Une étrange famille, par Alain Mabanckou

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  • Alain Mabanckou

    Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.

Publié le 15 mars 2013 Lecture : 2 minutes.

La romancière Pascale Kramer creuse depuis quelques années les profondeurs de l’âme humaine pour nous offrir une oeuvre dont l’originalité se distingue largement de la production romanesque française contemporaine. Chez elle, l’intime revêt tout d’un coup un caractère universel et, à certains égards, le destin de ses personnages – souvent écartelés par les vicissitudes de l’existence, la maladie ou la mort – nous bouscule, reste longtemps dans notre mémoire de lecteurs. L’oeuvre de Kramer est avant tout sociale, et c’est en cela qu’elle dépasse le cadre de ce que certains pourraient qualifier d’univers intimiste. Ainsi en était-il déjà d’Un homme ébranlé (Mercure de France, 2011), roman tendre et émouvant que j’avais chroniqué dans cette rubrique. Kramer nous catapultait alors au coeur d’une « chronique d’une mort annoncée », celle de Claude, cinquantenaire, atteint de cancer et qui devait composer avec son existence dans des rapports plus ou moins complexes avec les proches qui l’entouraient. La force de l’écriture de Kramer et la finesse de ses descriptions firent de ce récit-là une véritable merveille, loin du pathos que l’on retrouve souvent dans certaines fictions portées par de « bons sentiments » – ce qui n’est pas forcément de la littérature !

C’est dire que j’ai ouvert les pages de Gloria avec la certitude que l’auteure continuerait de creuser cet univers de notre condition humaine. Et je n’avais pas tort : dans ce nouveau roman, un autre destin se joue. Gloria est une femme qui a été placée dans un centre d’accueil. Elle est arrivée devant cet établissement avec son « mari », un homme qui aurait pu être son père et de qui elle est tombée enceinte. Elle n’a pas voulu avorter malgré le voeu de ses parents adoptifs. Michel, qui travaille dans cet établissement, encourage pour sa part Gloria à garder l’enfant, et entreprend de l’aider, quitte à perdre son emploi. Gloria et Michel ne se reverront plus, et ce dernier n’aura plus de nouvelles de sa « protégée »… jusqu’à ce qu’elle l’appelle trois ans plus tard.

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Elle vit toujours avec son « mari », le père de son enfant, Naïs, dans un logement insalubre. Rien n’a donc changé. Et Michel entre peu à peu dans un puzzle composé par cette existence précaire et le comportement pour le moins rude de la mère envers sa fille. A-t-il vraiment le droit et les moyens de s’interposer dans cette étrange famille sans être taxé de se mêler de ce qui ne le regarde pas ? Dans Gloria, Kramer nous questionne au fond sur la force de l’innocence de l’enfance en prise avec « l’insoutenable légèreté » des moeurs des adultes. Une réussite !

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