Maghreb – Japon : « Sur le Sahara, la position de Tokyo n’a pas changé »
S’il n’a ni les moyens ni les ambitions de ses grands voisins chinois et russe en Afrique, le Japon entend lui aussi y jouer un rôle, en particulier au Maghreb. Analyse des objectifs nippons par Sayoko Uesu, chercheuse en sciences politiques.
Le 28 septembre dernier, c’est le chef du gouvernement marocain qui a fait le voyage à Tokyo pour représenter son pays aux funérailles de l’ancien Premier ministre nippon Shinzo Abe. L’occasion pour Aziz Akhannouch de s’entretenir avec son homologue, Fumio Kishida, de se féliciter de la qualité de leur partenariat économique, mais aussi de revenir sur l’incident de la TICAD (Conférence de Tokyo sur le développement en Afrique), le sommet Japon-Afrique organisé les 27 et 28 août en Tunisie, durant lequel le président tunisien avait choisi de recevoir les dirigeants du Polisario, provoquant la colère de Rabat. Fumio Kishida l’a redit clairement à son visiteur : Tokyo n’a en rien changé de ligne et reste sur un principe de non-reconnaissance de la RASD.
Cette mise au point effectuée, d’autres questions se posent néanmoins. Aux yeux des Japonais, l’Afrique du Nord reste une région moins prioritaire que le Moyen-Orient. Depuis une décennie, les échanges économiques avec les pays de la zone sont en recul, selon un rapport du think tank marocain Policy Center For The New South publié en 2019. Pourtant, les relations avec la Tunisie restent marquées par une grande proximité. Tokyo se montre en revanche plus prudent avec l’Algérie et le Maroc, se gardant de se positionner réellement sur la question du Sahara occidental. Pour Jeune Afrique, Sayoko Uesu, chercheuse au National Graduate Institute For Policy Studies (GRIPS) de Tokyo, décrypte les enjeux de ces relations.
Jeune Afrique : Le Japon considère-t-il le Maghreb comme une région stratégique pour ses intérêts, en Afrique et dans le monde arabe ?
Sayoko Uesu : Actuellement, la grande ligne directrice de la diplomatie japonaise est la stratégie du FOIP [Indo-Pacifique libre et ouvert, vision détaillée dans un « Livre bleu » diplomatique, NDLR], qui a été présentée aux pays africains au moment de la TICAD 6 à Nairobi [2016]. Mais on se demande comment les pays africains, y compris ceux du Maghreb, pourraient être positionnés dans le FOIP. Le gouvernement japonais devrait clarifier ce point.
Les pays producteurs de pétrole sont des partenaires stratégiques. Avant 2011, la Libye en faisait partie. Pour l’instant, il est difficile d’affirmer que le Maghreb est toujours une région stratégique pour le Japon, mais nous en avons suivi la géopolitique avec beaucoup d’intérêt. L’organisation de la TICAD à Tunis a été également l’occasion d’observer de près la situation politique et économique régionale.
L’administration japonaise cherche des partenaires énergétiques. Il y a également des enjeux économiques ou diplomatiques pour contrer l’influence chinoise et plus récemment russe, notamment en Algérie et en Libye.
La Tunisie et le Japon entretiennent de bonnes relations depuis plusieurs décennies. Le Printemps arabe aura permis de renforcer leur coopération, le Japon souhaitant appuyer le processus de démocratisation qui s’en est suivi, puisqu’il partage ces valeurs.
Cet intérêt croissant pour les questions régionales relatives au Maghreb s’explique-t-il par des considérations énergétiques et économiques ?
Le Maroc est le deuxième pays dans lequel le Japon investit le plus en Afrique, notamment dans le secteur automobile avec les partenariats Renault-Nissan. Le Maroc compte aujourd’hui près de 90 compagnies nippones installées sur son territoire, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. C’est l’un des rares pays aux yeux du Japon où le risque d’instabilité politique ou lié au terrorisme est faible.
En 2013, suite à l’attaque terroriste d’In Amenas en Algérie [durant laquelle 800 personnes travaillant dans une raffinerie, dont 17 ressortissants japonais, ont été prises en otage. Dix d’entre elles ont finalement été tuées, NDLR], le gouvernement japonais a demandé aux Algériens d’éclaircir l’affaire, tout en renforçant son appui à la lutte contre le terrorisme. C’est un pays avec lequel il a été difficile de travailler en raison de l’opacité de son système qui a stressé nombre de Japonais. Cette tension est aujourd’hui retombée et le Japon veut y attirer ses investisseurs, mais le risque d’instabilité inquiète comparé au Maroc.
Sur le plan énergétique, le Japon a pris acte de ce qui se passe avec d’autres pays, notamment le partenariat algérien conclu avec la France. Cela pourrait donner lui des idées.
Peut-on considérer les discussions qui ont eu lieu à la fin de l’été entre le Maroc et le Japon comme une tentative de rapprochement avec le royaume chérifien ?
Sur la question du Sahara occidental, la position du Japon est toujours la même : il ne reconnaît pas le Sahara occidental comme un État indépendant. Lors de cette édition de la TICAD, c’est le gouvernement tunisien qui a décidé d’inviter la délégation du Polisario.
Le Japon n’a jamais dit qu’il assisterait le Maroc sur la question du Sahara occidental. Il n’y a pas de rapprochement entre les deux pays sur ce plan, le Japon souhaite simplement isoler ce sujet des relations bilatérales, qui sont amicales.
Face à quelles autres puissances présentes dans la région le Japon tente-t-il de se faire une place, et dans quel but ?
Le gouvernement, selon moi, a réagi de manière excessive à l’influence grandissante de la Chine dans la région. Les Coréens, puis les Chinois se sont emparés des marchés laissés inoccupés par les compagnies japonaises dans les années 1980-1990.
Mais les produits chinois s’adressent à une population moins aisée que les produits japonais. D’une certaine manière, ils se complètent, et il y a moins de concurrence avec les Chinois qu’avec les Coréens. Le gouvernement japonais est toutefois préoccupé par la Chine, qui exerce une influence politique grandissante en Afrique.
À trop se concentrer sur la Chine, la diplomatie japonaise n’a pas vu la montée en puissance de la Russie. La France a été obligée de quitter le Mali, ce qui a réveillé les diplomates japonais en Afrique. En même temps, lors de la TICAD, Japonais et Africains ont mené un travail délicat pour que ces questions sensibles ne divisent pas les pays. Le Japon suit toutefois avec beaucoup d’intérêt les activités russes sur le continent, notamment celles du groupe Wagner.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...