Arts plastiques : Mary T. Smith, l’étoile du sud des États-Unis

Originaire du Mississippi, Mary T. Smith a été l’une des principales représentantes de l’art brut africain-américain.

Le dessin sera un exutoire pour Mary T. Smith. © DR

Le dessin sera un exutoire pour Mary T. Smith. © DR

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 27 février 2013 Lecture : 3 minutes.

« Smith est considérée comme une artiste excentrique qui ne relève d’aucune des catégories du folklore qui intéressent l’État. » Quand en 1987 le collectionneur William S. Arnett propose de prendre à sa charge, avec l’aide de l’État, la préservation de la maison de Mary T. Smith, la réponse des autorités est sans appel. Ignorée de ses contemporains, l’artiste africaine-américaine originaire du Mississippi et à qui la galerie Christian Berst consacre une exposition* – la première en Europe – aura connu une vie de misère, d’indifférence, voire de mépris.

Née en 1904 dans une famille pauvre de métayers du Sud profond, elle est morte sans le sou en 1995. Toute sa vie durant elle aura trimé dans des fermes ou comme cuisinière pour des patrons blancs. Et pour acquérir son indépendance. Femme de caractère, elle se sépare au bout de deux mois de vie commune d’un premier époux infidèle et réclame son dû au patron de son deuxième mari, John Smith, qui, n’écoutant que sa lâcheté et les ordres de son employeur, se débarrassa d’elle. Quant au troisième conjoint, il sera le père de son enfant… qu’elle élèvera seule.

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L’adversité, Mary T. Smith l’aura combattue dès son enfance. Souffrant d’une déficience auditive, s’exprimant avec difficultés, la jeune fille a connu très tôt le regard moqueur et excluant des autres. « Le dessin, explique Christian Berst, sera son exutoire. » Lorsqu’elle prend sa retraite, en 1978, elle transforme peu à peu sa maison en une vaste oeuvre d’art. Elle construit une série de dépendances et du mobilier (niches, cabanes de jardin, tables, bancs…). Elle récupère des morceaux de tôle qui traînent ici et là, les découpe à la hache pour en faire les supports privilégiés de ses dessins. Elle les répartit tout le long de sa petite propriété, les exposant ainsi à la face du monde qui l’a rejetée.

Solaire

Elle crée de la sorte un monde parallèle – « une mythologie personnelle », précise le galeriste français passionné d’art brut – fait d’animaux (vaches, chiens, chats…), de portraits (toujours de face) d’inconnus ou de proches, et surtout de Jésus. Cet univers la comble tout entière, explique-t-elle à la fin de sa vie. « Je ne vais plus nulle part, dit-elle en 1986. Je n’entends plus rien. Je n’ai besoin de rien. J’ai tout ici. Mon église. Le Seigneur Jésus. »

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Dans un élan créateur forcené, elle confectionne en moins de deux décennies, de la fin des années 1970 jusqu’à la veille de sa mort (à bout de forces, elle arrête toute activité en 1991), des milliers d’oeuvres, essentiellement réalisées à partir de tôles blanchies à la chaux puis peintes ou sur des plaques de bois. Sa peinture est solaire, traversées d’astres, de cercles, d’icônes, d’auréoles. Et de mots (parfois inventés). Des inscriptions complètent le dessin. Mary T. Smith ne laisse rien au hasard et vit son art pleinement. À titre d’exemple, « ses robes, explique William Arnett, reflétaient son humeur et sa pensée. Elles étaient suspendues dans son placard, compartimentées, sacrées et profanes ». Et d’ajouter : « Quand elle allait peindre le Christ entouré de taches de sang, elle s’habillait en blanc – costume traditionnel du serviteur domestique, qu’elle appelait un "uniforme" – ou en tenue d’infirmière pour servir Dieu ou tenter de nous guérir tous. »

Heureusement, son talent aura fini par être reconnu. Grâce notamment à William Arnett. Cet amateur d’art africain et d’art africain-américain aura été l’un des premiers collectionneurs et curateurs à s’être intéressé à son génie. Et à l’exposer aux côtés de Sam Doyle – autre figure de cet art dit brut. Mary T. Smith, Sam Doyle… deux autodidactes exposés ensemble en 1982 et dont les oeuvres ont alors séduit un jeune artiste qui commençait à se faire un nom, un certain Jean-Michel Basquiat.

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Séverine Kodjo-Grandvaux

* « Mary T. Smith. Mississippi Shouting », jusqu’au 9 mars à la galerie Christian Berst, à Paris. À voir également, jusqu’au 15 mars, « Voodoo Child, Mary T. Smith & J.B. Murray », à la galerie abcd, à Montreuil (région parisienne).

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