Le nerf de la guerre
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 6 février 2013 Lecture : 2 minutes.
Quelle époque ! Je ne m’étais pas imaginé que la décision du chef gaulois d’aller casser du barbu au Mali pouvait susciter tant de passions. Comme par enchantement, toute la faune est sortie du bois. Tiers-mondistes du dimanche, brailleurs professionnels, panafricanistes carnavalesques, gauchistes attardés, extrême-droitistes outranciers, généraux ressuscités, experts illuminés, taupes recyclées, citoyens lambda pleurnichards, éditorialistes alambiqués… Chacun a connu sa minute de gloire. Mali par-ci, Mali par-là jusqu’à la nausée. Et on a oublié les estropiés de Gao ou de Tombouctou. On a oublié le patrimoine de l’humanité assassiné, l’Histoire incendiée. Tout le monde est devenu stratège.
Mais qu’ont dit les commentateurs ? Que Hollande le mal-aimé est devenu, pour avoir osé montrer ses muscles, un chef, un vrai homme d’État. D’autres ont clamé haut et fort que tout cela n’est qu’un show solitaire et improvisé. Ah bon ? Les plus radicaux n’ont vu dans l’opération Serval qu’une nouvelle guerre coloniale, une perpétuation de la malfamée Françafrique et une honte pour le continent, cinquante-trois ans après la première vague des indépendances. Tout cela à cause d’armées africaines nullissimes et de chefs d’État irresponsables. Et patati, et patata !
Après les blablas, les vociférations et la démagogie, voici mes petites questions. Pourquoi ceux qui sont pour la « dignité de l’Afrique » n’ont-ils pas constitué des brigades panafricaines afin d’aller libérer le nord du Mali infesté de barbus ? Pourquoi ne se sont-ils pas cotisés pour envoyer quelques sous au gouvernement désargenté de Dioncounda Traoré, à qui les institutions financières internationales viennent d’avancer 18 millions d’euros ? C’est bien connu : les beaux parleurs ne sont pas les payeurs. Comment les armées africaines, tant critiquées, pouvaient-elles se rendre dans le désert ? À dos de chameau ? Il faut savoir qu’une journée de guerre coûte à la France plus de 2 millions d’euros pour son intervention au Mali. Pour s’équiper, une armée devra débourser 41 000 euros pour une heure d’avion, 25 000 euros pour une heure d’hélicoptère, ou encore 850 000 euros pour un missile de croisière Scalp. Pendant ce temps, fin janvier, le Zimbabwe ne comptait plus dans ses caisses que 217 euros. Ne riez pas : pauvreté n’est pas vice.
Vous l’aurez constaté, depuis que les Gaulois ont pris le taureau par les cornes, tout le monde bouge. Pourquoi alors ne pas reconnaître que, malgré leurs propres handicaps, leur action a servi à quelque chose ? Quels handicaps, allez-vous me demander ? Tenez : la France n’a que quatre drones « en voie d’obsolescence », contre 9 pour l’Allemagne, de vieux avions ravitailleurs C-135 et de vieux avions de transport tactique C-160 Transall qui datent du milieu des années 1960. Elle compte 273 avions de combat, alors que l’Allemagne en a 423. En 2011, le budget de l’armée s’élevait à 58,8 milliards de dollars (62,7 milliards pour le Royaume-Uni). Celui du Mali est de… 203,5 millions de dollars. Dioncounda Traoré a eu raison de féliciter publiquement la France, qui, en dépit de ses difficultés dans le domaine militaire, n’a pas hésité à voler à son secours. L’argent reste le nerf de la guerre.
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