Mali : un pays sous tutelle… provisoire
Officiellement, Paris et Bamako travaillent main dans la main. Mais sur le terrain, rien ne se fait sans l’aval des Français. C’est à peine si les soldats maliens participent à la reconquête du Nord.
Curieuse, cette impression. Comme si on s’était servi un verre du vin que l’on avait oublié quelques jours plus tôt sur l’étagère parce qu’il n’était pas bon, et qu’en fait de piquette il s’avérait être d’excellente facture. Surprenant. Un peu grisant aussi.
Il ne s’agit pas seulement de cette marée de drapeaux français qui ornent (plus au Sud qu’au Nord, où l’on redoute encore un retour des jihadistes) les maisons et les pare-brise des voitures. Il ne s’agit pas non plus de ces nuées d’enfants qui, au passage des convois français sur la route de Gao (d’immenses colonnes de chars d’assaut et de tanks), saluent les « libérateurs » aux cris de « Français, Français ! » ou encore de « Mali, Mali ! ». Non, c’est plus que cela. Quelques images et des faits, qui rappellent que le pays est sous tutelle depuis le 11 janvier. Une tutelle provisoire et consentie, qui n’a rien à voir avec le néocolonialisme dénoncé à petite dose en France, mais une tutelle tout de même.
Tontons
La scène se déroule le 2 février, lors de la visite de François Hollande au Mali. Alors que le chef de l’État français répond aux journalistes dans les jardins de la résidence de France, Dioncounda Traoré, le président malien par intérim, l’attend patiemment sur la place de l’Indépendance. Un peu seul et sous un soleil de plomb, comme un simple préfet de département.
Il lui rendra hommage quelques minutes plus tard : « Hollande, le grand homme du grand moment », clamera-t-il. Dans la foule, une femme porte haut une pancarte tout droit sortie d’une autre époque : « Merci à Papa Hollande et aux tontons Le Drian et Fabius », les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, qui ont accompagné le président. Enthousiasmée, une collaboratrice de Hollande ira récupérer la pancarte après le bain de foule des deux présidents. Aujourd’hui, elle se trouve peut-être dans son bureau de l’Élysée.
Pressions amicales
Plus tôt dans la journée, Hollande avait été accueilli par Traoré à Sévaré, le verrou que les jihadistes n’ont pas réussi à prendre grâce à l’intervention de l’armée française. C’est à bord d’un Transall de cette même armée qu’ils se sont rendus encore plus au nord, à Tombouctou. Depuis quelques semaines, les deux hommes ne se quittent plus. « Ils se sont toujours concertés, mais là, ils se parlent tous les jours », affirme un conseiller de Traoré. Ce dernier est-il pour autant sous influence ? S’est-il fait imposer par Hollande la date butoir du 31 juillet pour l’organisation du scrutin présidentiel ?
À l’origine, la feuille de route prévoyait l’élection en décembre. Mais, lors du dernier sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Traoré lui-même a plaidé pour juillet. Dans son entourage, on pense qu’il est pressé de passer la main, mais on admet que les pressions amicales de Paris ont peut-être joué un rôle. L’agenda électoral a d’ailleurs été au coeur du déjeuner de travail organisé à Bamako le 2 février et qui a réuni, outre les deux présidents, les principaux leaders politiques maliens. À cette occasion, les Français ont fait comprendre qu’ils suivraient de très près le processus électoral.
Sur le plan militaire aussi, la tutelle est flagrante. Il y a d’un côté les discours de façade et, de l’autre, la réalité. Sur le plan stratégique, c’est Paris qui décide.
« Dire que Traoré est un vassal de Hollande est faux, estime un ancien ministre d’Amadou Toumani Touré, le chef de l’État malien renversé le 22 mars 2012. Mais il lui est difficile de lui dire non. Sans l’intervention française, Traoré aurait peut-être connu le même sort que Cheick Modibo Diarra [l’ex-Premier ministre contraint à la démission en décembre, NDLR]. » Un de ses proches assure cependant que Traoré sait imposer son veto quand il le faut. Ce fut le cas lorsque les Français ont insisté, avec les Burkinabè, pour discuter avec l’aile dissidente d’Ansar Eddine, le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA).
Sur le plan militaire aussi, la tutelle est flagrante. Il y a d’un côté les discours de façade : « L’armée malienne est souveraine, nous ne faisons rien sans son aval. » Et il y a la réalité. Sur le plan stratégique, c’est Paris qui décide. Depuis le début des opérations, l’état-major malien ne fait que suivre. Cette emprise se manifeste jusque dans les détails les plus insignifiants. Lors d’une réunion de coordination entre les deux armées, il a ainsi été question de savoir avec quels médias travailler. « Les Maliens nous ont demandé si nous comptions travailler avec tel ou tel journal, témoigne un militaire français. Pour un titre, ils étaient réticents. Mais ils nous ont dit : "Si vous travaillez avec eux, alors nous aussi." » Pour se déplacer dans le pays, c’est à l’armée malienne qu’il convient de demander l’autorisation, mais rien ne se fait sans l’armée française. « Nous ne pouvons pas assurer votre sécurité », explique, contrit, un officier malien. Aujourd’hui, pour se rendre à Gao, le seul moyen est de suivre un convoi français.
Sur le terrain, quelques Maliens se battent aux côtés des Français. Ceux-là sont « opérationnels et efficaces », estime un officier français, qui assure que ce sont eux qui se trouvent en tête des offensives. Mais ils sont rares. Des sources concordantes estiment à moins de 2 000 le nombre de soldats maliens participant à la reconquête. Les autres – combien au juste ? 5 000 ? Personne ne semble le savoir – sont en formation ou tuent le temps dans les cabanons des check-points disséminés dans le Sud. « L’armée malienne fonctionne à deux vitesses, explique un commandant français chargé de coordonner les missions des différentes armées présentes dans le pays. Il y a un petit noyau efficace, mais la plupart des soldats ne sont pas en mesure de se battre. »
Impuissance
Ce sont les Français qui ont repris Gao et Tombouctou fin janvier. Eux encore qui ont lancé l’assaut sur Kidal le 3 février. Cette dernière prise (tout comme celle de Tessalit le 8 février) a souligné l’impuissance malienne. Non seulement les soldats du cru n’ont pas participé à l’offensive, mais, pour seconder ses troupes, la France a fait appel aux Tchadiens. Pendant plus d’une semaine, les Maliens ont été éloignés du théâtre des opérations. « On comprend », glisse simplement un officier malien. « La France compte sur le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad] pour récupérer ses otages, explique un conseiller de Traoré. C’est pour cela qu’elle a agi sans l’armée malienne. C’est compréhensible. Mais il est vrai que ça passe très mal auprès de l’opinion. »
Pour beaucoup de Maliens, cette soumission sonne comme un premier avertissement. « C’est la seule chose qui nous a choqués, souffle un député du Nord. Mais ce n’est pas pour autant que la France est perçue comme une puissance d’occupation. »
Côté français d’ailleurs, on fait remarquer qu’on ne s’occupe « que de la reconquête du territoire ». Une fois les zones libérées, leur sécurisation est assurée par les forces maliennes et ouest-africaines, « avec une certaine efficacité ». À Gao, ce sont les Maliens et les Nigériens qui fouillent les quartiers et traquent les derniers jihadistes.
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