Iran : Obama tranchera-t-il le nœud gordien ?
En laissant ouverte la porte des négociations avec Téhéran, la Maison Blanche se donne les moyens de mettre fin à trente-quatre années d’hostilité ininterrompue. Encore faut-il qu’elle change d’approche.
Les négociations avec l’Iran sont réapparues sur l’agenda international. Après neuf mois d’interruption des discussions, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne – le P5+1 – doivent se réunir avec les Iraniens le 25 février au Kazakhstan. Quelles sont les perspectives de succès ? En bref, elles semblent dépendre davantage du climat à Washington qu’à Téhéran. Car si l’Iran manifeste sa volonté de négocier, les États-Unis n’ont pas montré plus de flexibilité que dans le passé.
Le 10 février, à Téhéran, le président Mahmoud Ahmadinejad a fait un important discours où il s’est adressé aux États-Unis. « Cessez de braquer votre canon sur la tempe de la nation iranienne et je viendrai moi-même négocier avec vous », a-t-il déclaré. Au même moment, l’ambassadeur d’Iran à Paris affirmait à des fonctionnaires français que, si un accord était trouvé sur un programme de travail, l’Iran serait prêt à laisser les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) examiner le site de Parchin, une installation de l’armée où auraient été effectuées des recherches nucléaires militaires. Ahmadinejad a lui-même répété que l’Iran était prêt à cesser d’enrichir de l’uranium à 20 % si la communauté internationale acceptait de fournir ce minerai pour le réacteur de recherche de Téhéran qui produit les isotopes nécessaires au traitement des cancéreux.
La voie vers un accord américano-iranien est semée d’obstacles.
Seul signe encourageant des États-Unis, le vice-président, Joe Biden, a suggéré le 2 février à la conférence de Munich sur la sécurité que le temps était peut-être venu d’engager des pourparlers bilatéraux entre l’Iran et son pays. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, y avait répondu favorablement, tout en précisant que l’Iran chercherait à s’assurer que cette offre était bien « authentique » et non « sournoise ». La voie vers un accord américano-iranien est semée d’obstacles, et la méfiance profonde entre les deux États n’en est pas le moins important. Les experts ne sont guère optimistes sur la possibilité de progrès imminents. L’Iran va pour sa part certainement ajourner toute décision stratégique majeure jusqu’à l’élection, en juin, d’un nouveau président pour succéder à Ahmadinejad. Et les Américains doivent, de leur côté, garantir à leurs alliés arabes du Golfe qu’ils ne tomberont pas sous la domination iranienne et qu’ils continueront à bénéficier de la protection américaine.
Obstacles
L’État hébreu, proche allié des États-Unis, constitue un obstacle plus grand encore. Les Israéliens s’opposent fermement à tout arrangement qui permettrait à l’Iran d’enrichir de l’uranium, même au niveau très faible de 3,5 %. Refusant la moindre concurrence à son formidable arsenal atomique, Tel-Aviv cherche depuis longtemps l’arrêt total du programme nucléaire de Téhéran. Il a ainsi assassiné plusieurs scientifiques iraniens et s’est joint aux États-Unis pour mener une guerre cybernétique contre les installations nucléaires de la République islamique. Son belliqueux Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a pendant des années exercé des pressions sur Obama pour que soit détruit le programme nucléaire iranien et – mieux encore – pour qu’il abatte le régime islamique.
Face à de tels obstacles, une préparation minutieuse est indispensable pour que les États-Unis et l’Iran puissent parvenir à un accord. Obama devra mobiliser un large soutien domestique en cas de confrontation avec les cohortes des forces pro-israéliennes en Amérique : des membres du Congrès qui défendent les intérêts de l’État hébreu quoi qu’il en coûte, de puissants lobbys comme l’Aipac, des barons des médias, de grands financiers juifs comme Sheldon Adelson, la phalange des stratèges néoconservateurs des think tanks de droite, d’influents fonctionnaires et de nombreux autres acteurs acquis à Israël. Le coût politique d’une telle audace pourrait être très élevé. Élu pour un second mandat, Obama jouit toutefois d’une liberté et d’une autorité plus étendues qu’auparavant.
Symbole
Les 20 et 21 mars, le président américain doit se rendre en Israël, ce qu’il n’avait pas fait au cours de son premier mandat. Cette visite sera la première à l’étranger de son second mandat – tout un symbole. La Maison Blanche aimerait laisser entendre qu’elle annoncera une initiative majeure, que ce soit sur le conflit israélo-palestinien ou sur l’Iran, mais Obama ne pourra éluder certaines questions. Il pourrait toutefois choisir de les évoquer lors de ses entretiens privés avec les dirigeants israéliens plutôt qu’en public. On s’attend à un message en deux volets : Israël ne doit plus tarder à accorder la souveraineté aux Palestiniens, aussi douloureux que cela puisse être, et devrait prendre garde à ne pas faire de l’Iran un ennemi éternel. Ces deux conflits risquent d’isoler Tel-Aviv sur la scène internationale et de menacer ses intérêts à long terme, sinon son existence même.
Durant son premier mandat, Obama a su résister aux pressions de Netanyahou, qui voulait l’amener à déclarer la guerre à l’Iran. Un demi-succès toutefois, puisque Obama n’a pu apaiser le bellicisme du Premier ministre israélien qu’en imposant à Téhéran un train de sanctions d’une sévérité sans précédent. Celles-ci ont divisé par deux les exportations pétrolières de l’Iran, provoqué l’effondrement de sa monnaie, entraîné une inflation galopante, rompu ses liens avec les banques internationales et infligé de graves difficultés à sa population.
La question clé aujourd’hui est la suivante : quelles sont les intentions d’Obama ?
La question clé aujourd’hui est la suivante : quelles sont les intentions d’Obama ? Cherche-t-il la chute du régime islamique, comme le souhaiterait Israël, ou veut-il simplement limiter ses ambitions nucléaires ? S’il vise le changement de régime, alors les sanctions devront être encore alourdies et prolongées indéfiniment. Mais si le but d’Obama est d’obtenir un accord avec les Iraniens, alors il doit au moins accéder à certaines de leurs demandes, comme l’allègement des sanctions, l’acceptation du droit iranien, garanti par le traité de non-prolifération, à enrichir de l’uranium à un faible degré à des fins pacifiques, la reconnaissance de ses intérêts sécuritaires, de la légitimité du régime islamique né de la révolution de 1979 et de son rang de puissance régionale majeure.
Audace
Le P5+1 est si divisé qu’il est peu probable qu’il améliore substantiellement sa dernière et très mince offre, qui consistait à proposer quelques pièces détachées d’avion si l’Iran abandonnait son programme d’enrichissement à 20 %, la carte maîtresse de son jeu. C’est la paralysie des négociations avec le P5+1 qui a accrédité l’idée que des progrès pourraient venir de pourparlers bilatéraux entre Américains et Iraniens, et peut-être même d’une rencontre au sommet entre le président Obama et l’ayatollah Khamenei. Pour qu’un tel sommet ait lieu et réussisse, les États-Unis devront changer d’approche. Le Guide suprême a fait clairement comprendre que l’Iran ne négocierait pas sous la menace d’une attaque. Des concessions seront nécessaires. Et, surtout, l’Iran veut être traité avec respect. Tel est le défi auquel Obama fait face.
Enfin, n’oublions pas qu’il n’y a jusqu’à présent pas la moindre preuve que l’Iran ait décidé de fabriquer des armes nucléaires. Il n’a pas non plus développé de vecteur fiable pour atteindre Israël, concentrant ses efforts sur des missiles de moyenne portée. Il est en outre dépourvu de capacité de seconde frappe. Comme le président Ahmadinejad l’a souligné pendant sa visite au Caire au début de février, l’Iran n’a pas l’intention d’attaquer Israël. Sa position est purement défensive.
Si Obama voulait agir avec audace et inspiration, il pourrait désamorcer un problème tenace qui empoisonne la région depuis des années. Il est temps pour les États-Unis de faire revenir l’Iran dans la communauté des nations régionales et de mettre un terme à trente-quatre années d’hostilité ininterrompue.
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