Francophonie : Yamina Benguigui, sans protocole
On lui promettait un échec rapide. Et cuisant. Pourtant, après des débuts un peu hésitants, la ministre de la Francophonie a fini par trouver sa place dans l’équipe de François Hollande.
Lors de notre première rencontre, en août 2012, Yamina Benguigui ne s’était à aucun moment séparée des petites fiches blanches qu’elle avait soigneusement disposées sur la table basse de son vaste bureau du Quai d’Orsay. Nous étions à la veille du sommet de la Francophonie, à Kinshasa, le plus important rendez-vous de sa jeune carrière ministérielle. Légèrement tétanisée, elle soupesait chaque mot et ne finissait pas toujours ses phrases… À 55 ans, la réalisatrice, qui fit ses premiers pas en politique en 2008 en tant qu’adjointe de Bertrand Delanoë, le maire de Paris, a certes l’habitude d’être sous le feu des projecteurs. Mais pas de porter la voix de la France sur des sujets aussi délicats.
La femme qui nous a reçus fin janvier n’est plus tout à fait la même. Plus à l’aise, elle a laissé ses notes dans un tiroir. A-t-elle gagné en expérience ? Ou est-elle simplement dans son élément lorsqu’elle parle d’elle-même ?
Avec ses talons aiguilles et sa taille de guêpe, elle a, au moins pour l’instant, réussi à faire taire ceux qui lui prédisaient un échec rapide dans le monde ultracodé de la diplomatie. Elle ne joue pas un rôle de tout premier plan, mais elle a su trouver sa place dans l’équipe de François Hollande, avec ses propres armes – l’empathie, la séduction, le souci d’accorder à tous la considération de la France – et sur un terrain qu’elle affectionne : l’Afrique. « Je suis venue avec ma culture africaine, je la mets en avant, je la revendique », explique-t-elle, avant de tendre une photo d’elle au côté de Nelson Mandela (elle a produit un documentaire sur sa visite à Paris).
"Ma soeur"
En huit mois, elle s’est rendue à dix reprises sur le continent – la grande majorité de ses déplacements à l’étranger -, et pas seulement dans les pays francophones. Elle s’est entretenue avec plusieurs chefs d’État (Joseph Kabila, Moncef Marzouki, Alassane Ouattara, Blaise Compaoré, Boni Yayi, etc.) et, chaque fois, a tenté d’instaurer avec eux un rapport de confiance (certains l’appellent « ma soeur »), a parfois prodigué quelques conseils, souvent promis de transmettre un message : un mécontentement vis-à-vis d’un ambassadeur, une invitation adressée à François Hollande, le souhait d’être reçu à Paris…
Pour rompre avec la Françafrique, le président français a remplacé le ministère de la Coopération par celui du Développement, confié au discret Pascal Canfin, un écologiste qui goûte peu les relations personnelles avec les dirigeants africains. Interdiction ayant été faite aux conseillers de traiter avec les chefs d’État, les ministres sont ses seuls porte-parole en Afrique. Et Yamina Benguigui, nommée représentante personnelle du président pour la Francophonie en juin (en même temps qu’on lui retirait le portefeuille des Français de l’étranger), a su occuper une partie de cet espace.
À la mort du président ghanéen John Atta Mills, fin juillet 2012, c’est à elle que Hollande demande d’aller aux funérailles. « Il y avait de nombreux chefs d’État, certains étaient mécontents, beaucoup m’ont accordé un entretien. » Rebelote un mois plus tard pour les obsèques de Mélès Zenawi, le Premier ministre éthiopien, puis lors de l’investiture du président ghanéen, John Dramani Mahama.
Mais c’est en RD Congo, pays hôte du sommet de la Francophonie, au mois d’octobre, que, sans trop se soucier du protocole, elle se jette à l’eau. On imagine la surprise de Raymond Tshibanda, le ministre congolais des Affaires étrangères, quand, lors de leur première rencontre à Paris, elle lui propose de « faire mahrna ». « Ça vient de ma grand-mère kabyle, explique la ministre. On ouvre une parenthèse et on se dit tout ce qu’on a sur le coeur, même si c’est désagréable. Ensuite, on reprend la discussion où on l’avait laissée. »
Quand Yamina Benguigui débarque à Kinshasa, la RD Congo fait planer un doute sur la tenue du sommet. La ministre a bien l’intention de s’entretenir avec le plus grand nombre possible de responsables. Fût-ce au milieu de la nuit. « J’ai rencontré le président Joseph Kabila pendant une heure et demie, sans témoin, pour le convaincre de ne pas annuler le sommet, raconte-t-elle. Je lui ai dit : "En France, on ne vous entend jamais. Vous avez une bonne allure, vous vous exprimez bien, parlez !" Le soir même, il a fait une allocution d’une heure à la télévision. Son entourage était bluffé. » À l’inverse, Hollande prendra pendant le sommet ostensiblement ses distances avec son hôte. « C’est vrai que ça s’est passé moyennement, dit-elle. Mais sa seule présence était déjà importante. Le pire a été évité. »
Rapprochement
Son parti pris pour Kinshasa lui vaut le mépris du Rwanda ? Elle s’en félicite. « Aux Nations unies, lors de la réunion sur les Grands Lacs, elle a évoqué un soutien extérieur aux rebelles du Mouvement du 23-Mars [M23]. Paul Kagamé, le président rwandais, a alors quitté la salle », assure un conseiller. « Les présidents ne sont pas tenus par le protocole de rester dans une salle lorsqu’un ministre s’exprime », commente-t-on à Kigali.
Elle s’est rendue à deux reprises en Algérie, le pays de son père (un militant nationaliste), avant et pendant la visite de Hollande, en décembre. « Je connaissais Abdelaziz Bouteflika avant qu’il devienne président », se souvient-elle. A-t-elle joué un rôle dans le rapprochement entre les deux pays ? « Les Algériens n’apprécient pas particulièrement Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, confie une bonne source. Mais avec elle, le courant passe bien. Elle a passé beaucoup de temps avec Abdelkader Messahel, le ministre chargé des Affaires maghrébines et africaines. »
Yamina Benguigui est loin, bien sûr, de jouer le rôle d’un Claude Guéant, le "Monsieur Afrique" de Nicolas Sarkozy.
« Sa visite était une bonne chose, mais celles d’autres représentants de Hollande ont été plus importantes », tempère un cadre du parti présidentiel algérien. Yamina Benguigui est loin, bien sûr, de jouer le rôle d’un Claude Guéant, le « Monsieur Afrique » de Nicolas Sarkozy. Elle évite les sujets où Fabius est en première ligne. Et le cabinet de ce dernier conserve un droit de veto sur tout ce qu’elle entreprend. « Mais certains chefs d’État demandent à la voir personnellement, car elle a l’oreille de Hollande », assure-t-on dans son entourage. Dans celui de Paul Biya, on ne dément pas qu’elle a pu jouer un rôle dans la venue du président camerounais à l’Élysée, en janvier. « Elle a surtout l’oreille de Valérie Trierweiler, la première dame », nuance une autre source.
Les deux femmes se connaissaient avant la présidentielle et sont restées en contact. Elles figurent l’une et l’autre parmi les signataires d’une tribune publiée dans Le Monde pour dénoncer les « ravages » des rebelles du M23. « Nous avions envisagé que Valérie Trierweiler accompagne la ministre lors de sa visite dans le Nord-Kivu, la province où opère le M23, confie un membre de son cabinet. Cela n’a pas pu se faire pour des raisons de sécurité. » Yamina Benguigui n’a pas réussi ce coup-là.
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Pierre Boisselet avec Clarisse Juompan Yakam
Féministes de tous les pays…
Yamina Benguigui n’a pas laissé la cause des femmes à la porte de son ministère. Partout où elle se rend, elle met un point d’honneur à rencontrer des femmes d’influence pour les convaincre d’en devenir les ambassadrices. Car, estime la ministre, la situation des femmes se dégrade dans l’espace francophone. Depuis la révolution, les Tunisiennes voient s’envoler de nombreux acquis, tandis que les Congolaises du Nord-Kivu sont victimes de viols systématiques. Grâce à la Francophonie, Yamina Benguigui espère donc donner aux femmes davantage de visibilité. Un Forum mondial des femmes francophones sera organisé en mars, à Paris, avec le soutien de Michelle Bachelet, la directrice d’ONU Femmes. La question est prise très au sérieux à l’Élysée et au Quai d’Orsay. Safia Otokoré, conseillère au ministère de l’Économie, devrait ainsi être chargée d’une mission sur les droits des femmes dans les zones à risques en Afrique. Clarisse Juompan Yakam.
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