux comme « une sorte de guide » et se retrouver « complètement » dans ses analyses sur le Proche-Orient, leur passion. Pour le coauteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, J.A. était un compagnon. Et BBY, un ami.

Ancienne correspondante de Jeune Afrique à Tunis et présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme depuis six ans, Souhayr Belhassen se souvient encore avec émotion d’un dîner chez Danielle et Béchir Ben Yahmed à l’occasion des 90 ans de cet éternel jeune homme : « Stéphane Hessel était la figure de proue de la "vague blanche pour la Syrie" que nous organisons le 15 mars, deux ans après le début de la révolution, explique Souhayr depuis Istanbul, où elle est en déplacement. Il n’hésitait jamais à s’engager, surtout lorsqu’il s’agissait des Palestiniens. La Palestine, c’était son écharde au coeur. Il est mort sans avoir pu l’ôter. » François Soudan

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