Afrique : les cartes aux trésors

Connaître son territoire dans les moindres recoins de ses courbes de niveau, c’est essentiel. Pourtant, en Afrique, les données disponibles remontent souvent aux années 1960.

L’IGN travaille sur une vingtaine de projets sur le continent. © IGN

L’IGN travaille sur une vingtaine de projets sur le continent. © IGN

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Publié le 20 février 2013 Lecture : 5 minutes.

Combien de fois nous l’a-t-on seriné, ce refrain relatif aux frontières africaines « héritées de la colonisation » et tracées « au cordeau » sans respect pour les découpages ancestraux et les populations installées ici et là, qu’elles soient nomades ou sédentaires ? Aujourd’hui encore, pour de nombreux analystes, le conflit malien reposerait sur la fracture entre le sud et le nord d’un pays créé d’une manière par trop artificielle. Et plus généralement, à l’échelle du continent, le tracé des frontières – cette transmutation de l’Histoire en géographie – est régulièrement mis en accusation dans toutes sortes de conflits : Éthiopie-Érythrée, Maroc-Algérie, Tanzanie-Malawi, Soudan-Soudan du Sud… S’agissant d’intégrité territoriale et de postes-frontières, pas besoin de faire un dessin. Les hommes politiques sont convaincus de l’importance majeure de la cartographie. Mais dès que l’on aborde la question du développement, rares sont ceux qui mentionnent la nécessité de connaître son pays dans les moindres recoins de ses courbes de niveau.

« L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), créé en 1940, a cartographié les colonies françaises, explique Christophe Dekeyne, directeur commercial à l’IGN France international (IGNFI). Mais, depuis les années 1960, personne n’a entretenu cette cartographie. Cela coûte cher, et la dimension transversale de cette activité fait qu’elle n’entre dans aucune ligne de programme. Pourtant, le manque de données est tel qu’il a posé problème aux bailleurs de fonds eux-mêmes. » Un point de vue que confirme Claude Obin Tapsoba, directeur de l’Institut géographique du Burkina : « La cartographie a occupé une place de choix sous l’administration coloniale, qui a élaboré des cartes pour se donner une vision synoptique de l’Afrique et planifier ses investissements. Au Burkina, elle n’a pas perdu sa place, comme en témoigne la création d’un service de cartographie dans la direction du patrimoine foncier de l’époque. Cependant, les moyens financiers n’ont pas permis de poursuivre le travail. »

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Entachées d’erreurs

À long terme, ce manque d’attention pour les données géographiques coûte cher à l’État. « Comme vous le savez, l’information géographique est au début des actions de développement d’une nation, poursuit Tapsoba. Elle facilite les grandes orientations de l’aménagement du territoire. Elle contribue aussi à la prévention et à l’organisation des secours, en cas de catastrophes, et autres interventions humanitaires… » Des données anciennes, voire entachées d’erreurs, des échelles inadaptées, des changements non signalés ont pour conséquence des pertes financières sur toutes sortes de projets, qu’il s’agisse des infrastructures de transport, de l’exploitation minière, de la maîtrise de l’eau, de la régulation urbaine, etc. Et abandonner à des entreprises privées le soin de cartographier les espaces qu’ils vont exploiter, c’est partiellement renoncer à maîtriser son chez-soi.

Au milieu des années 2000, les mentalités ont commencé à changer, et le Sénégal a montré la voie.

Au milieu des années 2000, les mentalités ont commencé à changer, et le Sénégal a montré la voie. « En 2004-2005, avec le financement de l’Union européenne, on a pu actualiser les 27 feuilles qui couvrent le pays, raconte Ibrahima Ndiaye, ingénieur au sein de la Direction des travaux géographiques et cartographiques (DTGC), à Dakar. » L’IGNFI a remporté l’appel d’offres pour réaliser la cartographie du pays au 1/200 000e. « C’est un projet très structurant si on le rapporte, par exemple, au prix au kilomètre carré de la construction d’une route, à l’accessibilité aux écoles ou aux hôpitaux, explique Éric Broussouloux, directeur régional de l’IGNFI. En outre, pour les politiques, c’est assez porteur sur le plan de la communication… »

Sous-sols

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Le projet a fait des émules. Dans la foulée, le Burkina a réalisé la cartographie du pays au 1/200 000e. L’investissement ? À peine moins que pour l’achat de, disons, quatre grosses voitures de luxe : 1,25 million d’euros pour les 34 feuilles couvrant les 274 000 km2 du territoire. Un accord du même type a été signé avec l’Institut géographique du Mali, en octobre 2012. Aujourd’hui, l’IGNFI peut ainsi mettre en avant une vingtaine de projets à travers toute l’Afrique, avec un chiffre d’affaires oscillant entre 12 et 15 millions d’euros.

« La carte au 1/200 000e, c’est un premier niveau d’information, un peu synthétique, précise Dominique Janjou, directeur pour l’Afrique occidentale et le Maghreb du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). On utilise une échelle de plus haute précision dans des zones d’intérêt particulier. » Le BRGM, qui travaille lui aussi beaucoup sur le continent, peut notamment offrir des informations précieuses sur le sous-sol des pays grâce à la géophysique aéroportée, réalisée par avion…

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Balbutiante

Mais le retard accumulé est tel qu’au niveau national la cartographie reste pour l’heure souvent balbutiante. Au Sénégal, il s’agit aujourd’hui de réaliser des cartes au 1/50 000e, notamment pour couvrir les berges du fleuve Sénégal ainsi que la grande et la petite côte. « Le choix s’est porté sur ces zones parce qu’elles doivent subir beaucoup de mutations avec le développement du tourisme au bord de mer et de l’agriculture le long du fleuve, explique Ibrahima Ndiaye. C’est essentiel pour la compagnie sucrière sénégalaise comme pour la production de riz… Nous sommes donc en train de cartographier 30 000 km2 le long du fleuve avec la coopération japonaise. » De même, le pays a lancé, avec l’IGNFI, la création de bases de données concernant six grandes villes et les zones inondables de deux départements de la région de Dakar. Le Burkina ne devrait pas tarder à suivre l’exemple : « La carte au 1/50 000e devrait couvrir l’ensemble du territoire pour constituer la carte de référence pour la planification du développement, mais elle n’est réalisée qu’à 40 %, confie Claude Obin Tapsoba. Et nos villes ne sont pas encore dotées de plans, à l’exception de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. »

Transparence, planification, gestion des ressources, les trésors que recèlent les cartes sont innombrables.

De nos jours, la cartographie ne se résume plus à dessiner des routes, des frontières et des courbes de niveau, mais bien à compiler des milliers d’informations indispensables à la maîtrise des richesses d’un territoire. Qu’une carte géologique soit utile pour la prospection minière ou pétrolière, nul ne l’ignore, et que le BRGM travaille avec Total au Congo ou avec Tata Steel en Côte d’Ivoire ne saurait surprendre. L’importance des relevés cadastraux est, elle, moins connue. Et pourtant ! Ce n’est qu’avec une connaissance très détaillée de la répartition des terres qu’un État peut lever l’impôt foncier. Les enjeux sont énormes… Mais tout le monde ne voit pas d’un très bon oeil les projets de cadastres. « Au début, les hommes politiques sont très enthousiastes, confie un spécialiste qui tient à rester anonyme. Mais quand ils se rendent compte que l’on va savoir qui est propriétaire de quoi, ils disent stop ! »

Transparence, planification, gestion des ressources, les trésors que recèlent les cartes sont innombrables. « Il reste cependant beaucoup à faire pour amener les institutions et les populations à s’approprier les bénéfices des cartes, souligne Claude Obin Tapsoba. Notamment faire en sorte que l’information géographique pénètre toute la sphère décisionnelle et que les outils que nous offrons soient adoptés par les politiques pour orienter les grands projets et programmes qu’ils souhaitent conduire. »

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