Rinaldo Depagne : en Côte d’Ivoire, « les extrémistes sont en perte de vitesse »
Observateur attentif de la crise ivoirienne, l’analyste d’International Crisis Group (ICG) pour l’Afrique de l’Ouest évalue les progrès réalisés, mais aussi les freins qui, pour le moment, hypothèquent les conditions d’une véritable normalisation.
Côte d’Ivoire : peut-elle redevenir un modèle ?
Jeune Afrique : Dix-huit mois après l’investiture d’Alassane Ouattara, quel est votre regard sur l’évolution du pays ?
Rinaldo Depagne : La situation de la Côte d’Ivoire reste fragile, en dépit d’une nette amélioration. Depuis son installation au pouvoir, le régime du président Ouattara a bénéficié de l’aide financière de la communauté internationale et fait du redressement économique son principal remède à la crise. Il a obtenu de bons résultats et a apporté au pays une croissance vigoureuse, estimée par le FMI à quelque 8,5 % en 2012.
Bien que nécessaire, la relance de l’économie ne réglera pas à elle seule une crise profondément politique et sociale. De graves problèmes subsistent au sein d’une armée toujours très divisée, ainsi que dans l’extrême ouest du pays, où demeurent de très fortes tensions communautaires. Il ne faut donc surtout pas négliger de corriger les déséquilibres politiques, ethniques, fonciers et institutionnels qui ont marqué le pays pendant deux décennies.
Pourquoi le dialogue politique peine-t-il à avancer ?
Le dialogue entre le pouvoir et le Front populaire ivoirien [FPI, NDLR] a d’abord été gelé. Le FPI a choisi l’isolement en ne prenant pas part aux législatives de décembre 2011 et en posant des conditions irréalistes à son retour effectif dans le jeu politique. Son aile modérée n’arrivait pas à se démarquer d’une branche dure en exil, qui nourrissait l’espoir d’une reconquête militaire du pouvoir. La révélation, en juin, septembre et octobre 2012, de projets de déstabilisation orchestrés depuis le Ghana a totalement paralysé le dialogue. Il a convaincu les durs de l’autre bord de la nécessité de maintenir une position répressive à l’égard de l’ensemble des représentants de l’ancien régime, modérés ou non.
Pour le pouvoir, il y a un intérêt en termes d’image extérieure et de crédibilité démocratique, mais aussi un calcul politique : marginaliser l’aile dure du parti de Laurent Gbagbo.
Depuis le mois de décembre, le pouvoir et le FPI ont renoué avec le dialogue direct. Pour le premier, il y a un intérêt en termes d’image extérieure et de crédibilité démocratique, mais aussi un calcul politique : marginaliser l’aile dure du parti de Laurent Gbagbo. De son côté, l’aile modérée du FPI a pris conscience qu’elle devait réintégrer le jeu politique, car en se tenant à l’écart elle laissait le champ libre à tous les extrémistes qui prônent la violence. Ces extrémistes sont aujourd’hui en perte de vitesse.
Quelles mesures pourront renforcer la cohésion sociale ?
Une justice impartiale est l’élément crucial du renforcement de la cohésion sociale. La partialité actuelle laisse perdurer au sein de l’électorat de Laurent Gbagbo, et bien au-delà, le sentiment d’une « justice des vainqueurs » et d’une humiliation supplémentaire.
Deux mesures sont urgentes. En premier lieu, il est nécessaire d’apporter des suites judiciaires non sélectives aux conclusions du rapport de la Commission nationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme rendu public au mois d’août 2012. Par ailleurs, il faut qu’une enquête sérieuse permette d’établir les faits et d’arrêter les coupables de la destruction, en juillet 2012, du camp de Nahibly. Difficile de parler de réconciliation dans la région de Duékoué, ville martyre, tant que la réduction en cendres de ce camp de 5 000 déplacés et la mort brutale d’au moins 13 personnes resteront impunies.
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Propos recueillis par Abdel Pitroipa (@AbdelPit)
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Côte d’Ivoire : peut-elle redevenir un modèle ?
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