Rwanda : rencontre avec Dieuveil Malonga, le chef congolais installé à Kigali
Entre sa grand-mère, les anciennes des villages d’Afrique, sa maman adoptive allemande, le chef originaire du Congo et installé au Rwanda ne raconte rien de sa cuisine sans évoquer les femmes qui l’ont accompagné.
« Je suis né dans une famille qui faisait de la bonne bouffe », c’est ainsi que Dieuveil Malonga commence la présentation. Il est à Kigali, dans son restaurant Meza Malonga, ouvert en pleine crise du Covid-19, en mars 2020. Entre deux assiettes, celle du midi et celle du soir, l’ex-candidat Top Chef et fondateur de la plateforme Chefs in Africa, la toute petite trentaine, raconte à Jeune Afrique la genèse du chef qu’il est devenu. « Petit, j’étais un grand mangeur. Mais je ne m’intéressais pas à la cuisine ».
Orphelin, il quitte le Congo-Brazzaville « autour de [ses] 11 ans », estime-t-il, direction l’Allemagne. C’est l’hiver là-bas. Les kilomètres qui séparent les deux pays ne sont pas grand-chose par rapport au grand écart des cultures culinaires. Les premiers goûts en bouche, pommes de terre et saucisses, sont dépaysants. « Il y avait quelque chose qui me manquait, sourit Dieuveil Malonga à l’autre bout du fil. La cuisine allemande, bon… Je ne la dénigre pas, mais disons que c’est très différent. »
Les secrets culinaires du passé
C’est pourtant là, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, que sa passion pour la gastronomie s’étoffe. Derrière la cuisinière familiale, sa mère adoptive l’initie à la pâtisserie. « J’ai appris beaucoup de choses avec elle, elle a contribué à révéler ma façon de cuisiner », confie-t-il.
À 13 ans, il commence ses « petits plats ». À 14 ans, il comprend qu’il a peut-être un don à exploiter. Et s’il devenait chef ? Sa famille congolaise le rêvait plutôt en musicien, car il joue du clavier. Docteur ou pilote d’avion, ça ne leur aurait pas déplu non plus, laisse-t-il entendre. Mais le choix de la toque n’est pas mal vu pour autant. Au Congo, contrairement à ce qui se dit dans de nombreux pays d’Afrique, la cuisine n’est pas qu’une affaire de femmes. « Il y a aussi des hommes… Ils coupent la viande, par exemple ».
En Allemagne, les élèves ont la possibilité de se professionnaliser tôt et Dieuveil Malonga se lance dès l’adolescence, apprenant les rouages de la gastronomie européenne. Quand il part à la découverte de la France après son diplôme, il rejoint l’hôtel Intercontinental, à Marseille. « Mais il manquait toujours quelque chose dans les plats… », insiste-t-il. En tête, il garde le souvenir des assiettes de sa grand-mère, qui tenait un petit restaurant en bord de route où s’arrêtaient tous les chauffeurs. D’elle, il a retenu une chose essentielle : les meilleures recettes sont détenues par les anciennes.
Je prends le temps d’apprendre auprès d’elles. Ce sont mes cheffes, mes grandes cheffes
Ces anciennes, il a été les chercher. En 2016, il prend le large pour un long road trip de deux ans à travers le continent qu’il a dû fuir quelques années auparavant. Sa quête, c’est celle des grands-mères des villages. Il est allé les rencontrer dans 48 pays d’Afrique à ce jour. « Mon objectif était de comprendre cette gastronomie-là, ça a été une vraie école. La cuisine authentique, ce sont elles qui la font, je prends le temps d’apprendre auprès d’elles. Ce sont mes cheffes, mes grandes cheffes ».
Épices et médication
Elles s’étonnent souvent de le voir arriver après un si long voyage pour les rencontrer. Lui argumente simplement : on a besoin de revenir aux plats traditionnels et ça ne se trouve pas dans les écoles. Il se souvient de cette fois où il a passé trois semaines avec une vieille dame au Cameroun. C’est, dit-il, grâce à elle qu’il sait doser les épices depuis. « Elles ne sont pas là que pour donner du goût, apporter des arômes, elles sont aussi un outil de médication. Les épices jouent un rôle dans la vie, dans l’âme, et dans l’assiette », explique-t-il. C’est aussi ainsi qu’il s’est vu confier le secret d’un « plat antibiotique », donné aux femmes après l’accouchement pour les aider à reprendre des forces, l’Nkui.
Le plat qui lui redonne la forme ? C’est le Sakasaka, à base de feuilles de manioc, d’huile de palme et de poudre de crevettes, « C’est comme une thérapie ! Quand je ne vais pas bien, mes équipes savent quoi me faire manger », plaisante-t-il.
« Amoureux de l’agriculture et de l’écosystème »
Au fil de ses pérégrinations, il s’arrête au Rwanda. Coup de foudre, il en parle comme d’une « histoire d’amour ». À l’époque de sa première visite, il ne sait pas encore ce qu’il viendra y faire, mais il reviendra y vivre, c’est sûr. « Je suis tombé amoureux de l’agriculture et de l’écosystème », résume-t-il. Quelques années plus tard, il installe Meza Malonga ici. « La région est volcanique et très fertile, j’ai pu y installer mes fermes. Je peux tout faire pousser ! Quelles que soient les techniques, si on n’a pas les bons produits, on ne peut rien faire », affirme-t-il.
Quand on s’étonne de le voir s’ancrer dans un pays qui n’a pas une identité culinaire particulièrement connue, il explique que la richesse des sols n’a pas son pareil, « On trouve 16 variétés de haricots ! » avance Malonga en guise de preuve. « Moi, je suis lié à la terre. Quand je parle de cuisine, je parle de produits. Pour cette raison, je ne me verrais pas m’installer en France par exemple. »
Cet amour du produit, souvent des légumes, il le partage toujours avec sa mère adoptive. « Elle est végane, elle crée beaucoup de choses à partir de végétaux. Elle de l’âge, et elle a du temps… Elle m’envoie des photos de ce qu’elle fait. Parfois, quand mes amis viennent diner chez moi, je lui demande des idées de plats. »
Les nouvelles combinaisons, voilà ce qu’il cherche en permanence. « Dans mon laboratoire, j’ai 447 pots de graines et épices, ma cuisine est un peu comme une pharmacie », résume-t-il. Il les achète au Bénin, au Cameroun, au Gabon et en Tanzanie. Et s’il utilise des techniques issues des gastronomies asiatiques et européennes, il s’emploie surtout à faire dialoguer les cuisines d’Afrique. On y trouve des aliments fermentés, des produits séchés, « des méthodes que les grands-mères utilisent depuis toujours pour conserver, qui ont un rôle intéressant pour le goût comme pour notre environnement », observe-t-il.
Dans ses assiettes afro-fusion, il mêle vanille de Madagascar, sorgho du Rwanda et poisson de Tanzanie : « j’ai le meilleur des trois pays dans un seul plat ! » Parfois, il reproduit un mets camerounais avec uniquement des produits rwandais : « Ce sont des rencontres, des ponts culinaires entre les cuisines d’Afrique ».
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