Algérie : la mémoire en morceaux

Auteur et directeur des Éditions Anep.

Publié le 15 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Au milieu des années 1980, la Librairie du parti, non loin de la Grande Poste située au coeur d’Alger, proposait ce qu’il y avait de mieux aux élites : des livres ! Pour les initiés, il y avait le côté cour : les ouvrages qui circulaient sous le manteau, entre autres celui de Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité des origines à la prise du pouvoir (1945-1962), paru aux éditions Jeune Afrique, ou bien celui écrit la même année par Tahar Benhouria, pseudonyme du sociologue Ali el-Kenz, L’Économie de l’Algérie, publié chez Maspero, ou encore L’Indépendance confisquée, de Ferhat Abbas, ex-président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), édité par Flammarion en 1984. Si on éliminait ce qui fâchait, on pouvait se gaver d’ouvrages pas chers et appartenant à la littérature universelle. Officiellement, la censure n’existait pas, elle vous coupait seulement les jambes. Le triangle interdit ? Sexe, politique et religion.

Au lendemain des événements d’octobre 1988, les langues se sont déliées. Et c’est ce que l’on voit aujourd’hui en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Maroc, à la faveur du Printemps arabe. Rien n’arrête le cours des événements quand ça part dans tous les sens. Là, on ouvre le dossier Ben Barka, ici on revient sur la période Ben Youssef.

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Sujets tabous

Si l’Algérien affiche son intérêt pour ce qui se dit ailleurs, il se passionne aussi pour son passé. L’engouement pour tout ce qui a trait à l’histoire du pays provoque une très forte demande. Ce retour du refoulé est salutaire à plus d’un titre. Qui plus est quand les faits sont relatés par des acteurs de premier plan qui commencent à lever le voile sur des sujets tabous.

L’un des premiers tirs est venu d’Ali Kafi, l’ancien président du Haut Comité d’État qui, dans ses Mémoires [Du militant politique au dirigeant militaire] sorties chez Casbah Éditions, ne dit pas que du bien d’Abane Ramdane, assassiné par ses compagnons d’armes à Oujda. Alors que la version officielle soutient que le disparu, coorganisateur avec Larbi Ben M’hidi du congrès de la Soummam, « était tombé au champ d’honneur ». L’opposant Saïd Sadi répond, sous forme d’essai, à l’ancien colonel de l’Armée de libération nationale. Les vannes sont ouvertes, non sans rancoeurs et règlements de comptes. Certaines voix s’élèvent pour décréter : « L’Histoire doit être écrite par les historiens ! » Sauf que celle-ci se nourrit de plusieurs sources : témoignages, invectives, compilations, récits autobiographiques, jugements expéditifs…

Boussole

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Outre les aspects strictement politiques, occultés, il y a le besoin de repères identitaires, de boussole. Pourquoi aller chercher cet islam politique et ces coutumes venues du fin fond des montagnes afghanes quand, sur place, dans l’Algérie profonde – dans tout le Maghreb d’ailleurs -, il y a ce que les hommes ont façonné depuis des siècles ? Qu’est-ce qu’être maghrébin, aujourd’hui ? Après l’indépendance du pays, l’école a été sous l’emprise d’idéologues qui ont aggravé l’acculturation provoquée par la colonisation de peuplement. Si bien qu’on a banni saint Augustin, Juba II, Kahena, Tertullien, Ibn Rostom, Abdelmoumen, Mohamed Boudiaf, Abane Ramdane, Cheikh Larbi Tebessi… À tel point que l’Algérie est devenue orpheline de ses mythes fondateurs. Comme si on ôtait aux États-Unis d’Amérique ses Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, Marylin Monroe… Cela a valu à l’Algérie une violence inouïe, une génération déconnectée, un amarrage aux idéologies les plus rétrogrades.

Participant aux efforts de réhabilitation de la mémoire collective, les Éditions Anep ont lancé en 2005 une collection intitulée « La pensée politique algérienne (1830-1962) », dirigée par le sociologue Abdelkader Djeghloul, qui était alors conseiller à la présidence de la République ; une collection qui a du succès et dans laquelle on retrouve Si M’hammed Ben Rahal, Ferhat Abbas, Messali Hadj, Malek Bennabi, Cheikh Ben Badis, Hamdane Khodja… De quoi reconstituer tout un puzzle, rétablir ce qui manquait, donner de la couleur à un tapis plein de trous.

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