États-Unis : la grande régularisation

Depuis la réélection de Barack Obama, un vent de libéralisme souffle sur Washington. L’occasion est donc belle de réformer la loi sur l’immigration et d’octroyer un statut aux millions d’étrangers, latinos pour la plupart, en situation irrégulière.

Barack Obama, à Las Vegas, Nevada, le 29 janvier. © Sipa

Barack Obama, à Las Vegas, Nevada, le 29 janvier. © Sipa

Publié le 11 février 2013 Lecture : 4 minutes.

La réforme de l’immigration va-t-elle enfin voir le jour aux États-Unis ? La situation n’a jamais été aussi favorable. En 2007, le président George W. Bush avait tenté de passer en force et avait dû capituler. Son successeur a semble-t-il retenu la leçon. Habituellement fertile en polémiques et en controverses, le sujet donne lieu cette fois à un très exceptionnel exercice d’unanimisme, au moins de « bipartisanisme ». Quatre sénateurs républicains et quatre démocrates ont ainsi présenté conjointement un plan de refonte totale avalisé dans ses grandes lignes par Barack Obama dans un discours prononcé fin janvier dans le Nevada.

"Eux" et "nous"

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Une réforme est à portée de la main, a estimé le président, qui a beaucoup à se faire pardonner, puisqu’il s’agissait d’une promesse de sa campagne de… 2008. « Beaucoup de gens ont tendance à aborder la question de l’immigration sur le mode du "nous" contre "eux". Ils oublient qu’avant d’être "nous" la plupart ont d’abord été "eux" », a-t-il ajouté. Même la Chambre des représentants, ce bastion de l’intransigeance républicaine, a son propre groupe de travail bipartisan, qui compte dans ses rangs un extrémiste du Tea Party. Ce groupe est censé dévoiler son plan avant le discours présidentiel sur l’état de l’Union, le 12 février. Comme le dit un représentant démocrate, « depuis la réélection d’Obama, nous avons enfin des partenaires avec lesquels discuter ».

Quelques points font déjà consensus, comme le renforcement de la lutte contre l’embauche de clandestins, l’identification, puis l’expulsion, des personnes ne disposant que d’un visa périmé, et surtout – c’est le coeur de la réforme – l’octroi d’un statut aux quelque 11 millions d’étrangers (dont une écrasante majorité de Latinos) établis illégalement aux États-Unis. Obama a déjà fait savoir qu’il fallait ouvrir un chemin vers la naturalisation : carte verte, puis citoyenneté, au terme d’un processus dont la durée reste à déterminer. C’est la principale divergence avec les républicains, qui posent comme préalable à toute régularisation le renforcement de la protection des frontières. Sénateur de Floride et grand espoir du Grand Old Party pour la présidentielle de 2016, Marco Rubio, qui est d’origine cubaine, se montre par exemple très en pointe sur ce dossier. Avant d’envisager une quelconque régularisation, il exige qu’une autorité indépendante certifie que les frontières sont mieux protégées.

Celles-ci n’ont pourtant jamais été aussi hermétiques que depuis qu’Obama est à la Maison Blanche. Le nombre des drones et des patrouilles de police surveillant la frontière mexicaine a en effet beaucoup augmenté. Celui des expulsions aussi : 400 000 par an depuis 2009, c’est un record. Depuis sa réélection, Obama paraît libéré et ne recherche plus le compromis à tout prix. Il a menacé de présenter son propre projet de loi si l’adoption de celui du Congrès traînait en longueur. Il souhaite que tout soit bouclé avant l’été, ou, dans le pire des cas, d’ici à la fin de l’année. Il ne veut surtout pas rééditer l’erreur de Bush, qui, à peine réélu en 2004, avait préféré s’engager dans la modernisation de l’assurance santé plutôt que dans la réforme de l’immigration – et avait dilapidé dans l’aventure son capital politique. Les parlementaires ont eux aussi tiré les leçons de leur échec de 2007. Ils ont annoncé leur intention de présenter leurs textes en commission avant de les soumettre au Congrès, ce que, à l’époque, ils avaient négligé de faire.

Inaudibles

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Comme pour le mariage homosexuel – autre pomme de discorde, puisque la Maison Blanche, à la différence des républicains, est favorable à la régularisation des conjoints étrangers d’Américains de même sexe -, le climat politique sur ce dossier de l’immigration a changé avec une rapidité stupéfiante. Comme si, après les excès du Tea Party, les États-Unis étaient en pleine embellie libérale. Les partisans de la ligne dure, tels que Jan Brewer, l’inflexible gouverneure de l’Arizona, ou Joe Arpaio, l’ancien shérif de Phoenix (Arizona), qui se vantait d’avoir arrêté des centaines de clandestins, sont devenus inaudibles.

Tant mieux pour les « Dreamers », ces étudiants sans papiers arrivés très jeunes aux États-Unis qui demandent aujourd’hui la régularisation de leur situation. Jose Antonio Vargas, journaliste vedette d’origine philippine, a ainsi fait la couverture de Time en annonçant haut et fort qu’il était un clandestin. Quant à la Mexicaine Benita Veliz, 27 ans, elle a pris la parole lors de la convention démocrate, en août 2012, pour évoquer sa condition de sans-papiers. Bien sûr, Vargas et Veliz risquent l’expulsion.

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Survie

Mais l’événement majeur a été la défaite de Mitt Romney, qui a enfin fait comprendre aux républicains qu’une élection présidentielle ne pouvait plus être remportée sans les voix de la communauté latino, qui représentera un tiers de la population américaine en 2050. Or celle-ci a voté très majoritairement (71 %) pour Obama, notamment dans les swing States (États clés) comme le Nevada ou le Colorado. Pour régler la question, Romney pariait sur « l’autoexpulsion » des immigrés clandestins. À l’inverse, Obama a, au cours de l’été 2012, partiellement donné satisfaction aux « Dreamers » en sursoyant à l’expulsion des immigrants arrivés dans le pays avant l’âge de 15 ans, sans toutefois régulariser leur situation. Cette demi-mesure a contribué à sa réélection. Les républicains les plus en vue pour 2016, Rubio mais aussi Bobby Jindal, le gouverneur de la Louisiane, qui est d’origine indienne, ont bien compris que le vote latino était désormais une question de survie. Pour le Parti républicain, et, accessoirement, pour leurs propres ambitions politiques.

Autre élément favorable à l’adoption de la réforme : l’arrivée de clandestins en provenance du Mexique (six sur dix sont originaires de ce pays) a commencé de décroître en 2011, après quatre décennies de hausse continue. La crise économique aux États-Unis et le renforcement des contrôles à la frontière sont passés par là… Le texte sur l’immigration a donc les meilleures chances de voir le jour. Pour autant, tout n’est pas soudainement devenu rose à Washington. Le projet de loi sur le gun control, priorité de la présidence Obama, est quant à lui fort mal embarqué. Le bipartisanisme a ses limites…

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