Serval et nous
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 11 février 2013 Lecture : 2 minutes.
Comme une bouffée d’harmattan en saison sèche, le Mali sort de la une des médias presque aussi vite qu’il y est entré. Relégué en pages intérieures des organes de presse, quasi disparu des journaux télévisés. Point d’orgue d’une séquence euphorique au cours de laquelle les forces françaises auront tenu le rôle, inédit pour elles en Afrique, d’armée de libération, la visite grave et jubilatoire de François Hollande en terre malienne a marqué la fin de la première phase, réussie, de l’opération Serval. Que le septième président de la Ve République paraphrase son fondateur en se laissant aller à un « Tombouctou outragé, Tombouctou brisé, Tombouctou martyrisé, mais Tombouctou libéré », nul n’aurait trouvé à y redire. C’était le temps de l’allégresse.
Ce moment-là passé, place au brouillard de la guerre. Bienvenue dans la zone grise et infiniment moins lisible des bisbilles politico-militaires bamakoises et de la chasse aux résidus terroristes dans leur Tora Bora de l’Adrar des Ifoghas. Place aussi aux reproches, formulés à l’encontre de J.A., par ceux que notre couverture des événements et nos choix éditoriaux dérangent ou agacent. L’état-major français de Serval et celui de l’armée malienne n’ont pas apprécié la publication de deux photos chocs, celle d’un légionnaire au masque de mort et celle d’un vieil homme maltraité par un soldat. « Images biaisées du conflit, volonté de dénigrer », ont-ils répété à nos envoyés spéciaux, avant de les boycotter… puis de se raviser. Des lecteurs maliens vont plus loin : ils accusent nos titres et nos analyses de véhiculer « des positions complaisantes à l’égard des groupes jihadistes » et ajoutent : « De la part d’un journal panafricain, c’est inacceptable. » Avec infiniment plus de sérénité, le professeur Marc Gentilini, président honoraire de l’Académie de médecine et de la Croix-Rouge, « ancien médecin de Gao, Kidal, Tessalit et Menaka », nous écrit que « l’engagement de l’armée française au Mali, réfléchi et attendu par beaucoup de démocrates dans ce pays, en France et dans le monde, mérite mieux » qu’un cliché « caricatural », aussi signifiant soit-il.
Ces remarques de bonne foi et qui portent aussi bien sur le fond que sur la forme nous interpellent d’autant plus que la ligne éditoriale de J.A. a toujours été cohérente dans sa condamnation absolue du terrorisme islamiste – qu’il soit physique, culturel ou sociétal. Mais sans doute n’avons-nous pas été assez clairs quant au problème de fond soulevé par ce qu’il faut bien appeler par son nom : une intervention étrangère sur le sol africain. Ce constat est simple. On ne peut pas, on ne doit pas applaudir à l’opération Serval sans ajouter aussitôt qu’elle met à nu l’incapacité de l’Afrique à prendre en main son destin, cinquante-trois ans après les indépendances. Cette mise sous tutelle consentie d’un pays comme le Mali était salvatrice. Elle est aussi un cinglant procès-verbal d’échec pour tous ceux qui croient en l’autodétermination du continent. Serval, comme Janus, a un double visage : une guerre nécessaire et un pis-aller. Il était, croyons-nous, de notre devoir de le dire. Quitte à être les seuls.
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