Congo : Sassou Nguesso candidat en 2016 ?

Sera-t-il ou non candidat à sa succession en 2016 ? Et si oui, comment compte-t-il s’y prendre pour contourner l’obstacle constitutionnel ? Ces questions, tout Brazzaville se les pose sans que l’intéressé y réponde. Muet sur ses intentions, le président congolais Denis Sassou Nguesso préfère pour l’instant déployer à l’extérieur ses talents de médiateur. Non sans succès, mais loin de la France…

Le retour de Sassou Nguesso au pouvoir. Brazzaville, le 25 octobre 1997 © Jean-Philippe Ksiazek/AFP

Le retour de Sassou Nguesso au pouvoir. Brazzaville, le 25 octobre 1997 © Jean-Philippe Ksiazek/AFP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 6 mars 2013 Lecture : 9 minutes.

Mis à jour le 11/03 à 18h09.

Une fois assumés les inconvénients, en termes de repères temporels, que représente cette anomalie calendaire tout droit issue de l’administration coloniale, être « né vers » présente un avantage inédit. Denis Sassou Nguesso, qui appartient à la dernière génération de ces Africains nés en brousse à l’époque où les registres de l’état civil donnaient allègrement dans l’approximatif, ne saura jamais quand il a vu le jour à Edou, chef-lieu de canton de la Cuvette, à 400 km au nord de Brazzaville (Congo). Du coup, s’amuse celui qu’un fonctionnaire blanc expéditif a fait naître « vers 1943 », « chaque matin de 2013 est celui de mon soixante-dixième anniversaire ».

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L’homme à l’élégance toujours aussi millimétrée, de la pointe des chaussures au pli du col, qui nous reçoit un après-midi de février dans sa résidence du Plateau, n’a pourtant guère l’humeur festive. Même si sept décennies d’une vie souvent sur le fil du rasoir, dont presque trois passées au pouvoir, usent forcément l’organisme et teintent les journées de travail d’une dose de lassitude, Denis Sassou Nguesso n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il s’agit de déployer ses talents de médiateur.

En tête de gondole sur le fragile règlement de la crise centrafricaine, dont il surveille les acteurs – président Bozizé compris – comme le lait sur le feu, il s’est également beaucoup investi, avec l’aide de son conseiller spécial et sherpa, le très discret Abbas Haïdara, dans l’élaboration du plan régional de paix pour l’est de la RD Congo, recevant tour à tour ces dernières semaines les présidents Joseph Kabila et Paul Kagamé. Il devait d’ailleurs en être, le 24 février, l’un des signataires à Addis-Abeba, avec ce label d’honnête courtier que tous ses pairs d’Afrique centrale lui reconnaissent. Autre signe d’intérêt : dans un mois, le nouveau président chinois, Xi Jinping, fera étape à Brazzaville pour sa première tournée africaine, une visite présentée à Pékin comme une consécration du statut de sage attribué au chef de l’État d’un pays en passe de devenir l’un des pivots pétroliers de la Chinafrique.

À l’instar des avions d’Air France, ou d’Ecair – la nouvelle compagnie nationale reliant Paris au Congo – et des hôtels de la capitale, le calendrier des rendez-vous internationaux de Denis Sassou Nguesso a rarement été aussi rempli qu’en ce moment, et ses partenaires aussi attentionnés. À preuve, il a suffi d’un froncement de sourcils du chef pour que le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, rappelle définitivement, en janvier, son ambassadeur à Brazzaville, jugé trop intrusif. Et l’étendue des liens que Sassou Nguesso entretient de longue date avec la quasi-totalité de la classe politique en RD Congo fait de lui le médiateur quasi obligé d’un dialogue politique perçu comme de plus en plus indispensable. Qui a osé dire que la panthère mbochie n’avait plus de dents ?

Caillou

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Si impression d’isolement il y a, elle tient du tropisme, ou plus exactement de l’état actuel des relations avec un unique pays : la France. Les deux hommes n’ayant guère d’affinités réciproques, Denis Sassou Nguesso ne s’est toujours pas rendu à Paris depuis l’élection de François Hollande, et même si le Congolais a tenu à faire preuve de bonne volonté en prêtant un avion gros-porteur pour déposer les troupes tchadiennes au Mali, c’était pour répondre à une demande explicite d’Idriss Déby Itno beaucoup plus que pour complaire à l’hôte de l’Élysée. L’entretien que Hollande et lui ont eu en marge du sommet de la Francophonie à Kinshasa, en octobre dernier, a d’ailleurs été assez tendu, avec, comme pierre d’achoppement, le dossier empoisonné des « biens mal acquis » (BMA).

L’affaire des biens mal acquis, c’est comme un caillou dans une chaussure.

Denis Sassou Nguesso, le président congolais

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À son homologue français qui lui répétait qu’il n’était ni en son pouvoir ni de sa volonté d’interférer dans l’enquête judiciaire en cours, Sassou Nguesso a répondu sur le mode de l’allégorie : « Cette affaire, lui ai-je dit, c’est comme un caillou dans une chaussure. D’abord, c’est une petite gêne, on n’y prête pas attention et on continue de marcher. Puis la gêne se transforme en écorchure, rien d’inquiétant. On marche encore. Puis l’écorchure devient une plaie que l’on néglige de soigner et devient gangrène. Alors, c’est l’amputation. » Brazzaville, qui fut capitale de la France libre, coupée de l’ancienne métropole ? On n’en est certes pas là tant l’entrelacs des liens culturels et économiques entre les deux pays est étroit. Mais depuis l’échange de Kinshasa, deux perquisitions visant des membres de la famille présidentielle ont eu lieu à Paris et dans sa banlieue proche, et Denis Sassou Nguesso en a été ulcéré. Contrairement à son voisin Ali Bongo Ondimba, qui, soucieux de se démarquer de son père, a longtemps pratiqué l’esquive sur ce dossier et plaidé (en vain) la méconnaissance de cause, Sassou l’affronte de face. Début janvier, il a convoqué ses avocats français et les a instruits de rendre coup pour coup. Reste à savoir comment.

Quelle que soit l’issue de ce bras de fer entre le sixième producteur de pétrole d’Afrique et des ONG françaises proches à la fois de l’Élysée (Me William Bourdon, à l’origine de la plainte sur les BMA, a été le conseiller aux droits de l’homme du candidat Hollande), mais aussi des ministres de la Justice et du Développement, Christiane Taubira et Pascal Canfin, ses conséquences seront sans doute plus symboliques et émotionnelles que réelles. D’abord parce que François Hollande, qui est loin d’en avoir fini avec la crise malienne et ses dommages collatéraux, a besoin d’alliés africains sûrs au point de découvrir les « vertus » de régimes à poigne comme celui du tchadien Déby Itno. Ensuite parce que les effets de ce psychodrame sur la seule échéance de politique intérieure congolaise qui compte – la présidentielle de 2016 – sont faibles, en tout cas peu mesurables pour l’instant.

Denis Sassou Nguesso sera-t-il candidat à sa succession dans trois ans ? L’intéressé n’en dit mot, et la Constitution le lui interdit par un système de triple verrouillage : la limite d’âge (70 ans), la limitation du nombre des mandats (deux de sept ans) et l’impossibilité de modifier le texte fondamental. Pour contourner l’obstacle, il faudrait un changement de régime (de présidentiel à semi-présidentiel par exemple) et donc une nouvelle Constitution soumise à un référendum d’initiative populaire, un simple vote des députés présentant, pour un tel enjeu, un évident déficit de légitimité. 

Nous sortons peu à peu du tête-à-tête incestueux avec Paris.

Un proche du président Denis Sassou Nguesso

Pour qui connaît le Congo, l’hypothèse d’un nouveau (et ultime) mandat de Sassou à la tête du pays ne devrait pas poser de difficulté majeure sur le plan interne. Le quadrillage du Parti congolais du travail (PCT), dont le moteur de machine électorale s’est remis en marche depuis son sixième congrès de 2011, est tel, et l’atomisation de l’opposition, au sein de laquelle seul l’ancien ministre des Finances, Mathias Dzon, à la tête d’une petite formation non représentée au Parlement, s’oppose frontalement au pouvoir, est si évidente, que les jeux paraissent faits d’avance.

Face aux réticences, surtout sensibles en milieu urbain au sein de ce qui tient lieu de société civile, Sassou Nguesso pourra en outre compter sur les gros bataillons des électeurs de province, sevrés de candidats identitaires crédibles et touchés par les bienfaits d’une politique de municipalisation accélérée qui a porté ses fruits : de Dolisie à Impfondo, le développement des infrastructures de base a connu ces dernières années un bond en avant impressionnant. Reste à gérer l’extérieur : aux yeux de la communauté internationale, le fait de ne pas passer la main quand on l’a eue pendant trois décennies (même si, dans le cas d’espèce, ce fut en deux périodes distinctes entrecoupées de cinq années de traversée du désert) est une anomalie politiquement incorrecte qui contrevient aux règles élémentaires de la bonne gouvernance. Un écueil que ce proche du président tient toutefois à relativiser : « Quand on parle de communauté internationale, ici, on parle en réalité de la France. Or nous sortons peu à peu du tête-à-tête incestueux avec Paris. La Chine, qui est désormais notre premier partenaire, n’a pas toutes ces préventions. » 

La tentation de l’Alima

En attendant, l’entourage scrute le chef. A-t-il encore l’envie ? Quand se décidera-t-il ? On scrute, on s’épie, et dans cette atmosphère raréfiée où deux ou trois caciques maintiennent les trois quarts des ministres en état d’apnée budgétaire et font à peu près ce qu’ils veulent, la nuit est propice aux petites manoeuvres. Déjà, une demi-douzaine de collaborateurs, parfois très proches du président, qui lui doivent tout et qu’il serait cruel de nommer, donnent des signes d’impatience : si « il » ne se représente pas en 2016, eux sont prêts à faire don de leur personne. Résigné sur la nature humaine (« Si je ne supportais pas la trahison, je ne travaillerais avec personne dans ce pays », confie-t-il) mais pas dupe pour un sou, l’intéressé attend, la mine gourmande, que ces héritiers autoadoubés sortent du bois. Quant à la question sur son envie de continuer, la réponse est simple. À 70 ans, et même si la tentation de l’Alima, ce fleuve sur les rives duquel il aime venir se reposer, le tenaille parfois, Denis Sassou Nguesso a toujours autant envie qu’on ait envie de lui. Comme si être « né vers » avait valeur d’éternel élixir de jeunesse.

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Par François Soudan, envoyé spécial

Confidences d’un président

Femmes

« Mon père, Julien, était une figure lointaine et autoritaire, qui a eu six épouses. Ma mère, Émilienne, a donc joué un rôle fondamental dans ma construction affective. J’ai toujours été entouré de femmes : mes filles bien sûr, surtout Édith-Lucie dont je suis inconsolable. Et puis Antoinette, mon épouse. Le 5 juin 1997, quand la guerre civile a éclaté, j’ai eu très peur pour elle. Elle était à Pointe-Noire, menacée d’être prise en otage. On l’a cachée dans trois maisons successives avant qu’Édith-Lucie envoie depuis Libreville un avion maquillé en cargo pour l’exfiltrer en bout de piste. »

Trahisons

« La conférence nationale de 1991, je l’ai vécue comme la chronique de ma mort politique annoncée. Cela a commencé par la trahison de certains de mes collaborateurs chargés de l’organiser. Puis il m’a fallu supporter trois mois d’insultes quotidiennes retransmises en direct à la télévision. Plus d’une fois, j’ai dû calmer les parachutistes de ma garde qui voulaient disperser les congressistes et mettre fin au spectacle. »

Sueurs froides

« Au tout début du mois d’octobre 1997, j’ai cru que j’allais perdre la guerre. J’étais à bout de forces. Je n’avais plus d’armes, plus de munitions. J’ai demandé à mon frère dos Santos, le président angolais, de m’en fournir. Il a accepté et, avec l’accord de Laurent-Désiré Kabila, il les a fait transporter sur l’aéroport de Kinshasa d’où elles devaient traverser le fleuve Congo. Mais Kabila s’est rétracté après avoir reçu une délégation, dûment munie de mallettes, envoyée par Pascal Lissouba. Le matériel a donc regagné Luanda et j’ai dû supplier Omar Bongo pour qu’il accepte de le faire transiter par l’aéroport de Franceville. Bongo a dit oui, à condition que le transbordement se fasse en deux nuits, pas une de plus. Entre-temps, nous avions pris le petit aérodrome d’Owando où les armes ont pu être acheminées depuis le Gabon. Quinze jours plus tard, j’entrais dans Brazzaville. »

Propos recueillis lors d’une conversation informelle à la résidence présidentielle du Plateau, en février 2013.

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