Côte d’Ivoire : un pays en reconstruction

Le chef de l’État, Alassane Ouattara, mène au pas de charge la reconstruction d’un pays gravement marqué par une décennie de crise. Pour quels résultats ?

Le président, sur le campus de l’université de Cocody, à Abidjan, le 3 septembre 2012. © AFP

Le président, sur le campus de l’université de Cocody, à Abidjan, le 3 septembre 2012. © AFP

Publié le 23 février 2013 Lecture : 6 minutes.

Faut-il se réjouir des progrès accomplis par l’exécutif ivoirien en matière économique ou se désoler des remous sécuritaires et de l’enlisement de la réconciliation ? Éternelle question de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine… D’autant qu’Abidjan cultive à merveille les paradoxes. Deux ans après la fin de la sanglante crise postélectorale, le président ivoirien a accompli quelques miracles. Il a restauré les services de base (eau, électricité, santé), remis l’État sur pied, relancé la machine économique et renoué avec le monde. Ses amis l’appellent d’ailleurs Magellan. Depuis la sortie de son bunker du Golf Hôtel, en avril 2011, il a fait plusieurs fois le tour de la planète et serré la main des plus grands (Sarkozy, Hollande, Obama, Merkel, Netanyahou, Hu Jintao, Benoît XVI…). Des voyages qui visent à restaurer l’image de la Côte d’Ivoire et à « ramener de l’argent au pays ». Pour Alassane Dramane Ouattara (ADO), la diplomatie moderne est autant économique que politique.

Sur le plan intérieur, les délestages se font de plus en plus rares, les villes sont beaucoup plus propres, les universités ont été réhabilitées, le réseau routier est en cours de réfection et d’extension, les fonctionnaires sont au travail, et 2013 a été décrétée « année de la santé ». Si les promesses d’investissements privés n’ont pas encore été réalisées, les hommes d’affaires multiplient les déplacements, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé son retour à Abidjan. Et les patrons ne pensent plus, comme il y a dix ans, à s’exiler au Ghana voisin ou au Sénégal.

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Réformes

L’embellie est également perceptible du côté des indicateurs macroéconomiques. En juin 2012, le pays a atteint le point d’achèvement de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), ce qui a permis de réduire la dette extérieure de plus de 64 %, soit de plus de 8 milliards d’euros. Les ressources de l’État pourront dorénavant être consacrées au développement.

Aux Ivoiriens se plaignant que "l’argent ne circule pas", Ouattara rétorque que "l’argent travaille".

Après une année de récession en 2011, la Côte d’Ivoire a également renoué avec une croissance de plus de 8 % en 2012. Même progression prévue cette année. Les autorités ont réussi la réforme de la stratégique filière du cacao, relancé les projets miniers, pétroliers, gaziers, et organisé la montée en puissance du secteur énergétique pour les prochaines années.

Ces réformes n’ont toutefois pas encore eu l’effet escompté sur des populations qui dénoncent l’augmentation du prix des céréales, de la viande, de la bouteille de gaz. Les Ivoiriens se plaignent aussi que « l’argent ne circule pas ». À l’occasion des voeux de fin d’année, le président leur a rétorqué que « l’argent travaille ». Il martèle aussi régulièrement que son ambition « est de faire de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020 un pays émergent, une nation réconciliée avec elle-même et avec les autres nations. Une Côte d’Ivoire rassemblée autour des valeurs républicaines ».

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Aile dure

Mais si le pays a fait d’incontestables progrès, le pari est encore loin d’être gagné. Et l’opposition de dénoncer le manque d’indépendance de la justice, l’affairisme et la corruption, les atteintes aux droits de l’homme. « La confiance n’est toujours pas rétablie entre le président Ouattara et son opposition, entre lui et les populations qui n’ont pas voté pour lui, entre lui et son armée, sa gendarmerie, entre lui et toutes les composantes des FRCI [Forces républicaines de Côte d’Ivoire, NDLR], qu’il a mises en place et qui n’arrêtent pas d’attaquer son régime, de le harceler au point de l’obliger à être ministre de la Défense », explique Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale, qui a créé sa formation politique, Liberté et Démocratie pour la République (Lider).

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Si le dialogue avec l’opposition a repris, le Front populaire ivoirien (FPI) refuse toujours de reconnaître la victoire électorale de Ouattara et de participer aux prochains scrutins. « Tout dépend de la volonté politique du gouvernement », a indiqué son président par intérim, Sylvain Miaka Ouretto, le 4 février, en précisant les conditions posées par le parti pour sa participation aux élections locales : « une loi d’amnistie pour que tous ceux de nos compatriotes qui sont en prison puissent retrouver la liberté et que tous ceux qui vivent en exil puissent rentrer, parce que c’est parmi eux qu’il y a nos candidats ». En fait, les plus modérés du parti ne parviennent pas à se libérer d’une aile dure en exil qui rêve de reprendre le pouvoir par tous les moyens. Et si le FPI continue de demander la libération de Laurent Gbagbo, emprisonné à La Haye dans l’attente d’un éventuel procès devant la Cour pénale internationale (CPI), on ne voit pas comment les choses pourraient s’arranger.

Far west

Des militaires pro-Gbagbo en exil déstabilisent par ailleurs régulièrement le pays en tentant de rallier tous les mécontents de la soldatesque officielle et informelle, et en profitant de la circulation des armes sur tout le territoire. La réponse des autorités est musclée. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent des arrestations arbitraires orchestrées par la Direction de la surveillance du territoire et la police militaire. Sur le plan judiciaire, elles déplorent aussi les détentions sans base juridique solide de citoyens et d’hommes politiques, parfois dans des lieux tenus secrets. Dans le pays, en particulier dans l’Ouest, sévissent, selon l’ONU, près de 18 000 Dozos, chasseurs traditionnels qui adaptent la loi selon leurs intérêts. Un far west où toutes les tensions intercommunautaires ressurgissent.

Des gestes d’apaisement, notamment la libération de certains caciques de l’ancien régime pourraient favoriser la réconciliation.

Pour International Crisis Group (ICG), le président Ouattara doit constituer un appareil de défense et de sécurité qui ne soit pas à la solde d’un pouvoir ou d’un clan, mais au service de la République. « Sans cette réforme cruciale, les forces armées resteront l’élément déstabilisateur qu’elles sont depuis le coup d’État de décembre 1999 », explique l’ONG dans son dernier rapport en appelant les autorités « à sortir du piège tendu par les éléments les plus radicaux du camp Gbagbo, qui [les] poussent à répondre […] par une répression indiscriminée qui n’a jusqu’à présent rien réglé ».

Des gestes d’apaisement, notamment la libération de certains caciques de l’ancien régime – disons les moins marqués par les événements liés à la crise postélectorale -, pourraient favoriser la réconciliation. Ouattara en est bien conscient. Une vague d’amnistie et de grâce est dans l’air du temps. Mais, en retour, les autorités attendent la reconnaissance de leur pouvoir, la fin des opérations de déstabilisation, et invitent l’opposition à jouer sa partition démocratique dans un climat apaisé. 

Fin de mission pour Banny

Charles Konan Banny ne demandera pas à prolonger son mandat de président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) qui prend fin en juillet. Mais il remplira sa mission jusqu’au bout. Du 11 au 13 février, il participe à la conférence sur l’impunité et la justice équitable en Côte d’Ivoire, l’un de ses chevaux de bataille. En janvier, il a procédé au lancement des commissions locales de la CDVR chargées de prendre les dépositions des victimes de la crise politico-militaire et de sensibiliser à la réconciliation. Ses équipes travaillent déjà à la rédaction d’un rapport qui fera un bilan de la réconciliation nationale et recommandera au chef de l’État un cadre d’action.

Si l’ancien Premier ministre n’est pas parvenu à restaurer pleinement la cohésion sociale entre les Ivoiriens, il n’est pas le seul fautif. Son institution a manqué de financement et a pâti des crispations du dialogue politique national, des exactions extérieures et de la partialité du système judiciaire. Il rêvait aussi d’associer Laurent Gbagbo à la réconciliation, mais n’a pas reçu le feu vert pour le rencontrer à La Haye. P.A.

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