Libye : en attendant la Constitution

Au terme d’un imbroglio qui aura duré plusieurs mois, le Congrès général national libyen a annoncé que les membres de la Commission constituante seront élus au suffrage universel direct. Ce qui promet des débats animés.

Le Congrès général national libyen. © AFP

Le Congrès général national libyen. © AFP

Publié le 19 février 2013 Lecture : 6 minutes.

Après des mois d’hésitation, le Parlement libyen a finalement tranché : la Constituante sera élue directement par le peuple. L’annonce a été faite le 6 février, à l’issue d’une réunion extraordinaire du Congrès général national (CGN). « La décision a été prise après le vote d’une majorité de 87 voix sur 97 députés présents lors de la session plénière », a déclaré Omar Hmidan, porte-parole de l’Assemblée. « Le CGN formera aussi une commission chargée de restructurer la Commission électorale pour superviser l’élection de la commission constituante », a-t-il ajouté. Aujourd’hui, le Parlement compte théoriquement 200 députés, mais, en plus de l’absentéisme régulier et du fait que 11 députés ont vu leur élection invalidée par la Haute Instance pour l’application des critères de transparence et de patriotisme, il apparaît que de nombreux élus se sont fait porter pâles dans l’attente d’une décision judiciaire pouvant invalider la procédure de l’élection directe.

Il y a quelques semaines, le président du CGN, Mohamed el-Megaryef, avait nommé un comité de dialogue chargé de recueillir les opinions des différentes régions du pays. Mais le mécontentement grandissant à l’égard des parlementaires, qui continuent d’occuper des chambres d’hôtel au Rixos à plus de 200 euros la nuit, les a obligés à accélérer le pas. Qu’on en juge par les circonstances dans lesquelles le CGN s’est réuni le 6 février. Les plénières ordinaires du Parlement se tiennent généralement le dimanche et le jeudi, mais, lors de la précédente séance, le 3 février, les élus se sont retrouvés face à une situation insolite. La salle du congrès a été envahie par des mutilés et des blessés de guerre (certains armés) venus protester contre la négligence du gouvernement transitoire. Par faiblesse ou par compassion, les autorités ne les ont pas délogés. Et les députés se sont résignés à se réunir sous une tente dressée à la hâte dans le jardin de l’hôtel Rixos, sur la route de l’aéroport de Tripoli.

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Colère

Sur le fond, l’imbroglio autour de la Constituante remonte à l’été dernier. Deux jours à peine avant la tenue des législatives, le Conseil national de transition (CNT) avait modifié la déclaration constitutionnelle d’août 2011, qui prévoyait que la Constituante soit nommée. Les 200 sièges du Parlement sont répartis comme suit : 100 pour la Tripolitaine (Ouest), 60 pour la Cyrénaïque (Est) et 40 pour le Fezzan (Sud). Sous la pression des fédéralistes de la Cyrénaïque qui menaçaient alors de faire dérailler le scrutin, notamment à Benghazi, le CNT avait modifié la feuille de route pour laisser la place à un scrutin direct. La « commission des soixante », comme l’appellent les Libyens, en référence directe aux soixante pères fondateurs qui avaient rédigé la Constitution de 1951, doit garantir une représentation à parts égales des trois provinces, avec vingt membres chacune. En 1951, les constituants avaient dessiné un État fédéral avec de larges compétences dévolues aux provinces par le roi Idriss.

Selon le calendrier idéal de la transition, la Constituante aurait dû être mise en place au début de septembre 2012. Mais le débat sur les modalités a été long et pénible. Pour les fédéralistes et tous ceux qui jugent que la Cyrénaïque est défavorisée, l’élection restait le seul moyen de préserver une représentation équitable. Or, depuis la « révision » de juillet, certains ont voulu revenir à la désignation en avançant toute une série d’arguments : le coût et le retard que causeraient de nouvelles élections, l’idée que la nomination permettrait un choix de personnalités qualifiées et aussi le fait que le texte devra, in fine, être validé par un référendum, ce qui assure une forme de démocratie directe. Mais, dans le climat d’instabilité et de méfiance, aggravé par la détérioration de la situation sécuritaire à Benghazi, l’élection de la Constituante devenait un noeud de crispation.

Le rejet du pouvoir est tel qu’on peut craindre un excès de parlementarisme.

Les défis de la construction étatique sont immenses en Libye, un pays plombé par un passif dictatorial écrasant mais aussi par l’inexpérience et la précipitation des nouvelles élites politiques, qui les préparent bien mal à répondre aux attentes de la population. Seule institution élue de manière démocratique depuis la révolution, le Parlement est de plus en plus critiqué pour sa lenteur et ses divisions. « Le Congrès n’a pas tenu sa promesse de respecter le calendrier de transition, ce qui nourrit les frustrations de la rue », déplore Mahmoud Shammam, l’un des membres du CNT, très remonté contre les élus. Au début de janvier, l’Alliance des forces nationales (AFN), premier groupe du Congrès avec 39 élus, a brièvement boycotté les travaux parlementaires pour en dénoncer la lenteur. En attendant, le président de l’AFN, Mahmoud Jibril, affûte ses arguments pour la future mêlée constitutionnelle. Face aux conservateurs du Parti de la justice et de la construction (PJC), il plaide pour une Constitution dotant la Libye d’institutions fortes pour mener à bien le développement du pays. L’AFN, dont la présence au Congrès minore en réalité sa puissance électorale, s’estime incontournable pour voter la Constitution. Le texte adopté par le Parlement doit être validé par une majorité des deux tiers au suffrage universel direct.

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Lignes de fracture

Les fédéralistes ne sont pas les seuls à faire entendre leur voix, car le texte constitutionnel devra trancher, pour quelque temps du moins, des questions essentielles, qui vont du système de gouvernement à la langue officielle du pays, en passant par le statut des minorités, la protection juridique des femmes (au moment où la Cour suprême vient de faire sauter les derniers verrous de la polygamie) et plus généralement la question de la source de la loi. Sous Kadhafi, la charia était déjà la source de la législation, et les déclarations du CNT, sous la présidence du très pieux Mustapha Abdeljalil, semblaient avoir tranché la question. Référence obligée dans la quasi-totalité des Constitutions de la région, la charia n’emporte pas pour autant les mêmes conséquences partout. Beaucoup de Libyens y sont attachés pour des motifs identitaires, et, si elle restait cantonnée au domaine du statut personnel, la charia ferait l’unanimité. Même Mahmoud Jibril, que l’on présente à tort comme un laïc, évacue la question en déclarant que la référence à l’islam ne fait pas débat.

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D’autres questions risquent d’apparaître au moment de la rédaction du texte. Lors des négociations pour former un gouvernement, Mustapha Abouchagour (qui y a finalement renoncé) et Ali Zeidan ont été systématiquement démarchés par divers groupes d’intérêts régionaux, ethniques : Amazighs, Touaregs, Toubous. La société est traversée par des lignes de fracture, notamment entre conservateurs et modérés. Récemment, les femmes élues au CGN ont aussi créé un groupe pour peser sur le débat public. Les Amazighs, très actifs depuis le déclenchement de la révolution, réclament l’officialisation de leur langue. Présent lors de leur congrès, le président du CGN a dit son souhait que la Constitution la reconnaisse. Une fois encore, Megaryef continue à agir comme un véritable chef d’État. Un indice : la délégation libyenne au congrès extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) était présidée par Salah el-Makhzoum, deuxième vice-président du CGN. Après quarante-deux ans de pouvoir Kadhafiste, le rejet du pouvoir fort est tel qu’on peut craindre un excès du parlementarisme. À l’approche du deuxième anniversaire du soulèvement contre Kadhafi, la révolution avance à petits pas.

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