Rwanda : acquittés, mais à la rue
Ils sont une dizaine dans ce cas. Accusés de génocide, jugés à Arusha, ils ont fini par être libérés. Et ils n’ont nulle part où aller. Retourner dans leur pays ? Ils ne veulent pas en entendre parler !
Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza en sont encore à savourer leur victoire. Depuis 1999, ces deux anciens ministres du gouvernement intérimaire, au pouvoir en 1994, étaient détenus dans les cellules du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en Tanzanie. Condamnés en première instance à trente ans de prison pour leur rôle pendant le génocide, ils ont été acquittés et libérés en appel, le 4 février, en raison de « violation de leur droit à un procès équitable ».
Depuis, ils ont rejoint les résidences protégées du TPIR à Arusha, où étaient déjà logés huit anciens détenus (cinq acquittés et trois qui ont purgé leur peine). Tous y vivent aux frais du tribunal. Ils peuvent sortir, aller parfois jusqu’à Dar es-Salaam, mais leur liberté reste limitée : faute de papiers en règle (leurs passeports rwandais ont expiré il y a bien longtemps), ils ne peuvent ni travailler ni voyager, et les pays dans lesquels ils veulent s’installer refusent de les accueillir. « Ils sont partagés entre l’exaltation d’avoir eu gain de cause et la déception de voir que leurs ennuis ne sont pas terminés », explique Philippe Larochelle, l’avocat canadien d’André Ntagerura, acquitté en 2004.
Soucieux de montrer le visage d’un pays réconcilié, le ministre rwandais de la Justice, Tharcisse Karugarama, a répété fin février qu’ils étaient les bienvenus au Rwanda. Ils ne feront pas l’objet de poursuites pour les mêmes faits, répète Kigali. Mais, pour ces ex-détenus, il est hors de question de faire confiance au Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir), l’ancienne rébellion tutsie que leur gouvernement avait combattue avec tant de zèle. Philippe Larochelle en est persuadé : « Si mon client rentrait au Rwanda, on trouverait un moyen de l’accuser d’autre chose. »
Pays d’accueil
Sauf que le Rwanda refuse de leur délivrer de nouveaux papiers s’ils ne viennent pas les chercher à Kigali. « Ce n’est pas à nous de leur faire parvenir un passeport, sous prétexte qu’ils ne se sentent pas en sécurité », expliquait le procureur général du Rwanda, Martin Ngoga, à Jeune Afrique en janvier.
La question du pays d’accueil est encore plus épineuse. Le Canada par exemple, où trois ex-détenus souhaitent se rendre (dont l’ancien ministre rwandais des Affaires étrangères puis de la Santé, Casimir Bizimungu), a fait savoir qu’il n’était pas disposé à les accueillir. Jusque-là, seuls quatre pays ont en fait accepté d’ouvrir leur porte à des personnes qui avaient été acquittées : la Belgique, la France, l’Italie et la Suisse. Mais la position de Paris, qui reçoit la plupart des demandes, a évolué. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, les visas de long séjour ont été systématiquement refusés, au motif de possibles troubles à l’ordre public et aux relations avec le Rwanda.
En décembre 2012, une délégation du TPIR est allée plaider auprès des autorités françaises en faveur des demandes de trois acquittés (dont Protais Zigiranyirazo, le beau-frère du défunt président hutu Juvénal Habyarimana) et d’un militaire ayant purgé sa peine. Sans doute espéraient-ils du gouvernement de François Hollande plus de souplesse.
En attendant, les dix anciens détenus passent le plus clair de leur temps dans la bibliothèque du TPIR et devant les ordinateurs mis à leur disposition. C’est là qu’ils ont rédigé une lettre, accompagnée d’un mémorandum de 42 pages et adressée au Conseil de sécurité de l’ONU, le 22 février, pour attirer l’attention sur leur sort. Le compte à rebours a commencé. « Il est capital que nous trouvions des solutions viables pour eux d’ici à la fin de 2014 », date de fermeture définitive du tribunal, s’inquiète le greffier, Bongani Majola.
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Pierre Boisselet
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