Chine – Japon : renversement d’alliances
Face à la montée en puissance de la Chine, le Japon augmente son budget défense, réarme et multiplie les accords de coopération militaire avec des pays qui eurent naguère à souffrir de sa tyrannie.
« La montée en puissance militaire et les activités maritimes de la Chine sont pour nous un sujet de préoccupation », a déclaré le 31 janvier Shinzo Abe, le Premier ministre conservateur. Qui, dans la foulée, a annoncé son intention d’amender la Constitution pacifiste en vigueur depuis 1947. Imposée par les États-Unis, celle-ci stipule que le Japon renonce à la guerre en tant que droit souverain dans le règlement des conflits internationaux.
Venant d’un nationaliste pur et dur comme Abe, qui a ramené le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir à la faveur des législatives de décembre 2012, l’annonce a jeté un froid en Chine et en Corée du Sud, toujours promptes à rappeler le passé militariste nippon. Rien ne justifie pourtant un quelconque affolement. Il sera en effet très difficile de modifier la Constitution. D’abord parce que le processus d’amendement requiert une majorité des deux tiers au Parlement. Ensuite parce que la population demeure très attachée au pacifisme constitutionnel.
Le symbole n’en est pas moins fort dans cette Asie du Nord-Est où les tensions entre le Japon et la Chine à propos des îles Senkaku, mais aussi, dans une moindre mesure, la Corée du Sud pour la souveraineté sur les îles Dokdo ne cessent de s’envenimer. Et ne parlons même pas de la menace de déstabilisation de la péninsule coréenne que font peser les essais nucléaires entrepris par Pyongyang…
Renforcement de la surveillance
Pour la première fois depuis onze ans, le budget japonais de la Défense devrait augmenter en 2013-2014 de 1,6 milliard d’euros. Cette somme est notamment destinée à la modernisation de quatre chasseurs F-15, à l’acquisition d’hélicoptères, de drones d’observation Global Hawk et de nouveaux systèmes antimissiles PAC-3, mais aussi à l’achat de carburant pour les avions d’alerte précoce et à la recherche d’une technologie radar capable de détecter des petits avions à longue distance. Autant de projets destinés dans un futur proche au renforcement de la surveillance des eaux territoriales autour des Senkaku. Si cette demande est entérinée par le ministère des Finances, le budget de la défense sera porté à 41 milliards d’euros. Soit 1 % du PIB.
Cette augmentation traduit certes la volonté du Premier ministre de renforcer la défense de son pays. Mais certains achats (destroyers porte-hélicoptères aux dimensions de porte-avions, 42 avions de chasse furtifs F-35, 6 sous-marins) avaient été prévus de longue date par les gouvernements précédents, pourtant plus pacifistes.
Entre marteau et enclume
Le budget militaire japonais est le sixième de la planète. Avec une armée de 240 000 hommes disposant d’équipements de pointe (missiles à longue portée, sous-marins nucléaires ultrasophistiqués, croiseurs capables de détruire en vol des missiles balistiques), ce pays apparaît de plus en plus aux yeux des autres nations asiatiques, désormais résolues à tirer un trait sur le passé, comme la seule puissance navale capable de tenir tête à la Chine. Pris entre le marteau chinois et l’enclume américaine, le Japon tisse sa toile et multiplie les partenariats stratégiques régionaux, tant pour la sécurisation des routes maritimes (accord militaire avec les Philippines, juin 2012) que pour la lutte contre le terrorisme (Inde, 2006 ; Australie, 2008).
Face à une Chine de plus en plus avide et agressive, les cartes sont en effet redistribuées.
En 2004, l’envoi de troupes japonaises en Irak dans un but humanitaire et de reconstruction avait fait grand bruit. Aujourd’hui, l’importante aide militaire apportée à plusieurs pays d’Asie du Sud-Est (entraînement des troupes au Cambodge, encadrement et aide logistique au Timor oriental) passe totalement inaperçue. C’est pourtant une première depuis la Seconde Guerre mondiale !
Redistribution des cartes
Face à une Chine de plus en plus avide et agressive, les cartes sont en effet redistribuées. Certaines nations (Thaïlande, Philippines, Vietnam, Indonésie) qui, dans le passé, eurent à pâtir des atrocités nippones sont prêtes à passer l’éponge et à se ranger derrière l’ennemi d’hier contre celui d’aujourd’hui. « Nous avons remisé au placard nos cauchemars de la Seconde Guerre mondiale. Face à la menace chinoise, il n’y a plus à réfléchir », explique par exemple le Philippin Rommel Banlaoi, de l’Institut de recherche sur la paix, la violence et le terrorisme, à Manille.
Inquiets eux aussi de l’accroissement de la puissance militaire chinoise, les États-Unis ne demandent pas mieux que de voir le Japon s’engager plus fermement à leurs côtés. Le 19 janvier, Hillary Clinton, la désormais ex-secrétaire d’État, a clairement indiqué que, pour son pays, les Senkaku étaient légalement administrées par le Japon. C’était tout à la fois un avertissement à Pékin et un appel à la coopération à l’adresse de Tokyo.
Alors, assiste-t-on vraiment à un réarmement, voire à une remilitarisation de l’archipel ? À bien y regarder, il s’agit plutôt d’un repositionnement historique sur la scène internationale et régionale. Mais c’est vrai, ce repositionnement comporte de sérieux risques de dérapage dans une Asie devenue une véritable poudrière.
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