Littérature : trois plumes dans le vent

Le festival Étonnants Voyageurs qui s’est tenu à Brazzaville (Congo) à la mi-février a rassemblé quelque 80 auteurs africains ou d’origine africaine. Parmi eux, plusieurs jeunes écrivains anglophones qui souhaitent faire entendre leur voix. Rencontre avec trois d’entre eux.

La fille du militant assassiné Ken Saro-Wiwa fait le point avec son pays comme avec sa propre histo © Baudoin Mouanda pour J.A.

La fille du militant assassiné Ken Saro-Wiwa fait le point avec son pays comme avec sa propre histo © Baudoin Mouanda pour J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 6 mars 2013 Lecture : 6 minutes.

Noo Saro-Wiwa

Le nom qu’elle porte est à la fois un fardeau et une bénédiction : Noo Saro-Wiwa, 37 ans, est la fille du Nigérian Ken Saro-Wiwa, écrivain, militant écologiste et défenseur des droits du peuple ogoni, assassiné le 10 novembre 1995 sous la dictature de Sani Abacha. Elle vient de publier un premier livre, Looking for Transwonderland : Travels in Nigeria (à paraître en français aux éditions Hoëbeke), salué par la critique. Alors évidemment, aborder le sujet du père est délicat. Mais comment faire autrement ?

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Dans son récit de voyage, couché sur le papier après quatre mois et demi passés au pays natal, Noo Saro-Wiwa n’hésite pas à aborder les questions les plus intimes, comme ces heures consacrées à la reconstitution, os par os, du squelette paternel afin de lui donner une sépulture décente. « Au début, je ne voulais pas parler de moi, confie-t-elle. Mais mon agent m’a dit que je devais me confronter à mon histoire. »

Cette histoire est avant tout très londonienne. Installée au Royaume-Uni avec mère, frères et soeur dès l’âge de 1 an, Noo Saro-Wiwa ne voit son père que par intermittence, lors de ses brèves visites ou pendant les congés. « Je retournais au Nigeria lors des vacances. Mais je ne trouvais pas cela aussi exotique ou amusant que les voyages de mes amis. Je n’aimais pas le village, où l’on perçoit toute la distance qui nous sépare de notre identité. » Sage étudiante élevée en anglais par des parents qui estimaient qu’elle aurait bien le temps, plus tard, d’apprendre sa langue, Noo Saro-Wiwa évolue entre les livres. « Mon père m’imposait des lectures en surgissant dans ma chambre et en disant : "Tiens, tu dois lire ça !" Sans lui, cela m’aurait pris plus de temps… » À 15 ans, le Lolita de Vladimir Nabokov lui donne envie d’écrire. Mais c’est bien des années plus tard que le récit de voyage Almost Heaven : Travels Through the Backwood of America, de Martin Fletcher, lui offrira la forme adaptée à son tempérament.

Diplômée en géographie et en journalisme, un temps auteure pour The Rough Guide to West Africa et pour Lonely Planet, elle commence par écrire – à 26 ans – sur l’Afrique du Sud. Le texte, inabouti, ne sera pas publié. Le retour au Nigeria, expérience difficile, nourrira son écriture. « Mon père et mon plus jeune frère sont morts dans un intervalle de deux ans, raconte-t-elle. Au village, j’ai commencé à rêver d’eux et mon rapport au pays est devenu très émotionnel. » Retrouvant un chez-soi, elle redécouvre un père et s’attaque enfin à la lecture de l’un de ses livres : Lemona’s Tale. « Moi, adulte, je ne l’ai jamais connu, puisque j’avais 19 ans quand il est mort et 17 ans la dernière fois que je l’ai vu. Ses écrits, c’est aujourd’hui la seule possibilité que j’ai de connaître sa personnalité. » Redécouvrir l’homme, redécouvrir le pays, sans rien occulter. Ni de la polygamie de l’un, qui avait une autre famille, ni des problèmes politico-économiques de l’autre. « On peut m’accuser d’avoir l’esprit colonisé, mais je réclame la possibilité de critiquer le Nigeria en tant que Nigériane. » Chez les Saro-Wiwa, l’engagement est peut-être une disposition génétique…

Nombre de jeunes auteurs anglophones puisent leur inspiration dans le chaos créatif des villes africaines.

Niq Mhlongo

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Niq Mhlongo vient de Soweto (Afrique du Sud), où il est né en 1973, où les dix personnes de sa famille s’entassaient dans un petit quatre-pièces et où il est allé à l’école jusqu’en 1985, quand les grèves et les manifestations ont finalement convaincu ses parents de l’envoyer terminer sa scolarité auprès d’un oncle, dans le Limpopo. « J’y ai appris beaucoup de la vie traditionnelle, et durant les vacances je revenais à Soweto, se souvient-il. Cela m’a ouvert sur des mondes différents. » Tout comme les textes à l’époque interdits que son grand frère lui donnait : écrits de Steve Biko et de Robert Sobukwe notamment. Avide de lecture, il a aussi découvert à travers les African Writers Series publiées par Heinemann à partir de 1962 les grands de la littérature africaine anglophone : le Kényan Ngugi wa Thiong’o, le Nigérian Chinua Achebe, le Ghanéen Ayi Kwei Armah, mais aussi les Sud-Africains Zakes Mda, Es’kia Mphahlele ou Peter Abrahams…

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En 1990, à l’âge de 17 ans, Mhlongo échoue en Standard 10 – le niveau qui précède l’université – en raison des mouvements politiques qui secouent l’Afrique du Sud après la libération de Mandela. S’il retrouve l’école en 1991, le manque d’argent l’empêche d’entrer à l’université : « J’ai vécu de petits boulots dans des bars, des usines… Je lisais beaucoup, surtout les écrivains qui parlaient de notre lutte contre l’apartheid, mais je n’écrivais pas. » La fin de la ségrégation marquera ses débuts dans l’écriture.

Admis à l’université du Witwatersrand pour étudier la littérature, l’histoire et la politique, Mhlongo est bousculé par le livre Down Second Avenue, de Mphahlele, « parce qu’il parle de sa vie et de la manière dont elle a été désorganisée par l’apartheid, prouvant que tout ce qui nous affectait alors n’était pas une question de choix ». Il commence un journal et rédige des nouvelles. La mort d’un ami, suicidé, donne naissance à un texte (The Dark End of Our Street) et le pousse à quitter Jo’burg pour Le Cap, à la fin des années 1990. Dans cette ville qui « a changé lentement et où il y a encore beaucoup de racisme », la solitude pousse à l’écriture. Collection de nouvelles liées entre elles, le manuscrit de Dog Eat Dog sera retravaillé à Soweto, perdu, retrouvé, refusé, puis accepté par l’éditeur Kwela et, enfin, publié en 2004. « J’avais 31 ans, il y avait peu de jeunes écrivains sud-africains noirs à l’époque, raconte Mhlongo. Mon succès est venu du fait que j’adoptais une perspective jeune sur les problèmes d’une nouvelle génération de Sud-Africains, comme le chômage, la pauvreté, l’éducation, la xénophobie… »

Labellisé Kwaito Generation – du nom du mouvement musical né à Johannesburg -, Mhlongo se lance aussitôt dans l’écriture d’un second roman, intitulé After Tears (2007). « Après les larmes », cérémonie traditionnelle qui suit un décès, et référence directe à la « mort de l’apartheid ». L’acte de décès date de presque vingt ans aujourd’hui, mais il n’a pas mis fin à « l’apartheid économique ». « Il y a une nouvelle génération qui n’a plus peur de s’exprimer contre la dégénérescence morale du milieu politique sud-africain, dit Mhlongo. Et je suis assez optimiste, d’un point de vue littéraire, quand je vois la détermination de la jeunesse à s’emparer de tous les sujets. » Lui-même est prompt à condamner « le népotisme qui va à l’encontre de tout ce que Mandela avait souhaité ». Son troisième roman paraîtra bientôt. Pour vivre, Niq Mhlongo aide à l’écriture de scripts au sein du National Electronic Media Institute of South Africa et travaille à mi-temps au Film and Publication Board, ancien organe de censure qui informe le public sur le contenu des livres et des films.

Teju Cole

« Je suis né dans le Michigan (États-Unis), mais je suis presque aussitôt parti au Nigeria, où j’ai vécu et étudié jusqu’à mes 17 ans, raconte le jeune Teju Cole. Depuis ma naissance, je suis à la fois américain et nigérian. » Posé et sûr de lui, l’auteur de Every Day Is for the Thief et d’Open City (Denoël) correspond à l’idée que l’on se fait de l’intellectuel new-yorkais : veste de velours noir, iPhone en surchauffe, anglais châtié et minutes comptées pour tout rendez-vous, fût-il organisé dans l’ambiance détendue d’un festival littéraire.

Photographe, professeur de littérature et d’histoire de l’art, Cole privilégie les réponses abruptes du genre : « Mon lien à la littérature nigériane est fort, mais mon lien à celle de James Joyce est peut-être encore plus fort. » D’ailleurs, il n’hésite pas à se placer dans une lignée littéraire des plus aristocratiques : « Un été, j’ai lu trois livres. L’Attrape-coeurs, de Salinger, Le Vieil Homme et la Mer, de Hemingway, et Portrait de l’artiste en jeune homme, de Joyce. Je me rends compte que c’est de là que vient ma formation. Dix ans plus tard, j’ai trouvé ma voix. » C’est-à-dire ? « Aujourd’hui, tout le monde peut raconter une histoire, mais pourquoi tout le monde n’est pas écrivain ? Il faut trouver une manière personnelle de dire le réel. » La sienne, donc, viendrait de sa capacité « à exprimer les idées les plus complexes dans le langage le plus simple possible ».

Fasciné par la dynamique et la créativité des villes, il aime à en travailler le passé et la simultanéité des événements qui s’y déroulent. Ainsi Open City était un livre sur le deuil lié aux attentats du 11 septembre 2001, à New York, et son prochain texte portera sur une autre ville chère à son coeur : Lagos. 

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(photos : Baudoin Mouanda pour J.A.)

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