Côte d’Ivoire : 24 heures dans la vie d’un brouteur
Cet Ivorien adepte du broutage dépense le gain de ses larcins en hôtels, filles et fringues. Sans scrupules, il se rêve en Robin des Bois 2.0…
Sur internet, il est Vincent, jeune cadre dynamique vivant dans le sud de la France. Mais l’arnaqueur se présente aussi parfois sous les traits de Virginie, jeune femme au visage lisse de mannequin pour catalogue. C’est un « brouteur », selon l’appellation ivoirienne. Au total, il possède six faux profils sur les réseaux sociaux, et douze adresses e-mail. Son pseudonyme – qu’il tient à garder confidentiel – est une contraction de son prénom et du mot alcool, car il « aime l’excès ». Le phénomène sévit depuis une dizaine d’années, faisant des victimes principalement en Europe, et plus particulièrement en France, en Suisse et en Belgique.
Il opère dans un cybercafé du quartier de Yopougon, à Abidjan, le soir et les week-ends, depuis une pièce ventilée où de simples panneaux en bois séparent les postes. Pour éviter d’être retrouvé, il n’utilise jamais son ordinateur personnel. Il se connecte uniquement en navigation privée et utilise les adresses IP d’autres pays.
Ce samedi après-midi, il discute par e-mail avec Marthe, une grand-mère qui vit en France. Elle vient justement de lui envoyer une photo d’elle avec ses petits-enfants. La technique du brouteur est rodée : en lui écrivant des mots doux, il est parvenu à lui extorquer 500 euros. Il bénéficie aussi de complicités dans une agence de transfert d’argent. « Je lui ai dit que j’en avais besoin pour dormir à l’hôtel. Au début, elle m’a dit : "Non, on ne se connaît pas assez." Puis, au bout de cinq jours, elle a craqué. Je lui ai promis qu’on se verrait après. » Il a tout dépensé en vêtements et en soirées arrosées. Et leur relation continue.
Thérapeute
Quand on lui demande s’il a des états d’âme, le brouteur répond qu’il est une sorte de thérapeute. « Les gens veulent lire ce qu’on leur écrit. Ils refusent de voir qu’il s’agit sans doute d’une escroquerie. Les Européens se sentent seuls et ont besoin d’être réconfortés. » Mais l’homme est aussi un faussaire. Histoire d’authentifier des vies virtuelles, il peut créer des confirmations de billets d’avion bidon ou de faux passeports, et reproduire des ordres de virement imaginaires. Des documents qu’il facture entre 100 et 150 euros à ses collègues.
Par email, il extorque de l’argent à une grand-mère française.
À 23 ans, il a déjà cinq ans d’expérience dans ces magouilles. Tout a commencé lorsqu’un escroc nigérian lui a demandé de traduire un e-mail. Depuis, ce programmateur, surdoué en informatique, a appris toutes sortes de combines. Ses larcins peuvent lui rapporter de 200 à 20 000 euros.
Bienfaiteur
À quelques rues du cybercafé, il retrouve ses compères du Net dans un maquis. Les brouteurs s’assemblent en « gouvernements » ou en « familles ». Sa famille compte quatre membres, qui « se réunissent souvent, échangent des idées, se soutiennent en cas de problème ». Sur la vieille table basse en bois, les bouteilles de bière s’entassent et les paquets de cigarettes se vident. « On aime la belle vie, on dort tous les soirs à l’hôtel, quand on veut une fille on paie, l’argent doit être dépensé quand on l’a, pas la peine d’attendre demain ! » frime un convive en pointant le croco de son polo vert bouteille. Sur le bar, une chaîne hi-fi passe le morceau d’un chanteur de coupé-décalé qui scande les noms de célèbres brouteurs. « On nous considère comme des bienfaiteurs. On gagne plein d’argent et on le distribue facilement autour de nous », déclare l’un des jeunes. Son voisin montre son caleçon, le briquet posé à côté de lui et la bière qu’il tient : « Tout ça, c’est les Blancs qui paient. » « C’est la dette coloniale », conclut un autre.
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