Algérie : un an pour réussir
Avant la présidentielle de 2014, le nouveau Premier ministre, Abdelmalek Sellal, doit relancer l’économie et améliorer les conditions de vie de la population. Deux défis de taille, auxquels s’ajoute la gestion des urgences, comme celle de la prise d’otages d’In Amenas, à la mi-janvier.
Algérie : le grand tournant
Abdelmalek Sellal a beau dire que son action s’inscrit dans la continuité de celle de son prédécesseur, Ahmed Ouyahia, il a eu tôt fait d’imposer ses marques au Palais du gouvernement. Et, en sa qualité de membre du Conseil national de sécurité, le Premier ministre a été en première ligne dans la gestion de la dramatique prise d’otages sur le site gazier d’In Amenas, le 16 janvier. Le président Abdelaziz Bouteflika l’ayant chargé de prendre contact avec les capitales ayant des ressortissants captifs à Tiguentourine, il a notamment eu à gérer la colère de Londres et de Tokyo, qui estimaient que l’assaut donné par l’armée algérienne mettait en péril la vie des otages. Au cours des trois jours qu’a duré l’attaque, Sellal n’a pas quitté son bureau du palais du Docteur-Saadane (ainsi que les Algérois désignent le siège du gouvernement), en contact permanent avec les chefs de gouvernement et de la diplomatie des pays ayant des ressortissants parmi les captifs : le Britannique David Cameron (qu’il a par ailleurs reçu le 30 janvier), le Français Jean-Marc Ayrault, le Japonais Shinzo Abe, l’Américaine Hillary Clinton ou le Turc Tayyip Erdogan. À la suite des cafouillages de ses ministres de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia (« les assaillants sont des Algériens »), et de la Communication, Mohamed Saïd (« nous avons neutralisé les otages »), c’est encore lui qui monte au front pour donner, le 21 janvier, une conférence de presse, à Djenane el-Mithaq, sur les hauteurs d’Alger, devant une centaine de journalistes nationaux et étrangers, pour expliquer les tenants et les aboutissants de Tiguentourine. Une exposition qui, eu égard au silence du président Abdelaziz Bouteflika, n’a pas manqué de donner une nouvelle dimension au personnage.
Premier de cordée
Toutefois, cet épisode ne semble pas lui être monté à la tête. Il se sait premier de cordée d’une équipe chargée de missions précises : parachèvement des réformes politiques, organisation de scrutins municipaux et régionaux, du renouvellement au Sénat et du référendum sur le projet de nouvelle Constitution cette année, mais aussi d’une présidentielle, avec une alternance générationnelle annoncée, en 2014. Le président Abdelaziz Bouteflika a aussi confié à Sellal, son ex-directeur de campagne, deux dossiers prioritaires. Le premier concerne la relance économique avec l’aboutissement du Plan quinquennal d’investissements publics (2010-2014), d’un montant de 286 milliards de dollars (212 milliards d’euros), dont les deux tiers n’ont pas encore été engagés. Le second, sans doute le plus compliqué, vise à améliorer les conditions de vie de la population, à travers la modernisation du service public, la lutte contre la mal-gouvernance, le gaspillage, l’économie informelle et, surtout, la corruption. Nettoyer les écuries d’Augias, en somme. Et pour accomplir ces missions, ce gouvernement a une durée de vie limitée. Sa fin est programmée pour mai 2014, au lendemain de la présidentielle. Un contrat à durée déterminée.
Sellal diplomate
Jamais le palais de Saadane n’a vu passer autant de chefs de gouvernement en si peu de temps. En quatre mois, Abdelmalek Sellal a reçu ses homologues égyptien, libyen, tunisien, italien, qatari, espagnol et malien. « Je n’ai aucun mérite, dit-il modestement. C’est Alger qui est devenu une escale importante pour les dirigeants étrangers. » Cette humilité ne flétrit en rien les lauriers que lui tressent ses visiteurs. Sa bonhomie, son humour et son pragmatisme en font un excellent convive, qu’il s’agisse d’un dîner officiel ou de négociations ardues. Avant même sa visite d’État en Algérie, le président français, François Hollande, n’avait pas tari d’éloges à l’endroit de Sellal, qu’il avait croisé, le 5 octobre, lors du sommet des 5+5 à Malte. Quant à l’émir du Qatar, Hamed Ibn Khalifa Al Thani, il n’a pas boudé son plaisir à échanger avec lui lors de son voyage officiel à Alger, le 7 janvier. Au niveau régional, le Premier ministre algérien est en contact quasi permanent avec ses homologues tunisien, Hamadi Jebali, et libyen, Ali Zeidan, qu’il a rencontrés le 12 janvier à Ghadamès, ville libyenne frontalière avec la Tunisie et l’Algérie pour parler du Mali et de la sécurité dans les zones frontalières. Et dix jours après la prise d’otages à In Amenas, c’est encore lui qui a représenté l’Algérie au sommet de l’Union africaine (lire p. 24-31), le 26 janvier, à Addis-Abeba. Il y a longuement échangé avec, entre autres, l’Ivoirien Alassane Dramane Ouattara, président en exercice de la Cedeao, avec lequel il a évoqué le dossier malien, ou le Tunisien Moncef Marzouki pour aborder les suites de l’affaire d’In Amenas… Onze des trente-deux membres du commando terroriste étaient des ressortissants tunisiens. CH. O.
En arrivant, le 3 septembre, au palais du Docteur-Saadane, Abdelmalek Sellal, 64 ans, avait conscience de ces deux paramètres. « Contrairement à son prédécesseur, témoigne un vieux fonctionnaire du Palais, ses arbitrages sont plus rapides. Ce n’est pas sans effet sur la fluidité du fonctionnement de l’exécutif. » Fidèle commis de l’État, cet ancien sous-préfet qui a gravi peu à peu les échelons de l’administration affiche sa fermeté quand il s’agit de la raison d’État, mais sans jamais sombrer dans le dogmatisme. Ses penchants pour le dialogue ne sont pas feints. Partenaires sociaux, opérateurs économiques publics ou privés, nationaux ou étrangers, experts réunis dans le groupe de réflexion sur la stratégie industrielle… En quelques semaines, Sellal a créé des passerelles d’échanges permanents entre l’exécutif et les intervenants de la sphère économique.
Mais il ne fait pas qu’écouter. Afin d’améliorer le service public, des dispositions ont été prises pour simplifier les procédures et la vie du citoyen. Même s’il fait de la résistance, le cocotier de la bureaucratie est secoué. La lutte contre l’économie parallèle ne se limite pas à la seule éradication des marchés informels à coups de gaz lacrymogène et de forces antiémeutes. « L’opération est couplée à des mesures d’accompagnement visant à proposer des alternatives aux dizaines de milliers de jeunes vendeurs à la sauvette, précise Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprise (FCE). Cette démarche dénote l’excellent état d’esprit de la nouvelle équipe. » Ces propos élogieux du patron des patrons à l’égard de l’exécutif sont trop rares pour passer inaperçus.
Au vu des décisions prises en matière bancaire et financière, il semble que le Premier ministre ne fait pas que recevoir des recommandations. Il les met aussi en pratique. Pourquoi le patronat est-il si enthousiaste à son endroit ? Parce que l’entrepreneur algérien a été plutôt choyé après que le Premier ministre eut transmis ses instructions aux banques publiques. « Injectez les liquidités sous lesquelles vous croulez dans la sphère économique », leur a-t-il enjoint. Et pour encourager l’emprunteur, le Trésor public prend en charge une partie du taux d’intérêt, le mettant à l’abri des fluctuations de l’inflation. Mieux : désormais, les établissements bancaires sont tenus de répondre aux demandes de crédits des PME en moins de quarante-cinq jours. « Que du bénéfice pour l’horloge économique ! » se félicite Réda Hamiani.
Moyens étrangers
Sellal est un homme pressé. Ayant promis de nettoyer le pays, il a lancé une opération pour l’acquisition, dès cette année, de quatre incinérateurs géants destinés à prendre en charge les déchets solides des grands centres urbains du littoral et des Hauts Plateaux. Avec l’engagement de doter, avant la fin de 2014, chacune des 48 wilayas (préfectures) d’un incinérateur à la mesure de ses besoins.
Sans même attendre l’adoption de la nouvelle loi libéralisant l’audiovisuel, programmée dans le courant du premier trimestre, Abdelmalek Sellal a demandé aux opérateurs intervenant dans la diffusion, parmi lesquels l’Agence spatiale algérienne (Asal), de négocier l’acquisition d’un satellite permettant la transmission simultanée du signal de vingt chaînes de télévision. Quant au dossier du logement, facteur de stabilité sociale, Abdelmalek Sellal fait face à une équation très simple. Sur le plan quinquennal en matière d’habitat, il reste à réaliser 1,54 million d’unités. Or les capacités nationales ne dépassent guère les 80 000 unités par an, selon Abdelmadjid Tebboune, ministre de l’Habitat. Pour atteindre l’objectif inscrit dans le programme présidentiel, il faudrait décupler ces capacités en moins de deux ans. Mais selon la philosophie du « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », Sellal opte pour le partenariat en recourant aux moyens de réalisation étrangers. Des coentreprises sont créées avec des groupes de BTP portugais, espagnols et italiens. Même les Américains envisagent de vendre leur « technologie des gratte-ciels ». Les opérateurs étrangers sont appelés à installer leurs moyens de production en Algérie pour réduire au minimum les délais. Sellal s’est engagé à relever le défi, il s’en donne les moyens. Et pour sortir l’administration locale de sa léthargie, il entend se rendre dans chaque wilaya. En trois mois, il a déjà vu Ouargla, région pétrolière, et Saïda, l’agropastorale.
Homme de terrain mais aussi de dossier, Sellal ne rechigne pas à lire les rapports « négatifs » sur l’Algérie. Il prête attention aux analyses des cabinets étrangers sans en faire un objet de fixation. Il a ainsi lu le dernier rapport « Doing Business » de la Banque mondiale sur l’Algérie. C’est pourquoi l’amélioration du climat des affaires a été érigée en priorité par son équipe, à laquelle il demande une évaluation périodique de l’impact des mesures prises par son gouvernement.
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