Kayo Mpoyi : « En Suède, on ne me pose pas de questions sur le colonialisme »

« Dieu est un garçon noir à lunettes » : salué par la critique, le premier roman de l’autrice suédoise d’origine congolaise raconte l’itinéraire d’une jeune femme s’affranchissant d’une éducation traditionnelle rigide.

Kayo Mpoyi a reçu le prix Katapult, la plus prestigieuse récompense pour un premier roman en Suède. © Kajsa Göransson

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Publié le 20 octobre 2022 Lecture : 5 minutes.

« Je suis noire, de nationalité suédoise, née au Congo et Tshiluba », affirme Kayo Mpoyi quand on lui demande comment la définir. Dieu est un garçon noir à lunettes, son premier roman, a reçu le prix Katapult, la plus prestigieuse récompense pour un premier roman en Suède. La reconnaissance, elle l’obtient aussi en France, où elle figure dans la première liste du prix du roman étranger.

Trous de mémoire

Comme sa jeune héroïne, Adi, l’autrice est née au Zaïre (aujourd’hui RDC) et elle a habité en Tanzanie. Si elle s’est inspirée de faits réels, elle revendique sa part de fiction : « Je n’avais pas l’intention de raconter une histoire vraie. Quand le récit l’a exigé, j’ai dévié de la réalité. Même s’ils ressemblent à ma famille, tous les personnages sont une fraction de ce que sont les vrais gens, ils obéissent à une fonction. Mon but n’est pas de raconter l’histoire refoulée de ma famille, il est impossible de combler les trous de mémoire, on peut seulement tourner autour. » Et Kayo Mpoyi de préciser son intention et l’urgence qui l’a animée : « Je parle de culpabilité et de devoir. C’est une histoire qui m’oblige, je devais l’écrire. »

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L’histoire, c’est celle d’Adi, entre 1989 et 1994 à Dar es-Salam (Tanzanie). Le foyer familial est écrasé par le joug du père, qui reproduit le schéma qu’il a lui-même connu. « Le malheur poursuit celui qui se dresse face à ses parents. Je vous ai tracé un chemin, suivez-le, obéissez-moi et obéissez à dieu, et tout ira bien pour vous. » Sa mère, dont la religiosité est teintée de mysticisme, se plie elle aussi aux rôles traditionnels. Ainsi, lorsqu’elle interrompt Adi en train de jouer avec sa sœur pour qu’elle cuisine, « elle dit qu’un jour, je vais devenir mère et qu’il faudra bien alors que je sois capable de faire à manger pour mes enfants. »

Révolte personnelle

Mais dès six ans, Adi remet en cause ce destin tout tracé : « Ce n’est pas juste, d’être obligée de supporter tout et n’importe quoi sous prétexte qu’on est l’enfant de quelqu’un. » Insensiblement, elle suit la voie de sa grande sœur Dina. Celle-ci résume le cercle vicieux qui a déjà fait fuir ses aînés, partis à l’étranger : « Vous dites toujours que le mal, c’est de ne pas obéir. Le mal suprême, maman, c’est qu’aucun d’entre nous n’a le droit d’être qui il est. Et puis vous dites que c’est ce que dieu souhaite pour nous. »

Pour exister, Adi explore ses curiosités, ses désirs. Parfois, elle se cogne aux rebords de cette envie d’absolu. Elle est abusée par le sinistre Monsieur Éléphant, un voisin qui l’appâte avec des friandises. Pour résister, Adi s’invente des histoires. Elle vit très mal la naissance de sa petite sœur Maï, à la santé fragile, et s’imagine qu’elle est un esprit. Elle s’invente un dieu, garçon noir à lunettes.

Kayo Mpoyi développe : « Le dieu des parents est un dieu qui opprime les gens. Ce dieu ne donne rien, n’aide pas. Adi est de la nouvelle génération, elle a une place dans la famille qui lui permet de voir dieu autrement, comme un camarade, comme un allié. »

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Ce rapport au divin est le reflet d’une spirale de l’oppression plus large : « L’oppression au niveau national est l’oppression qu’on retrouve dans la famille. Elle est intériorisée et crée des dualités : civilisés contre sauvages, femmes contre hommes, blancs contre noirs, adultes contre enfants, etc. Ces clivages ne sont pas naturels, ils sont construits. Adi est au cœur de toutes les oppressions et veut pouvoir échapper aux petites cases des assignations. »

Devenir écrivain

Pour s’échapper, Adi a aussi un rêve, à la suite d’une conversation avec sa mère. Cette scène est autobiographique : « J’avais six ans, je lisais le dictionnaire avec ma mère et elle m’a dit : « Peut-être que tu seras écrivaine. » Le lendemain, à l’école, j’ai dit à tout le monde que j’allais être une écrivaine. Ce jour-là a changé toute ma vie. J’avais neuf ans quand on a déménagé d’Upanga (quartier de Dar es-Salam), je me suis dit que je devais me souvenir de cet endroit car ce serait le lieu d’un de mes livres. »

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La petite fille a tenu parole et toute sa vie s’est articulée autour de ce désir d’écriture : « Plus tard, je me suis toujours dit que je devais avoir un autre travail pour avoir les moyens d’écrire. » Elle s’est donnée les moyens d’accéder à son rêve : « J’ai commencé une école pour devenir écrivaine. Quand vous passez par là, la route pour être publiée est plus facile car c’est une école renommée. Un professionnel lisait mes textes. À la fin de l’année, j’avais écrit seulement 35 pages et je pensais que l’écriture allait se poursuivre encore cinq ans. J’étais déprimée, je voulais brûler le manuscrit ou le jeter à la poubelle. Je me suis alors fixée un exercice : écrire une phrase par jour. Petit à petit, mon roman a pris forme et, quand je l’ai envoyé, tout est allé plus vite que je ne le pensais. »

Racisme

Lors de son cursus scolaire, Kayo Mpoyi a subi le racisme : « J’ai toujours choisi des voies où il y avait peu d’étrangers et cela a provoqué la surprise. Tu sens le racisme, même quand les gens ne pensent pas forcément à mal. J’ai fait partie d’un programme littéraire, dans des livres choisis, il y avait le « n word ». Le problème est que les comités de rédaction ne pensent pas à mettre en question les classiques. »

Le déni touche aussi l’Histoire : « En Suède, on ne me pose pas de questions sur le colonialisme. Les Suédois pensent qu’ils n’y ont jamais participé. Or, au Congo, les Belges, les Italiens et les Suédois étaient les trois grands groupes. Les Suédois étaient des missionnaires, des soldats et des fonctionnaires. Il y a beaucoup d’œuvres congolaises dans les musées ethnographiques en Suède. On en parle à peine à l’école, à la différence de la Belgique par exemple. »

Racisme et Suède ont rarement été associés. Mais la montée de l’extrême-droite, conduite par Jimmie Åkesson, dont le discours est ouvertement anti-immigration, a changé la donne. Son récent succès électoral aux législatives 2022 inspire l’inquiétude : « J’ai été très triste, comme tous mes amis. L’extrême-droite est contre tout mais n’a pas de solutions. Son programme est une catastrophe, il ne vise qu’à casser. Les Suédois se sont endormis sur leurs acquis, ils pensaient que leurs avantages étaient là pour toujours. »

Lors de son arrivée en Suède, Kayo Mpoyi se souvient avoir été très étonnée que les parents de ses amis demandent l’avis de leurs enfants, au contraire de ce qu’elle avait connu en Tanzanie : « Je n’avais jamais vu ça ! Je ne comprenais pas. On enseigne à l’école la pensée critique, on peut prendre le temps de réfléchir, c’est ce qui me permet d’écrire. » Il est heureux que le parcours de cette jeune écrivaine talentueuse ait donné naissance à un roman sur une famille dont les rapports de domination racontent la société dans laquelle ils s’inscrivent. Une ode à la liberté, contre les oppressions.

Dieu est un garçon noir à lunettes de Kayo Mpoyi, traduit du suédois par Anna Gibson (éd. La belle étoile, 300 p., 21,90€)

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