Algérie : silence, on recompose
Les réformes lancées par Abdelaziz Bouteflika et les multiples scrutins de 2012 ont bouleversé l’échiquier. Mais les vrais gagnants des élections ne sont pas forcément les vainqueurs.
Algérie : le grand tournant
Avec des législatives le 10 mai, des municipales et des régionales le 29 novembre, et enfin des sénatoriales le 29 décembre, 2012 – année du cinquantenaire de l’indépendance – aura également été marquée par un marathon électoral sur fond de réformes politiques, introduites par le président Abdelaziz Bouteflika au lendemain de ce qui est communément appelé le Printemps arabe. Quarante nouveaux partis sont venus grossir la classe politique. La loi sur la représentation de la femme dans les assemblées élues a fortement contribué à féminiser l’hémicycle avec 146 députées sur les 462 que compte l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement) et près de 8 000 élues locales dans les assemblées populaires communales (APC, municipalités) et les assemblées populaires de wilaya (APW, parlements régionaux).
Le résultat est spectaculaire certes, mais l’essentiel est ailleurs. Le principal enseignement que l’on peut tirer de ce marathon électoral est lié à une profonde recomposition de l’échiquier politique.
Haro sur les caciques ! Après Ouyahia (RND), c’est Belkhadem qui est évincé de la tête du FLN…
Déroute islamiste. En premier lieu, la déroute des partis islamistes. Le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas d’obédience Frères musulmans) constituait, pendant la première décennie du millénaire, la troisième force politique du pays. Laminé lors des dernières élections, englué dans une alliance islamiste peu performante et, transhumance politique oblige, dépouillé de ses forces vives par de nouveaux partis issus de la génération post-réformes, le MSP ne dispose plus de suffisamment de députés pour constituer son groupe parlementaire à l’APN. C’est dire sa perte d’influence. L’extinction des voix islamistes dans les institutions de la République est due à l’émiettement de la représentation de ce courant idéologique – qui demeure cependant une réalité sociologique en Algérie. Près d’une trentaine de partis se réclament de l’islamisme ou du nationalisme religieux. S’agissant des micropartis, sans réel ancrage populaire, leur participation aux élections ampute les organisations islamistes traditionnelles de plusieurs milliers de suffrages. La nouvelle loi électorale disqualifiant les formations ayant obtenu moins de 7 % des voix et la disposition imposant des femmes sur les listes ont pénalisé le courant islamiste.
Destitution
La réorganisation du champ politique n’a pas épargné les grands vainqueurs des scrutins de 2012 : les frères jumeaux du courant nationaliste, le Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique) et le Rassemblement national démocratique (RND). Respectivement première et deuxième forces politiques du pays, FLN et RND ont consolidé leurs positions après un véritable triomphe électoral.
Ces victoires n’ont pas pour autant ramené la sérénité au sein de leurs structures. Le 5 janvier, une semaine après un raz-de-marée électoral qui a permis au RND de devenir, pour la première fois de son histoire, majoritaire au Conseil de la nation (Sénat, chambre haute du Parlement), le secrétaire général du parti, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, est contraint de jeter l’éponge, emporté par un mouvement de dissidence conduit par plusieurs ministres du gouvernement d’Abdelmalek Sellal. Présenté comme un sérieux favori à la succession d’Abdelaziz Bouteflika (dans le cas où ce dernier ne briguerait pas un quatrième mandat en avril 2014), Ahmed Ouyahia a préféré s’effacer et renoncer à ses ambitions présidentielles pour « préserver l’unité du parti », dit-il dans la lettre de démission qu’il a adressée aux 100 000 militants du RND. Son successeur devrait être désigné par un congrès ordinaire, prévu en 2014. D’ici là, le Conseil national, comité central du RND, devra nommer le 20 janvier un secrétaire général intérimaire pour gérer les affaires courantes du parti.
Première force politique – il revendique 400 000 militants -, le FLN, malgré les millions de suffrages conquis en 2012, n’a pas échappé à la crise. À commencer par Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général de l’ancien parti unique depuis 2005, qui vient d’être destitué de ses fonctions. En cause : ses ambitions présidentielles. Lui reprochant ses penchants islamistes (il incarne ce que l’on appelle « les barbeffelènes »), certains des membres du Comité central affichaient depuis quelque temps leur détermination à l’évincer. Puis la liste des frondeurs a gagné le bureau politique du FLN et des membres du gouvernement ont joint leurs voix à la dissidence. Résultat, le 31 janvier, le comité central du FLN a voté contre son maintien à la tête du parti, à une très courte majorité de 160 voix (sur 318 membres appelés à voter).
Succession délicate
La restructuration ne touche pas uniquement les acteurs de la majorité présidentielle. Doyen des partis de l’opposition, le Front des forces socialistes (FFS), né dans la clandestinité en 1963, s’apprête à vivre une succession délicate avec le départ annoncé de son président-fondateur, Hocine Aït Ahmed, 86 ans, grande figure du mouvement national. En annonçant son retrait de la vie publique, le vieux leader plonge ses dizaines de milliers de partisans dans le désarroi. Et pour cause : aucune personnalité dirigeante du FFS n’est en mesure de fédérer les suffrages des militants autour de son nom. La guerre de succession a fait de l’ombre aux performances électorales du FFS, performances qui lui ont permis de disposer d’un groupe parlementaire à l’APN et de faire une entrée modeste (deux sénateurs) mais remarquée au sein du Conseil de la nation.
Les autres partis de l’opposition semblent également avoir laissé des plumes dans les élections de 2012. Les trotskistes du Parti des travailleurs (PT) enregistrent un léger recul et devraient vivre à leur tour un problème de succession. Louisa Hanoune, la secrétaire générale du PT, est à la tête de ce dernier depuis sa création, il y a près de vingt-quatre ans. Toutefois, le PT semble à l’abri d’une telle crise, Louisa Hanoune faisant consensus auprès des militants et sympathisants.
Les malheurs des partis traditionnels profitent à deux nouvelles formations : le Mouvement populaire algérien (MPA, d’Amara Benyounes), devenu la troisième force politique du pays, et le Tajamou Amal el-Jazaïr, – ou Rassemblement Espoir de l’Algérie, dont l’acronyme arabe est TAJ (« couronne ») – du transfuge du MSP, Amar Ghoul, inamovible ministre des Travaux publics de Bouteflika. Sans même participer aux scrutins de 2012, TAJ s’impose grâce à la transhumance politique (il a recruté aussi bien chez les islamistes que chez les nationalistes) comme la quatrième force politique du pays. Une reconfiguration de l’échiquier qui brouille davantage encore le paysage avant la présidentielle de 2014.
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