Israël : Ben Zygier, mort sous X
Révélé par un documentaire australien, le mystérieux suicide en 2010 d’un agent présumé du Mossad placé en isolement total embarrasse au plus haut point les autorités.
C’est une histoire d’espionnage pleine de zones d’ombre qui agite actuellement Israël, pays où le culte du secret a toujours été érigé en valeur patriotique. « L’affaire X », telle que les médias l’ont baptisée, est devenue une préoccupation nationale pour l’opinion. Voilà quinze jours qu’elle a relégué au second plan les sujets de politique intérieure, à commencer par les tractations autour de la formation d’un nouveau gouvernement sous l’égide de Benyamin Netanyahou, dont personne n’aura relevé qu’elles tardent à aboutir.
À l’origine du scandale, un documentaire de la chaîne de télévision australienne ABC. Diffusé le 12 février, il relate le destin tragique de Ben Zygier, un Juif australien de 34 ans, avocat de profession, que les services de renseignements israéliens du Mossad auraient enrôlé pour des missions hautement sensibles, avant de le faire emprisonner sous l’appellation « prisonnier X ». Le 15 décembre 2010, il est 8 h 19 quand les geôliers du centre pénitencier d’Ayalon, au sud de Tel-Aviv, découvrent le corps inerte de Zygier, pendu dans sa cellule.
Membre éminent de la communauté juive de Melbourne, son père est immédiatement alerté par les autorités israéliennes, mais, à ce stade, il ignore encore tout de la carrière clandestine de Ben, par exemple ses voyages au Liban, en Syrie et en Iran, muni d’un passeport australien, selon les informations transmises par la chaîne ABC. Finalement, de leur fils qu’ils croyaient disparu, les Zygier savaient qu’il avait fait son alyah (« l’immigration ») en Terre promise, servi sous les drapeaux et épousé une Israélienne avec laquelle il a eu deux enfants.
Trouble
Au lendemain de ces révélations, trois députés de la Knesset profitent de leur immunité parlementaire pour s’emparer du dossier. Friand des coups d’éclat, le député Ahmed Tibi interpelle publiquement le ministre israélien de la Justice, Yaakov Neeman : « Avez-vous connaissance de cette affaire ? Acceptez-vous le fait qu’un citoyen australien se soit suicidé en prison ici, sous une fausse identité, et sans publication de son état de prisonnier en Israël ? » Ces questions troublantes en appellent d’autres et obligent la censure à lever l’interdiction faite aux médias locaux de traiter l’affaire.
Le Mossad aurait découvert qu’il s’apprêtait à révéler des informations confidentielles.
Ces derniers s’interrogent d’abord sur la personnalité de Ben Zygier, que ses proches décrivent comme quelqu’un de « bavard », du genre à revendiquer ses exploits avec fierté. « Il m’a dit qu’il venait d’être recruté. J’étais choqué. C’est le type de sujet sur lequel les gens plaisantent souvent, mais je n’avais aucune raison de douter de lui », confie l’un de ses amis de Melbourne au quotidien Haaretz. Un profil, donc, aux antipodes de la discrétion extrême requise pour opérer dans l’ombre, propre à tout agent des services secrets.
Autre élément trouble : pour quelle raison Ben Zygier a-t-il été placé en isolement total, dans le même type de cellule bétonnée et ultrasécurisée qu’Israël avait jusqu’alors réservée au seul Ygal Amir, l’assassin d’Itzhak Rabin ? D’après le journal australien Sydney Morning Herald, les responsables du Mossad auraient découvert que Ben Zygier s’apprêtait à révéler des informations sur leurs activités, dont une mission en Italie impliquant la création d’une société de vente de composants électroniques défectueux destinés à l’Iran.
"Acte volontaire"
D’après des sources israéliennes, Ben Zygier serait très vite entré dans le collimateur des services de renseignements intérieurs australiens (Asio), au même titre que deux autres citoyens juifs binationaux. Il aurait éveillé leurs soupçons en demandant un nouveau passeport sous le nom de Ben Alon. Cette requête aurait été formulée en janvier 2010, peu de temps après la retentissante affaire des faux passeports de Dubaï, qui avait suivi l’assassinat d’un cadre militaire du Hamas palestinien, Mahmoud al-Mabhouh. Une thèse réfutée par le gouvernement israélien, soucieux d’éviter un incident diplomatique avec Canberra. « Zygier n’avait aucun contact avec les services et les agences de sécurité australiens », a précisé dans un communiqué Benyamin Netanyahou, dont le bureau supervise directement le Mossad. Le Premier ministre israélien a loué « l’excellente coopération » et la « transparence totale » entre son pays et l’Australie.
La Knesset s’est engagée à ouvrir une enquête parlementaire sur le "prisonnier X".
Qu’est-ce qui a donc poussé le jeune espion au suicide ? Les experts doutent que les services secrets de l’État hébreu aient pu recruter un homme psychologiquement fragile. « Il avait honte de ce qu’il avait fait », assure une source proche du dossier, citée par la télévision israélienne. Faute d’éléments probants, les circonstances de sa mort seront toutefois difficiles à déterminer. Seul le rapport du médecin légiste a, pour l’heure, été rendu public par la justice israélienne. « Le défunt a été retrouvé pendu dans la douche de sa cellule de détention, avec un drap autour du cou attaché à la fenêtre de la salle de bain. Il s’agit d’un acte volontaire », conclut le document.
Du fait de l’ampleur prise par cette affaire, la Knesset s’est engagée à ouvrir une enquête parlementaire sur le « prisonnier X ». Même si pour une partie de l’opinion, l’état de guerre peut justifier le recours à l’espionnage et à la censure, certaines voix estiment que ce type de tragédie est indigne d’une démocratie. « Israël n’est pas un pays comme les autres », s’est défendu Benyamin Netanyahou. Plus mesuré, son ministre de l’Intérieur, Itzhak Aharonovitch, n’a pas évoqué la raison d’État, mais a certifié qu’il n’existait pas d’autres cas similaires dans les prisons israéliennes. « Les détenus ne disparaissent pas en Israël. L’État supervise, prend en charge et réglemente, et les procédures légales sont strictement respectées », a-t-il affirmé.
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