Yasmina Ksikes : « Cuisiner marocain, c’est créer de l’abondance avec peu »
La cheffe originaire de Casablanca fait voyager la gastronomie marocaine jusqu’à Los Angeles, tout en restant attachée aux produits locaux et de saison. Rencontre à Dakhla, le temps d’un dîner gastronomique.
David Lynch et Quincy Jones ne jurent que par ses plats. « J’adore travailler avec des artistes, ils ont un palais curieux, ils sont dans la découverte », lance la pétillante Yasmina Ksikes, un large sourire accroché aux lèvres, son tablier noué autour de la taille, un chèche enroulé autour de ses boucles en guise de toque. La cheffe nomade est de passage à Dakhla, péninsule située à l’extrême sud du Maroc, pour régaler les visiteurs du festival Oasis Into The Wild.
C’est pourtant loin de sa terre natale que la native de Casablanca a posé sa mallette à couteaux. Installée à Los Angeles depuis neuf ans et aux États-Unis depuis 26 ans, elle y organise des déjeuners et dîners privés et régale les papilles des célébrités et simples gourmets, quand elle ne s’attelle pas à la transmission de la gastronomie marocaine dans son école de cuisine qu’elle a inauguré à domicile sous le label Lalla Mina.
Perpétuer le savoir-faire culinaire marocain, voilà la mission que s’est fixée l’ancienne marmiton de Nobu, une table gastronomique japonaise campée à Miami. « Nombre de chefs marocains veulent faire de la cuisine japonaise ou française un phénomène qui participe à la perdition de notre cuisine, regrette-elle. C’est donc important que des mamas comme moi soient dans cette dynamique de transmission », poursuit l’autodidacte, qui a appris à manier le couscoussier et à faire valser safran et citrons confits en observant une lignée de femmes.
Sa grand-mère marocaine surtout, son arrière-grand-mère aussi, qui a vécu au Sénégal, et sa mère, plutôt adepte de la gastronomie française. « La cuisine marocaine recèle de beaux mélanges et se fonde sur plusieurs étapes, comme la gastronomie française finalement. Il faut juste maîtriser les dosages ».
Honorer le légume
Pour son escale marocaine, Yasmina Ksikes a visé haut avec un dîner gastronomique en cinq temps. Au menu, quelques amuse-bouches jouant la carte de la texture et de l’explosion de saveurs. Beignets de zaalouk (caviar d’aubergine rôtie) pimpés d’amandes grillées pour la version végétarienne, et cigares de pastillas aux crevettes et poulpe nappées de salsa verde pour l’alternative carnée. « L’option végétale est une nécessité dans le métier aujourd’hui, pose la cheffe. Nous sommes appelés à cuisiner des plats consistants sans protéines animales et à travailler la plante et le légume en les honorant comme une viande ».
Citrouille locale à déguster « comme un shot », dans une coque d’huître, patate douce et coing de saison, betteraves et courgettes crues, avocat en feuilletine arrosé de miel d’arganier, le végétal ose la gourmandise d’entrée de jeu. Mais aussi courbine, poisson local que l’on retrouve dans l’océan, travaillé façon tartare, escorté d’une chermoula, une marinade à base d’ail, de cumin, carvi… « J’ai établi le menu, en deux jours, sur place. Je ne voulais pas importer la cuisine de Fès ou de Casa ici, sachant que Dakhla a ses spécificités culinaires », défend la créative. À commencer par les huîtres, grande spécialité de la péninsule, dont les élevages fleurissent depuis une vingtaine d’années grâce à des eaux riches en phytoplancton.
Cuisiner local et de saison
La saisonnalité et la démarche locavore, un fil conducteur pour celle qui cultive elle-même son potager, à Los Angeles, et qui adapte ses menus en fonction de l’environnement. « Le climat de Los Angeles est similaire au climat marocain. Je ne vais pas trouver les mêmes citrouilles que chez moi, mais elles sont similaires. La cuisine est un terrain de jeu, il faut s’adapter et s’amuser et surtout respecter son terroir », revendique celle qui prône aussi une cuisine zéro déchet.
« En voyant que les épluchures étaient jetées à la poubelle ici, j’ai dû réagir. On a contacté les fermes et on a pu travailler avec elles pour leur donner les extras, comme je le fais à LA. C’est dommage de se dire que les réflexes de nos grands-mères se sont perdus. Les chefs marocains devraient prendre conscience de l’importance du compost et de la réutilisation des restes, de maïs par exemple, pour en faire profiter nos bêtes. Il faut intégrer ce cercle vertueux dans nos pratiques », encourage-t-elle.
Sur le banquet cerné de poufs berbères, la star du menu vient enfin s’inviter. Il s’agit d’un couscous de chameau, mijoté pendant huit heures dans un bouquet de cannelle, gingembre, oignon local séché et fermenté, safran, anis et citrons confis, que Yasmina Ksikes teste pour la première fois, ici à Dakhla.
« La cuisine marocaine est une manière de vivre, c’est l’art de créer de l’abondance avec peu », résume l’audacieuse. Reconnue pour ses propriétés santé, la bosse ne possède « aucun cholestérol et reste la partie la plus noble de la bête », précise-t-elle. Le dîner se finira sur une note de fraîcheur avec une pomme locale croquante nappée de coulis de bissam, appellation marocaine pour le bissap (fleur d’hibiscus), de fleur d’oranger, sur un lit de sellou, dessert apprécié pendant le Ramadan, travaillé façon crumble et accompagné d’une glace gingembre-vanille. En un temps record, Yasmina Ksikes aura réussi à concocter un festin marocain entre terre et mer, raccord avec le cadre entre dunes et lagune.
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