CPI – Fatou Bensouda : « Notre ambition est que tous les auteurs de crimes soient poursuivis »
La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, expose à Jeune Afrique les accusations qui pèsent sur Laurent Gbagbo, dont l’audience de confirmation des charges s’est achevée le 28 février. La décision d’une inculpation de l’ancien chef d’État pourrait intervenir dans les semaines qui viennent.
Jeune Afrique : Vous estimez à plus de 700 le nombre de crimes imputables à Laurent Gbagbo. Quel est son niveau de responsabilité ?
Fatou Bensouda : Nous le poursuivons comme coauteur indirect de ces crimes ou pour avoir contribué de toute autre manière à leur commission en nous fondant sur les ordres qu’il a donnés. Notre dossier d’accusation est très étoffé. Nous avons collecté plus de 3 500 éléments de preuve, dont 900 l’incriminent. Laurent Gbagbo élaborait sa stratégie avec un groupe de proches, mais il était le principal coordonnateur des exactions. Celles-ci relevaient d’une intention, d’une politique, d’un plan pour garder le pouvoir et s’attaquer aux civils. Sans son implication, tous ces crimes n’auraient pas été commis.
>> Lire "Côte d’Ivoire : l’allocution de Laurent Gbagbo à la CPI"
Plus de 3 000 morts ont été recensés durant cette crise postélectorale. À qui les autres décès sont-ils imputables ?
Une multitude d’acteurs portent une responsabilité dans la perpétration de ces crimes. Notre rôle est de nous assurer que leurs principaux auteurs seront poursuivis, mais nous ne pouvons engager des poursuites contre tous. Les autorités ivoiriennes ont, de leur côté, pris des dispositions pour en juger certains. L’action de la CPI permettra de faire éclater la vérité pour faciliter la réconciliation.
La défense de Laurent Gbagbo déplore qu’il soit, à vos yeux, le seul coupable…
On ne doit pas politiser notre travail. Nous avons également émis un mandat d’arrêt à l’encontre de son épouse, Simone Gbagbo, qui porte une lourde responsabilité dans la perpétration de ces crimes. Cette procédure juridique est l’aboutissement d’enquêtes de terrain. Nos poursuites visent aussi les forces belligérantes de l’autre camp. On ne peut toutefois mener de front toutes ces procédures. Mais, rassurez-vous, aucune partie prenante à la crise ne sera épargnée.
Vos accusations ne sont-elles étayées que par des informations provenant des autorités ivoiriennes actuelles et des anciennes forces rebelles, comme l’affirment les avocats de Gbagbo ?
La défense joue sur le sensationnalisme pour décrédibiliser nos preuves et impressionner le grand public. Nous détenons des centaines de témoignages, de documents, de vidéos, etc. Nous nous appuyons aussi sur des rapports des Nations unies et d’ONG, ainsi que sur des documents que nous avons saisis dans l’ordinateur personnel de Laurent Gbagbo.
Vous avez émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Simone Gbagbo que les autorités ivoiriennes n’exécutent pas pour l’instant. Cela n’affaiblit-il pas vos accusations ?
Notre juridiction est complémentaire de celle des États. Elle est, selon moi, la mieux indiquée pour instruire les crimes les plus graves quand les systèmes judiciaires nationaux ne sont pas aptes à le faire. Au début, les autorités ivoiriennes nous avaient sollicité à cette fin. Mais elles auraient aussi engagé une procédure contre Simone Gbagbo et également un processus de réconciliation. C’est leur choix de poursuivre plusieurs voies et de contester la recevabilité d’une affaire devant notre cour : ce sont les règles du traité de Rome. Si la justice ivoirienne organise un procès et conteste la recevabilité, nos juges aviseront. La CPI pourra demander que l’affaire revienne devant elle.
Que pensez-vous de la requête des avocats de Gbagbo, qui souhaitent que leur client soit jugé en Côte d’Ivoire ?
La défense a dit beaucoup de choses… Une procédure à l’encontre de Gbagbo est en cours devant la CPI, et les autorités ivoiriennes n’ont pas fait connaître leur souhait de le récupérer.
Si les juges décidaient d’ouvrir un procès, ne craignez-vous pas que la défense ne profite de cette occasion pour juger la France, le Burkina et les héritiers d’Houphouët-Boigny ?
Nos preuves démontrent clairement la responsabilité de Laurent Gbagbo. Nous emmener sur un autre terrain est sans fondement. Quant aux considérations historiques, elles ne peuvent être prises en compte dans cette affaire, qui porte sur les violences commises durant la période postélectorale. La défense utilise cet argument pour détourner l’attention.
Amnesty International publie le 26 février un rapport sur les exactions commises récemment par les forces armées, sous la responsabilité du président Ouattara. Enquêterez-vous également sur ces cas ?
Notre mandat s’étend au-delà de la période postélectorale à proprement parler. Notre ambition est que tous les auteurs de crimes, quel que soit leur camp, soient poursuivis. Ce rapport ne peut servir de base à nos enquêtes mais peut apporter des éléments d’informations dans le cadre de celles-ci.
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Propos recueillis à La Haye par Pascal Airault
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