Mali : le chant des partisans

Alors que le Mali traverse une crise sans précédent, les artistes s’engagent pour la paix et l’unité de leur pays.

Cheick Tidiane Seck (à g.) et Bassekou Kouyaté sortent chacun un nouvel album. © Vincent Fournier pour J.A.

Cheick Tidiane Seck (à g.) et Bassekou Kouyaté sortent chacun un nouvel album. © Vincent Fournier pour J.A.

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 4 mars 2013 Lecture : 5 minutes.

Mercredi 21 mars 2012. Bassekou Kouyaté et ses musiciens sont réunis dans le célèbre studio Bogolan à Bamako. Le maître du ngoni (luth traditionnel malien) est là pour enregistrer son troisième album, Jama Ko. Le petit groupe entame ses premières mélodies en début d’après-midi. À 16 heures, il est brusquement interrompu. « On a entendu des rafales de mitraillettes, des tirs à l’arme lourde, des cris, se rappelle l’artiste. On était dans le studio et on n’avait aucune idée de ce qu’il se passait dehors. » Bassekou Kouyaté sort alors discrètement sur le pas de la porte. Au bout de la rue, à quelques dizaines de mètres, il aperçoit des militaires qui pressent le pas. Rapidement, il comprend qu’un putsch contre le président Amadou Toumani Touré est en cours. Surpris, choqué, il rejoint son équipe à l’intérieur. « Tout le monde était paniqué. J’ai dit alors : "On laisse tomber la politique, on ferme les portes, et on continue à faire de la musique." »

La semaine suivante, malgré une ambiance très tendue dans la capitale malienne, Bassekou Kouyaté et ses musiciens resteront dans le studio Bogolan pour boucler leur nouvel opus. Une expérience inédite pour cet instrumentiste chevronné. « Jama Ko, qui signifie "regroupement national" en bambara, est né dans un contexte très particulier, explique-t-il. On a adapté quelques titres pour faire passer un message : le retour à la paix et à l’unité du Mali. » À l’écoute, ce discours engagé est sublimé par le ngoni, les percussions et la voix envoûtante d’Amy Sacko, épouse du virtuose originaire de la région de Ségou.

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Militant

Comme Bassekou Kouyaté, nombreux sont les artistes maliens qui ont continué de jouer pendant la crise sans précédent qui agite leur pays. Le coup d’État militaire du 21 mars, la mise sous charia du Nord par d’obscurantistes groupes islamistes armés, et, depuis plus de un mois, le basculement dans une guerre qui s’annonce douloureuse n’y ont rien fait : les musiciens ne se sont jamais tus. Tous ont poursuivi leurs activités, enchaînant travail en studio, concerts et tournées. Plusieurs grands noms de la scène malienne ont ainsi sorti de nouveaux disques ces derniers mois, comme Salif Keita ou Ballaké Sissoko, ou plus récemment Cheick Tidiane Seck.

Cheick Tidiane Seck. (Vincent Furnier pour J.A.)

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Début février, l’ancien membre du Super Rail Band a dévoilé Guerrier (en référence à son surnom). Avec ce quatrième album, entièrement composé et enregistré en solo sur de multiples instruments et claviers, le maître de la fusion mélange habilement afro-funk, soul, jazz et reggae. Très concerné par la situation malienne, lui aussi a retravaillé un titre pour évoquer « le peuple malien un et indivisible ». Outre son projet personnel, Cheick Tidiane Seck multiplie depuis un an les initiatives en faveur du retour de la paix sur sa terre natale. Avec le collectif Action pour le Mali, il a organisé plusieurs soirées de soutien en région parisienne, dont un grand concert qui a réuni une soixantaine d’artistes et des milliers de personnes début septembre 2012 à Montreuil. « Il faut tenir un discours à la fois fédérateur et dénonciateur, assène l’artiste militant. Tant qu’on n’aura pas une constitution forte qui préserve la cohésion sociale et qui protège toutes les communautés, je continuerai de l’ouvrir ! »

Sa protégée Fatoumata Diawara est elle aussi bien décidée à ne pas rester les bras croisés. La jeune chanteuse malienne était à Bamako le 11 décembre 2012, jour de la démission forcée de l’ex-Premier ministre Cheick Modibo Diarra, poussé vers la sortie par les militaires putschistes de Kati. « Ce jour-là, je me suis dit que c’était trop, confie-t-elle. Je suis rentrée chez moi, j’ai pris ma guitare, et j’ai écrit la chanson Mali Ko ["Pour le Mali", en bambara, NDLR]. » Cette chanson pour la paix, « Fatou » l’a composée seule mais veut la chanter à plusieurs, afin de « montrer que les Maliens sont rassemblés et que l’espoir est toujours là ». Le lendemain, elle contacte des amis musiciens. En quelques jours, une quarantaine d’artistes, dont Amadou et Mariam, Toumani Diabaté, Oumou Sangaré ou encore l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly, qui a vécu au Mali lors de la crise qu’a traversé son pays, répondent présent. L’enregistrement se fera sur deux jours au studio Bogolan. « C’était très émouvant de voir tout le monde réuni autour de ce projet, glisse Fatoumata Diawara. On passe notre temps à se croiser à gauche et à droite, et là, on était ensemble, soudés, tous sur la même longueur d’onde. » Le single et la vidéo Mali Ko – dont les bénéfices sont reversés aux populations réfugiées du Nord – sont sortis mi-janvier, quelques jours à peine après l’offensive des jihadistes sur Mopti et l’intervention militaire française.

Certains griots se sont rapidement inspirés du filon bleu-blanc-rouge et remercient "Papa" Hollande.

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Pourtant très patriotes, la plupart des artistes maliens soutiennent le déploiement des soldats de l’ancienne puissance coloniale sur leur sol. « J’étais à Ségou quand les chasseurs ont commencé à bombarder Diabali, raconte Cheick Tidiane Seck. Je les ai entendus passer au-dessus de nos têtes. J’étais content, presque euphorique ! » Même discours chez Bassekou Kouyaté, qui précise avoir accroché des drapeaux français devant chez lui à Bamako pour saluer l’arrivée des « sauveurs ». De leur côté, certains griots se sont rapidement inspirés du filon bleu-blanc-rouge. « On a eu plusieurs artistes locaux, comme la célèbre griotte Babani Koné, qui sont venus enregistrer des titres pour remercier "Papa" Hollande et la France », assure Olivier Kaba, coresponsable du studio Bogolan.

Inquiétudes

Si l’espoir est bel et bien revenu depuis le déclenchement des opérations militaires contre les groupes islamistes armés, certains artistes et acteurs culturels subissent toujours la crise actuelle de plein fouet. Face aux fous de Dieu qui ne toléraient aucune autre note que celles des chants islamiques, les musiciens du Nord ont été contraints de fuir leur région d’origine il y a plusieurs mois (voir J.A. no 2708). Comme beaucoup de leurs proches, amis ou voisins, ils se sont réfugiés en « zone libre » et dans les pays limitrophes. Ousmane Ag Mossa, le leader du groupe touareg Tamikrest, n’est pas retourné dans sa ville de Kidal depuis un an. « Nous vivons des moments très difficiles à cause des islamistes radicaux, déplore-t-il. Mais l’État malien est aussi largement responsable de la situation actuelle. Il ne fait rien pour les Touaregs et a laissé les terroristes s’implanter dans notre désert. » Symbole de la détresse musicale des artistes du Nord-Mali, le célèbre Festival au désert de Tombouctou a dû être reporté à une date indéterminée.

Plus au sud, à Bamako, les difficultés se font également sentir. Le secteur culturel tourne au ralenti. Les patrons de maquis n’ont plus de quoi payer des artistes pour organiser des concerts. Le studio Bogolan, connu dans le monde entier pour ses collaborations fréquentes entre chanteurs maliens et étrangers et qui fête ses 10 ans, n’a plus accueilli de session internationale depuis plus de dix mois. Sortie en janvier, une compilation, Mali All Stars Bogolan Music, retrace cette décennie d’enregistrements de grands artistes maliens et internationaux.

Enfin, un autre souci préoccupe les musiciens maliens : que l’un d’entre eux profite de la situation actuelle pour se construire une renommée internationale et empocher d’éventuelles retombées financières. « Pour le moment, toutes les actions entreprises vont dans le bon sens, affirme le "Guerrier" Cheick Tidiane Seck. Mais gare à celui ou celle qui aurait des idées derrière la tête… » À bon entendeur

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